JUSTICE

1. Définition et fondement. 2. Justice et accomplissement du devoir propre. 3. Justice et droit exercice des tâches professionnelles. 4. Justice et bien social. 5. Relation entre justice et charité.

1. Définition et fondement.
2. Justice et accomplissement du devoir propre.

3. Justice et droit exercice des tâches professionnelles.

4. Justice et bien social.

5. Relation entre justice et charité.

    La réflexion chrétienne sur la justice unit deux traditions : l’une classique, telle qu'elle s'exprime dans la philosophie grecque et le droit romain, qui considère la justice en référence directe aux relations au sein de la société ; et l’autre, biblique, qui la considère en référence aux relations avec Dieu. Saint Josémaria rejoint ces précédents, donnant à ses considérations un accent qui lui est propre, en cohérence avec son sens profond de la valeur de la personne, de chaque personne.

    1. Définition et fondement

    Ses études à la Faculté de droit de l'Université de Saragosse ont donné à saint Josémaria une fine mentalité juridique, qui s'est développée et perfectionnée lorsqu'il a dû approfondir le droit canonique, tout au long de l'itinéraire qu'a parcouru l'Opus Dei en recherchant la configuration canonique adaptée à sa nature. Ses écrits montrent qu'il connaissait bien le double sens avec lequel on peut parler de justice : objectif, c'est-à-dire le respect du droit et, plus précisément, la réussite effective d'une organisation adéquate de la société et d'une répartition équitable des biens ; et subjectif, c'est-à-dire la disposition de l'esprit qui pousse à obtenir la justice concrètement et efficacement.

    Sa manière de comprendre la justice part de l'acception classique, « donner à chacun ce qui lui est dû » (AD 83), qui, dans sa brièveté, exprime bien les caractéristiques particulières de cette réalité : l'existence de droits, de biens qui sont dus à chaque personne ; et les exigences qui en découlent en vue de la réalisation effective du droit. L'altérité et le caractère exigible configurent l'action juste à partir de sa dimension subjective, façonnant l'autodétermination du sujet pour l'accomplissement du bien complet de l'autre. C'est pourquoi, en décrivant la justice – conformément à sa condition de vertu –, saint Josémaria met l’accent sur son enracinement dans l'intériorité de la personne. être juste est une condition qui précède et provoque les œuvres de justice : « si nous sommes justes, nous ferons davantage attention à nos engagements professionnels, familiaux, sociaux… sans ostentation, sans bruit, mais en travaillant avec persévérance et en exerçant nos droits, qui sont aussi des devoirs" (AD 169).

    L'expression « donner à chacun ce qui lui est dû » est une note distinctive de ce qu’on entend habituellement par justice : l'existence d'une égalité entre ce qui est dû et ce qui est donné. Saint Josémaria connaît bien cette implication, mais il en précise le sens lorsqu'il note que « l'égalité ne signifie pas mettre tout le monde sur le même pied » (S 601), car « la justice ne se traduit pas uniquement par la stricte observance des droits et des devoirs, comme dans les problèmes d’arithmétique, qui se résolvent à force d’additions et de soustractions » (AD 168). L'énoncé « donner à chacun ce qui lui est dû » n'exprime pas tout ce qu'implique la justice et n'explicite pas non plus la totalité de ce qui est nécessaire à l'homme pour être juste : « la justice, c’est donner à chacun ce qui lui est dû ; mais j’ajouterai que cela ne suffit pas » (AD 83).

    Et « cela ne suffit pas » car cela ne prend pas en compte la condition de personne, et tout ce que la foi chrétienne révèle sur la dignité de l'homme en tant que personne. La perspective personnelle, comprise à la lumière de l'Évangile, conduit en effet à la conclusion que « même si chacun mérite beaucoup, il faut lui donner davantage, parce que chaque âme est un chef-d’œuvre de Dieu » (AD 83). Par cette affirmation, saint Josémaria indique la racine de la vertu – le devoir de donner à chacun ce qui lui est dû trouve son fondement dans sa condition de personne – et montre en même temps que ce fondement est ancré dans la relation essentielle de l'être humain avec Dieu, qui, puisque constitutive, établit une dignité fondamentale commune à toutes les personnes, qui est la base ultime, théorique et pratique, de la justice (AD 165).

    Dans ses écrits et dans sa prédication, saint Josémaria présuppose ce que la justice, dans ses diverses dimensions, peut exiger à un moment donné :relations interpersonnelles, contribution au bien social, répartition équitable des biens et des charges –Mais il va plus loin et il développe, , les implications concrètes qui découlent de la valeur de la personne : c’est elle qui révèle ce qui est nécessaire à la société pour constituer un environnement approprié à la dignité de l'homme, de chaque homme. Il présente ainsi la vertu de justice comme une force qui, en dépassant ce qui est dû, compris dans un sens restreint et minimaliste, « nous pousse à nous montrer reconnaissants, cordiaux, généreux ; à nous comporter en amis loyaux et honnêtes, aussi bien dans les moments favorables que dans l’adversité ; à observer les lois et à respecter les autorités légitimes ; à rectifier avec joie, lorsque nous nous apercevons que nous nous sommes trompés en abordant un problème » (AD 169).

    Et cela en tenant compte des conditions de chaque personne. Dans cette perspective, et comme un exemple clair de l'adaptation au cas concret que doit présenter la pratique de la justice, saint Josémaria parle du comportement maternel : les mères « aiment tous leurs enfants d’une tendresse identique, et cet amour les pousse précisément à les traiter différemment, avec une justice inégale, puisque chacun d’entre eux est différent des autres. Eh bien, la charité perfectionne et complète également la justice envers nos semblables. En effet, elle nous pousse à nous conduire de façon inégale à l’égard de ceux qui ne sont pas égaux, en nous adaptant à leurs situations concrètes, pour mieux communiquer notre joie à celui qui est triste, la science à celui qui manque de formation, l’affection à celui qui se sent seul... » (AD 173).

    Ces perspectives sont d'ailleurs en parfaite continuité avec la charge religieuse marquée qu'ont les termes « justice » et « juste » dans la Bible : « juste » est « l'homme bon » parce qu'il accomplit la loi divine (Pr 10, 28 ; Sg 3, 10 ; etc. ) ; le « juste » par excellence sera le Messie (Is 45, 8 ; 53 ; Sg 2, 18) ; « l’homme qui est juste (...) observe le droit et la justice » (Ez 18, 5) ; justice et sainteté sont synonymes (cf. Mt 3, 15 ; 5, 6-10 ; 6, 1-33 ; 15, 20 ; 21, 32) ; « juste » est l'homme bon, fidèle à Dieu (cf. Mt 23, 34 ; Lc 1, 6 ; Ac 10, 22 ; 2 P 2, 8 ; le « juste » par excellence est Jésus-Christ (cf. Mt 27, 19 ; Lc 23, 47 ; Ac 3, 14). De la réflexion biblique, saint Josémaria est parvenu à une compréhension profonde de ce que la justice humaine est inséparable de la droite relation avec le Transcendant : « pour un Hébreu, juste veut dire pieux, serviteur irréprochable de Dieu, fidèle à la volonté divine ; d'autres fois, juste veut dire bon et charitable avec le prochain. En un mot, le juste est celui qui aime Dieu et démontre cet amour en accomplissant ses commandements au service de ses frères, les hommes » (QCP 40).

    La perception de l'inséparabilité entre ce qui est dû à Dieu (L'adorer, Lui obéir et L'aimer ; Lui donner tout ce que nous sommes et pouvons, car tout est à Lui) et ce que doit être la justice à l'égard des hommes (non seulement donner à chacun selon son dû, mais le valoriser et l'apprécier en tant que personne), constitue un élément essentiel de la doctrine de saint Josémaria : « Celui qui désire être juste aux yeux de Dieu, fait tout pour que la justice se réalise parmi les hommes, non seulement pour ne pas laisser bafouer le nom de Dieu, mais aussi parce qu’être chrétien veut dire assumer toutes les nobles aspirations que l'on trouve dans le cœur de l'homme. En paraphrasant un texte célèbre de l'apôtre Jean, on peut dire que celui qui se dit juste envers Dieu, sans l'être envers les autres hommes, est un menteur, et que la vérité n'est pas en lui » (QCP 52).

    2. Justice et accomplissement du devoir de chacun

    Il existe de nombreuses manières de contribuer à la réalisation de la justice, car il existe de multiples manières de contribuer personnellement à la conformation des relations interpersonnelles et des sociétés à ce qui est juste. C'est précisément pour cette raison que le désir d'être des personnes justes, des personnes qui pratiquent la justice, représente un potentiel créatif très varié, de grande valeur, et essentiel pour résoudre les innombrables questions que soulève la coexistence humaine.

    Comme conséquence logique de cette prémisse, saint Josémaria enseigne que la pratique de la justice implique, avant tout, l'accomplissement de ses propres devoirs. D'un côté ceux qui dérivent des contrats et conventions adoptés, un point auquel il a personnellement veillé à l'extrême, comme en ont témoigné – c'est un exemple parmi d'autres – les personnes qui ont participé à la construction des bâtiments du siège central de l'Opus Dei à Rome : ce furent – à la fin des années 40 et durant les années 50 – des moments de difficultés économiques ; mais il ne consentit jamais à retarder le paiement des salaires des ouvriers, quitte à se priver de nourriture lui-même. Et à côté de ces devoirs, tous les autres : ceux liés à l'attention familiale, au travail et aux implications qu'il comporte, ou liés à la communauté de voisins, aux amis, ou aux initiatives relatives à la promotion du bien commun, ou encore ceux liés à l'utilisation des biens, etc.

    Les vertus montrent leur profondeur non seulement dans les situations extraordinaires, mais aussi dans les occasions normales de la vie (cf. AD 124). C'est ce qu'exigent la dignité de l'être humain et, chez un chrétien, la vocation universelle à la sainteté – aimer comme Dieu aime (cf. Mt 5, 48) – et l'invitation à placer le Christ au sommet des réalités humaines (cf. Jn 12,32). L'immense majorité des hommes est appelée par Dieu à développer dans ce monde une tâche qui n'a pas d'éclat particulier, à agir comme sel ou levain, qui ne se voient pas, mais qui donnent saveur à l'ambiance. Et cela implique de répondre aux invitations que Dieu « nous adresse à travers les obligations de notre vie courante : dans notre devoir d'état, dans notre profession, dans notre travail, dans notre famille, dans nos relations sociales, dans nos propres souffrances et dans celles des autres, dans l'amitié, dans notre désir de réaliser ce qui est bon et juste » (QCP 17). Partant de cette approche réaliste qui conduit à valoriser l'existence ordinaire, saint Josémaria a compris que la première exigence de justice est de sanctifier les devoirs quotidiens., Cela donnera une continuité à ce témoignage de vie qui a marqué le christianisme depuis ses premiers jours et suscitait l'admiration des païens devant la fraternité chrétienne en observant la justice et la charité incarnées dans la conduite des croyants. (cf. TERTULLIEN, Apologeticum, 39).

    L'exigence d'être juste toujours et en tout rappelle que pratiquer la justicene se limite pas à ne pas voler ni endommager les biens d'autrui, mais va beaucoup plus loin : on pratique la justice non seulement pour favoriser une répartition adéquate des richesses, mais aussi pour la diffusion des biens spirituels. Saint Josémaria s'exclame : « quelle pauvre idée se font de la justice ceux qui la réduisent à une simple distribution des biens matériels ! » (AD 169). La justice inclut également – comme exigence fondamentale – tous les droits de la personne humaine : le droit à la vie, le droit d'accéder à la culture, le droit de vivre selon sa bonne conscience (cf. AD 67, 171 ; Entretiens 29), le respect de la réputation (cf. C 443 ; QCP 69), de la vérité (cf. AD 83), de l’intimité, etc.

    3. Justice et droit exercice des tâches professionnelles

    Saint Josémaria a toujours considéré l'ardeur dans l'exercice du travail professionnel comme un champ privilégié pour l'exercice de la justice (cf. Entretiens 10). Pour cette raison, il dit : « Je ne crois pas en la justice des paresseux, car, livrés à leur dolce far niente, comme on dit dans ma chère Italie, ils manquent, et parfois gravement, au principe d’équité le plus fondamental : celui du travail. » (AD 169).

    L'exercice de toute tâche digne et noble au plan humain est le canal ordinaire par lequel chaque personne peut collaborer à la construction d'un monde plus juste (cf. Entretiens 55). « Un homme qui a la foi, et qui exerce une profession intellectuelle, technique ou manuelle, est et se sent uni aux autres, avec les mêmes devoirs, avec le même désir de s'améliorer, avec la même soif d'affronter les mêmes problèmes et d'en trouver la solution » (QCP 53). Même les années de préparation à la vie professionnelle impliquent une sérieuse obligation de justice au service de Dieu et des autres citoyens, de la famille et de la société (cf. C 334, 336, 347 ; S 482).

    Saint Josémaria considère le travail non pas dans une perspective purement ascétique (remède contre l'oisiveté et d'autres vices et limites) ni dans une perspective simplement morale (devoir d'état) (cf. ILLANES, 2001, pp. 45-46). Prenant pour toile de fond l'œuvre de création et reliant le travail à la rédemption opérée par le Christ, il le présente comme une réalité sanctifiable et sanctifiante – transformante –, source de justice sociale (cf. QCP 47). « Je ne connais pas de meilleur chemin pour être juste qu’une vie de don de soi et de service » (AD 173).

    Le travail sanctifié s'accomplit conformément aux exigences de la morale chrétienne et met en pratique la solidarité, vertu par laquelle un effort constant est maintenu pour contribuer au bien commun, sans penser uniquement ou exclusivement à son propre bénéfice. « Nous ne devons pas oublier que Dieu a créé l’homme ut operaretur (Gn 2, 15), pour travailler, et que tous les autres, notre famille, et notre nation, l’humanité entière, dépendent aussi de l’efficacité de notre labeur » (AD 169). « Pour sanctifier sa profession, il faut avant tout bien travailler, avec tout le sérieux humain et surnaturel nécessaire. (...) C'est pourquoi je puis vous indiquer, pour votre travail, cette devise : pour servir, servir » (QCP 50).

    4. Justice et bien social

    Saint Josémaria conçoit la justice comme une exigence de la coexistence humaine, comme un principe qui règle le cadre des institutions dans lesquelles les individus se développent, et donc une vertu qui renvoie non seulement aux relations interpersonnelles, mais aussi à la société en tant que telle. Sa formation juridique, son sens personnel de la justice et la reconnaissance de l'union intrinsèque qui existe entre la justice envers rapport à Dieu et la justice envers les hommes, l'ont amené à percevoir fortement que « la volonté d'exiger ce qui vous est dû ne doit pas provenir de l'égoïsme et de l'individualisme », mais plutôt de l’amour.Par conséquent, « on n'aime pas la justice si l'on n'aime pas que les autres, eux aussi, en bénéficient » (QCP 52). C'est pourquoi « quand il est pénétré de l'amour de Dieu, le chrétien n'est pas, lui non plus, indifférent au sort des autres hommes, et sait traiter tout le monde avec respect. Mais que vienne à disparaître cet amour, et ce même chrétien risque d'exercer une pression fanatique et acharnée sur la conscience des autres » (QCP 67).

    Dans les relations avec les autres, la responsabilité sociale se traduira par « nous comporter comme des enfants de Dieu avec les enfants de Dieu » (QCP 36), c'est ce que sont tous les hommes. Ainsi saint Josémaria souligne le devoir de conscience « de ne pas juger autrui, de ne pas l'offenser, ne serait-ce que par le doute, de noyer le mal dans une abondance de bien, en répandant autour de nous la loyauté, la justice et la paix dans les relations humaines » (QCP 72). Il souligne que la fraternité s'occupe du frère dans le besoin : « Il faut que les problèmes des autres soient nos problèmes ; la fraternité chrétienne doit être profondément ancrée dans nos âmes, de sorte que personne ne nous soit indifférent » (QCP 145). « J’ignore si le fait qu’il y ait des classes sociales est irrémédiable (...). Pensez ce que vous voudrez dans toutes les matières que la Providence a laissées à la discussion libre et légitime des hommes. Mais ma condition de prêtre du Christ me met dans l’obligation de remonter plus haut, de vous rappeler que, en tout état de cause, nous ne pourrons jamais cesser d’exercer la justice, et si besoin est, avec héroïsme » (AD 170). Pour cette raison, « nous devons défendre le droit de tout homme à vivre, à posséder ce dont il a besoin pour mener une existence digne, le droit à travailler et à se reposer, à choisir un état, à fonder un foyer, à mettre des enfants au monde dans le mariage et à pouvoir les élever, à traverser avec sérénité les périodes de maladie et la vieillesse, à accéder à la culture, à s’associer aux autres citoyens pour parvenir à des fins licites et, au premier chef, le droit à connaître et à aimer Dieu en toute liberté, car la conscience, si elle est droite, découvrira les traces du Créateur en toute chose » (AD 171).

    En regardant autour de lui avec réalisme, saint Josémaria décrit avec des lignes parfois dures l'existence de problèmes et d'injustices : « Tant de siècles de coexistence entre les hommes et tant de haine encore, tant de destruction, tant de fanatisme, accumulés dans le regard de ceux qui ne veulent point voir et dans le cœur de ceux qui ne veulent point aimer. Les biens de la terre répartis entre quelques-uns ; les biens de la culture enfermés dans les cénacles. Et au-dehors, la faim de pain et de savoir, et les vies humaines, pourtant saintes, puisque venant de Dieu, traitées comme de simples choses, comme des éléments d'un calcul statistique » (QCP 111). Dans le texte qui vient d'être cité, et dans d'autres analogues, il emploie des mots forts, qui n'étaient jamais simplement descriptifs, mais invitaient toujours à l'action, une action sociale qui ne restait pas seulement dans les mots et les intentions, mais aspirait à modeler le style effectif de l'existence humaine dans le monde, pour éclairer l'organisation et le développement de la société selon la justice (cf. QCP 145).

    « Vous pensez peut-être – affirmait-il dans une homélie – à tant d'injustices auxquelles on ne porte nul remède, à ces abus qui restent impunis, à ces situations injustes qui se transmettent d'une génération à l'autre sans que l'on songe à leur apporter une solution radicale ». Et tout de suite après, il poursuivait : en tant que prêtre, « je ne peux vous proposer une manière concrète de résoudre ces problèmes », mais « il est de mon devoir de vous rappeler (...) [qu'] un homme ou une société qui demeure passif devant les tribulations ou les injustices, qui ne s'efforce pas de les soulager, n'est pas à la mesure de l'amour du Cœur du Christ. Les chrétiens — tout en conservant leur liberté d'étudier et de mettre en œuvre différentes solutions, en fonction d'un pluralisme légitime —, doivent avoir en commun ce même désir de servir l'humanité. Sinon, leur christianisme ne sera pas la Parole et la Vie de Jésus : ce sera un déguisement, une mascarade devant Dieu et devant les hommes » (QCP 167).

    5. Relation entre justice et charité

    La justice ne peut être séparée de la charité, puisque Dieu est amour (cf. 1 Jn 4, 8), et dans la charité se résume toute la Loi (cf. Mt 7, 12 ; Lc 6, 17-38 ; Mc 12, 28-34 ). La justice est liée à la charité, non seulement parce que la charité est la forme de toutes les vertus (cf. S.Th. II-II, q. 23, a. 8), mais d'une manière particulière et spécifique. « Si nous voulons aider les autres, nous devons les aimer — j'insiste — d'un amour fait de compréhension, de don de soi, d'affection et d'humilité volontaire. Alors nous comprendrons pourquoi le Seigneur a choisi de résumer toute la Loi en ce double commandement qui n'en fait, en réalité, qu'un seul et unique : l'amour de Dieu et l'amour du prochain, de tout notre cœur » (QCP 167).

    Dans les enseignements de saint Josémaria, la justice et la charité envers les autres se déploient harmonieusement dans l'existence concrète du chrétien. Il l'illustre par exemple dans une homélie sur saint Joseph, suggérant que dans son travail, et en homme juste, « saint Joseph devait demander, normalement, ce qui était raisonnable, ni plus ni moins ; il devait savoir exiger ce qui, en justice, lui était dû, car être fidèle à Dieu ne suppose pas de renoncer à des droits qui sont en réalité des devoirs : Joseph devait demander ce qui lui revenait, car c'était du fruit de ce travail qu'il nourrissait la famille que Dieu lui avait confiée ». Mais, ajoute-t-il, « parfois, quand il s'agissait de personnes plus pauvres que lui, Joseph devait accepter pour salaire quelque chose de peu de valeur, qui pût laisser aux autres la satisfaction de penser qu'ils l'avaient payé » (QCP 52).

    Si, à l'occasion, comme le montre l'exemple qui vient d'être cité, la charité peut conduire à ne pas exiger tout ce qui pourrait être réclamé en justice, dans une autre perspective – celle de celui qui est appelé à accomplir son devoir – il est clair que l'appel à la charité ne dispense pas de l'accomplissement de la justice. C'est pourquoi saint Josémaria a rappelé plus d'une fois que les droits peuvent aussi être des devoirs (cf. C 603 ; AD 169) et a souligné que la conscience de sa condition d'enfant de Dieu pousse le chrétien « à tout orienter vers le Seigneur et, en même temps, à donner à son prochain ce qui lui revient en toute justice » (AD 165). « La charité, sorte d’excès généreux de la justice, veut d’abord que l’on accomplisse son devoir : on commence par ce qui est juste ; on continue par ce qui est le plus équitable... » (AD 173), afin qu'ainsi, seulement ainsi, dans le plein respect de la justice, l'on puisse vraiment accéder à l'amour. Et il en va de même pour une autre vertu, étroitement liée à la charité : la miséricorde. Car la miséricorde, lorsqu'elle est authentique, lorsqu'elle implique une véritable reconnaissance de la nécessité soufferte par l'autre, « n’en reste pas à une froide attitude de compassion : la miséricorde s’identifie avec la surabondance de la charité, qui amène avec elle la surabondance de la justice » (AD 232).

    Ces réflexions mettent en évidence la complémentarité entre la justice et la charité, qui dans la vie pratique se présupposent l'une l'autre (cf. AD 173). La charité exige l'accomplissement de la justice comme reconnaissance de la dignité et des droits d'autrui ; la justice est, en ce sens, une condition permanente de l'authenticité de la charité. Et, à son tour, la charité – une vertu qui nous amène à considérer l'autre comme un « alter ego », comme un autre moi qu'il faut aimer comme une image de Dieu et frère du Christ – aide à pratiquer la justice, et lui permet d'atteindre la plénitude à laquelle elle est appelée à tendre, en tant que vertu qui régule le respect du droit et de la dignité de la personne humaine.


    Thèmes connexes : Charité ; Devoirs d'état ; Fidélité ; Solidarité ; Travail, Sanctification du ; Véracité.

    Bibliographie : AD 154-174 ; ECP 67-74, ECP 180-226 ; CECH passim JUAN PABLO II, Cart. Enc. Dives in misericordia 1980 ; Jean-Luc CHABOT, « Liberté et politique dans les écrits du bienheureux Josemaría Escrivá »,en Antonio MALO (ed.) LA DIGNITÀ DELLA PERSONA UMANA, Roma, EDUSC, 2003, pp. 143-167 ; Javier ECHEVARRÍA Memoria del Beato Josemaría Escrivá. Entrevista con Salvador Bernal, Madrid, Rialp, 2000 ; José Luis ILLANES, “Responsabilidad social, justicia, caridad”, en ID. Existencia cristiana y mundo. Jalones para una reflexión teológica sobre el Opus Dei, Pamplona, EUNSA, 2003, pp. 215-278 ID. La santificación del trabajo. El trabajo en la historia de la espiritualidad, Madrid, Palabra, 200110 rev. y act. ; Josef PIEPER Las virtudes fundamentales, Madrid, Rialp, 1997 ; Belén RAMÍREZ, “El contenido de los derechos humanos y su carácter universal”, en Antonio MALO (ed.) LA DIGNITÀ DELLA PERSONA UMANA, Roma, EDUSC, 2003, pp. 199-298 ; Maria Adelaide RASCHINI, “Tutto l’uomo, tutto il mondo”, en Santi nel mondo. Studi sugli scritti del beato Josemaría Escrivá, Ares, Milano, 1992 pp. 194-222 ; S.Th. II-II, q. 58.

    Maria Aparecida FERRARI