1. La condition laïque : une condition chrétienne.
2. La vocation laïque et l'appel à la sainteté et à l'apostolat dans les réalités temporelles.
3. La sécularité : une marque spécifique de la condition laïque.
4. Les droits et devoirs des laïcs.
Par le terme « laïcs » nous nous référons ici aux personnes que les documents ecclésiaux appellent laici ou aussi chisti fideles laici (littéralement, les fidèles du Christ qui sont laïcs), c'est-à-dire les chrétiens ou les baptisés qui ont pour vocation et mission propres d'ordonner les réalités temporelles – travail et famille, culture et politique, loisirs, santé ou maladie, etc. – vers le Royaume de Dieu, étant en eux un ferment de salut pour les autres. Le Concile Vatican II utilise l'expression « comme de l'intérieur » du monde, pour indiquer que la vocation chrétienne des fidèles laïcs non seulement ne les soustrait pas à leur condition originelle et à leurs tâches habituelles au sein de la société civile ou séculière (cf. LG, 31 ; ChL, 15), mais les dote d'une mission : celle de les ordonner « selon Dieu », unis au Christ et avec la grâce de l'Esprit Saint.
1. La condition laïque : une condition chrétienne
Saint Josémaria, qui concevait sa vocation et sa mission sacerdotales comme étant spécialement orientées vers la promotion de la sainteté et de l'apostolat au milieu du monde, parlait très souvent, dans sa prédication et ses écrits, des chrétiens qu'il appelait habituellement « chrétiens ordinaires » (cf. par exemple Entretiens 59), c'est-à-dire ceux que nous pourrions appeler de façon informelle les chrétiens "de la rue". En tant que connaisseur de la doctrine canonique et théologique, saint Josémaria faisait la distinction entre le terme général de « fidèles » (« chrétiens » ou « baptisés ») et le terme plus concret de « laïcs », une condition chrétienne distincte de celle des ministres sacrés et des membres de la vie religieuse.
Bien que dans son travail pastoral, saint Josémaria se soit adressé principalement aux fidèles laïcs appelés à atteindre la sainteté à travers le travail professionnel et la vie ordinaire au milieu du monde, il n'a jamais oublié que la condition laïque n'est qu'une des conditions chrétiennes ; c'est pourquoi ses enseignements et sa prédication – bien que centrés sur la vie laïque – ont profité ou peuvent continuer à profiter à tous les types de chrétiens.
En revanche, son utilisation du nom « laïc » ou de l'adjectif « laïque [1]» est aux antipodes du sens que, selon la pensée rationaliste, certains auteurs attribuent au terme « laïc », le concevant comme excluant toute présence de la religion dans la vie publique (c'est-à-dire prônant ce qu'on appelle habituellement le « laïcisme »). L'enseignement et la prédication de saint Josémaria s'inscrivent donc dans le cadre de ce que l'on entend habituellement par « sécularité », c'est-à-dire une vision chrétienne du monde, et sa pensée s'inscrit également dans le cadre de la « laïcité » si on la comprend comme une attitude qui conduit au respect de l'autonomie des réalités terrestres et des caractéristiques de la société et de l'État, consciente en même temps de sa nature et de ses limites et, par conséquent, respectueuse des libertés humaines, parmi lesquelles la liberté religieuse.
Parmi les expressions qui expriment bien la pensée et la vie de saint Josémaria sur ce point, il y a le titre qu'il a choisi pour la publication de l'homélie qu'il a prononcée sur le campus de l'Université de Navarre le 8 octobre 1967 : Aimer le monde passionnément. Il en va de même pour les mots qu'il a utilisés en d'autres occasions : vivre saintement la vie ordinaire, la grandeur de la vie ordinaire, rendre culte à Dieu par sa vie toute entière, faire de la vie ordinaire une Messe, avoir une âme sacerdotale et une mentalité laïque. Ce sont toutes des traductions concrètes et opératives de ce que saint Paul appelle logiké latreía (Rm 12, 1), et de ce que les Pères de l'Église appellent « culte spirituel » (SaC, 70 ss) ; et de ce que le Concile Vatican II exprime lorsqu'il dit que le « sacerdoce commun des fidèles » conduit à offrir sa propre vie comme culte à Dieu. Selon les mots de saint Josémaria lui-même : « Par le Baptême, nous avons tous été institués prêtres de notre propre existence pour offrir des sacrifices spirituels, agréables à Dieu par Jésus-Christ » (QCP 96 ; cf. 1 P 2, 5).
Certaines des expressions qui viennent d'être mentionnées s'appliquent à tous les chrétiens, mais elles ont une application particulière à la condition laïque précisément dans la mesure où cette condition se réfère à la sanctification du monde de l'intérieur. Tout ce qui suit s'enracine ici dans la mesure où la vocation laïque exprime de manière unique comment la rédemption opérée par le Christ affecte toutes les réalités issues de l'acte créateur de Dieu.
2. La vocation laïque et l'appel à la sainteté et à l'apostolat dans les réalités temporelles
Pendant de nombreux siècles, depuis la fin de l'ère des Pères de l'Église et tout au long du Moyen Âge, la conscience de l'appel universel des chrétiens à la sainteté s’est progressivement obscurcie. Sans le nier explicitement, il n'y a guère de prises de position de l'Église à ce sujet jusqu'à la promulgation solennelle de la Constitution dogmatique Lumen Gentium du Concile Vatican II (voir son chapitre IV). Souvent, dans les documents médiévaux (par exemple, le décret de Gratien au XIIe siècle) ou dans les textes ultérieurs, les laïcs étaient considérés comme des destinataires passifs de la doctrine et des sacrements, mais pas comme des sujets proprement actifs de l'Église et donc directement responsables de la mission ecclésiale.
Le développement des idées autour de l'Action Catholique – en particulier le passage d'une vision de l'apostolat des laïcs comme participation à la mission de l'Église, identifiée en pratique à la Hiérarchie, à une autre vision de l'apostolat des laïcs comme collaboration à la mission de la Hiérarchie dans les conditions propres à la vie séculière – a été l'un des facteurs qui ont conduit, au niveau magistériel, à ce que Pie XII puisse affirmer que « les laïcs sont l'Église » (AAS, 38 [1946], p. 149). Cette affirmation constituait une étape d'une grande importance.
Le développement de la réflexion théologique, avec des noms comme Yves Congar, Gustave Thils et Raimondo Spiazzi, a permis de comprendre que l'appel universel à la sainteté s'adressait aussi aux laïcs. Parallèlement d'autres réalités ont contribué à la consolidation de cette conviction comme l'évolution des sociétés modernes qui impliquait une plus grande responsabilité des citoyens dans les décisions sociopolitiques. Et surtout les réalités et les institutions chrétiennes – l'Opus Dei en premier lieu – qui, en remontant aux premiers chrétiens, ont proclamé comme le faisait saint Josémaria un message « à la fois ancien et nouveau comme l’Évangile » (Entretiens 24) : la sainteté n'est pas réservée à un groupe de privilégiés ou d'élus, mais à tous, car « [Dieu] appelle chacun à la sainteté et demande à chacun de l’amour : jeunes et vieux, célibataires et mariés, bien portants et malades, cultivés et ignorants, quel que soit leur lieu de travail, où qu’ils se trouvent » (AD 294).
D'autre part, saint Josémaria comprenait profondément que l'appel à la sainteté est aussi un appel à l'apostolat, et ce, de par sa racine christologique même : « il n'est pas possible de séparer chez le Christ son être de Dieu fait homme et sa fonction de Rédempteur » affirmait-il dans l'une de ses homélies (QCP 122). C'est pourquoi, disait-il, il ne peut y avoir de chrétien qui se propose d'être un saint sans se proposer en même temps d'être un apôtre.
Cette doctrine, qui a été sanctionnée et proclamée par le Concile Vatican II, est toujours d'actualité. Dans son homélie lors de la béatification de saint Josémaria Escrivá (17 mai 1992), Jean-Paul II a dit : « Avec une intuition surnaturelle le bienheureux Josémaria a prêché inlassablement l'appel à la sainteté et à l'apostolat. Le Christ appelle chacun à se sanctifier dans la réalité de la vie quotidienne ; le travail est donc aussi un moyen de sanctification personnelle et d'apostolat lorsqu'il est vécu en union avec Jésus-Christ, puisque le Fils de Dieu, en s'incarnant, s'est uni d'une certaine manière à toute la réalité de l'homme et à toute la création ». « Dans une société où le désir effréné de posséder les choses matérielles les transforme en idole et motif pour s'éloigner de Dieu, le nouveau Bienheureux nous rappelle que ces mêmes réalités, créatures de Dieu et de l'ingéniosité humaine, si elles sont utilisées correctement pour la gloire du Créateur et le service de nos frères, peuvent être un moyen pour les hommes de rencontrer le Christ », déclaration que le Pape complète en citant textuellement saint Josémaria, paroles extraites de sa Lettre 19-III-1954, no 7 (AGP, série A.3, 93-4-3) : « Tout ce qui est sur terre, même les créatures matérielles, même les activités terrestres et temporelles des hommes, doit être porté vers Dieu ».
3. La sécularité, une marque spécifique de la condition laïque
Le mot « sécularité » indique une attitude spirituelle qui affirme à la fois la cohérence et la valeur des réalités temporelles (issues de la création) et l'ouverture du monde à la transcendance (cf. Illanes, 2006).
Saint Josémaria reliait sa compréhension de la sécularité au dogme de la création : le monde est bon ; ce sont nous, les hommes, qui l'avons gâché à cause du péché originel laissant le cosmos blessé et nécessitant la rédemption. En affirmant la vérité de la création, il voyait également la valeur essentielle et positive de toutes les choses que Dieu a créées – les réalités temporelles – et le sens de la tâche de l'homme dans le monde – le travail – comme une collaboration avec le Dieu Créateur. La théologie, en particulier en relation avec l'enseignement de saint Thomas d'Aquin, enseigne que toutes choses sont sorties de Dieu et « retournent » à Dieu (exitus-redditus) à travers l'économie du salut qui est portée par la mission de l'Église.
Conscient de tout cela, saint Josémaria voyait dans la sécularité la caractéristique distinctive des fidèles laïcs. Il est vrai que, comme le disait Paul VI en 1972, toute l'Église possède une « dimension séculière » c'est-à-dire une relation de salut par rapport au monde. Mais ce contexte n'enlève rien au fait que le Concile Vatican II, en se référant à la sécularité des fidèles laïcs, parlait d'une « nature séculière » (LG, 31). Au contraire, il le souligne. En 1988, l'Exhortation Apostolique Christifideles laici confirme cette interprétation en affirmant que « l'être et l'agir dans le monde sont pour les fidèles laïcs une réalité non seulement anthropologique et sociologique, mais encore et spécifiquement théologique et ecclésiale » (ChL, 15). Chez les laïcs, la « sécularité » n'est pas seulement une dimension générique, mais aussi une nature. Tous les chrétiens ont une relation plus ou moins immédiate avec la vie séculière et ont une responsabilité pour le monde, de diverses manières, mais il appartient aux laïcs de sanctifier le monde de l'intérieur, en vivant cette vocation chrétienne dans et par la gestion des activités séculières.
Jean-Paul II, dans son homélie lors de la canonisation de saint Josémaria (6 octobre 2002), a souligné que, selon le message de Vatican II, « les croyants agissant au sein des diverses réalités de ce monde, contribuent à réaliser ce projet divin universel. Le travail, et toute autre activité, menée à bien avec l'aide de la Grâce, se convertissent en instruments de sanctification quotidienne ». Et il poursuivait : « Par conséquent, il est plus facile de comprendre ce qu'affirme le Concile Vatican II quand il dit : "le message chrétien ne détourne pas les hommes de la construction du monde [...], il leur en fait au contraire un devoir plus pressant" (Gaudium et Spes, no 34) ».
Notons enfin que, comme le souligne saint Josémaria dans Entretiens, il ne faut pas opposer la mission propre ou « spécifique » des laïcs (ordonner les réalités temporelles au Royaume de Dieu de l’intérieur du monde lui-même) et les tâches qui leur incombent en tant que chrétiens (catéchèse, participation à la liturgie ou aux services caritatifs, etc.). « Ces deux tâches – la tâche spécifique qui incombe au laïc en tant que laïc et la tâche générique ou commune qui lui incombe en tant que fidèle – ne sont pas opposées, mais superposées, et elles ne sont pas contradictoires mais complémentaires. Fixer son attention sur la seule mission spécifique du laïc, en oubliant sa condition concomitante de fidèle, serait aussi absurde qu'imaginer un rameau, vert et fleuri, n'appartenant à aucun arbre. Oublier ce qui est spécifique, propre et particulier au laïc, ou ne pas comprendre suffisamment les caractéristiques de ces tâches apostoliques séculières et leur valeur ecclésiale, ce serait réduire l'arbre touffu de l'Église à la condition monstrueuse de simple tronc » (Entretiens 9).
4. Droits et devoirs des laïcs
Saint Josémaria s'est longuement penché sur les droits et les devoirs des laïcs. Il a rappelé tout d'abord leurs droits en tant que fidèles chrétiens : par exemple le droit à une attention pastorale appropriée de la part des prêtres par la prédication et les sacrements ; et aussi leurs droits en tant que citoyens de la société civile (droit à la vie, à la liberté religieuse, à l'éducation, à la formation d'une famille, à la libre expression et à la participation active à la vie sociopolitique, etc.).
De même il n'a cessé de rappeler, avec constance et force, les devoirs des laïcs dans l'Église et dans le monde. En premier lieu, leurs devoirs de chrétiens : acquérir une formation adéquate et participer à la vie sacramentelle, accomplir les commandements de la Loi de Dieu et les autres préceptes de l'Église ; aspirer à la sainteté et s'efforcer de l'atteindre ; participer à la mission apostolique de l'Église, collaborer à la catéchèse ou à d'autres tâches paroissiales, prendre soin des nécessiteux, etc. Et aussi les devoirs qu'ils ont en propre comme fidèles laïcs : témoigner et donner un exemple de vie dans leur propre condition sociale ; exercer les différentes professions et métiers, etc. De fait les fidèles laïcs ont un ensemble de devoirs envers la société temporelle qui découlent de leur statut de citoyens du pays dans lequel ils se trouvent. Le fait qu'ils soient chrétiens ne diminue pas ces devoirs, mais les renforce au contraire. « Outre un amour renforcé, – conseillait-il –vous tirerez toujours de l’expérience de vos échecs et de vos triomphes au service de Dieu un enthousiasme plus assuré de persévérer dans l’accomplissement de vos devoirs et de vos droits de citoyens chrétiens, quoiqu’il puisse vous en coûter ; sans lâcheté, sans fuir ni les honneurs ni vos responsabilités, sans nous effrayer des réactions qui pourront s’élever autour de nous, suscitées peut-être par de faux frères, quand nous essayons avec dignité et loyauté de chercher la gloire de Dieu et le bien des autres » (AD 164).
En parlant des droits et des devoirs des fidèles laïcs, saint Josémaria aimait évoquer la figure des premiers chrétiens telle qu'elle est exposée dans la Lettre à Diognète, lorsqu'il est dit : « Les chrétiens ne se distinguent pas des autres hommes, ni par le lieu où ils vivent, ni par leur langue, ni par leurs coutumes. (...) Ils participent à tout comme des citoyens. (...) Comme tout le monde, ils se marient et engendrent des enfants, mais ils ne se débarrassent pas des enfants qu'ils conçoivent (...) Ils obéissent aux lois établies, et par leur manière de vivre, ils dépassent ces lois (...) Pour le dire brièvement : les chrétiens sont dans le monde ce que l'âme est dans le corps » (Lettre à Diognète, ch. 5-6 ; Funk 1, 317-321). Et il prêtait une attention particulière aux paroles de Jésus selon Jn 17, 15 : « Je ne prie pas pour que tu les retires du monde, mais pour que tu les gardes du Mauvais ».
Thèmes connexes : Apostolat ; Baptême et Confirmation ; Contemplatifs au milieu du monde ; Fidèles chrétiens ; Église ; Liberté dans les affaires temporelles ; Mentalité laïque ; Premiers chrétiens ; Sacerdoce commun ; Sécularité ; Travail, (sanctification du) ; Unité de vie ; Vie ordinaire, (sanctification de la).
Bibliographie : José Luis Illanes, "Secularidad", dans César Izquierdo (dir. ) - Jutta Burgraff - Félix María Arocena Diccionario de Teología, Pamplona, EUNSA, 2006, pp. 926-931; José Luis Illaneset al. En el Centenario del nacimiento del Beato Josemaría Escrivá (1902-2002). XXIII Simposio Internacional de Teología de la Universidad de Navarra Pamplona, Servicio de Publicaciones de la Universidad de Navarra, 2003: Ramiro Pellitero (dir.) Los laicos en la eclesiología del Concilio Vaticano II, Madrid, Rialp, 2006; Álvaro del Portillo Fieles y laicos en la Iglesia. Bases de sus respectivos estatutos jurídicos, Pamplona, EUNSA, 1991; Pedro Rodríguez, "La economía de la salvación y la secularidad cristiana", in Id. Vocación, trabajo, contemplación,Pamplona, EUNSA, 1986, pp. 37-57.
[1] Ndt En français « laïc » comme « laïque » peut à la fois être un nom ou un adjectif ; « laïcité » se définit selon le Larousse comme « Conception et organisation de la société fondée sur la séparation de l'Église et de l'État et qui exclut les Églises de l'exercice de tout pouvoir politique ou administratif, et, en particulier, de l'organisation de l'enseignement ». Le terme « laïcisme » est souvent compris comme la doctrine qui prône la « laïcité ». Il y a donc matière à prudence à traduire les termes espagnols de « laicidad » et « laicismo » sans préciser le contexte.