INHABITATION TRINITAIRE

1) Le fait de l’inhabitation de la Trinité dans l’âme. 2) L'inhabitation comme identification au Christ dans les sacrements. 3) Le rôle du Saint-Esprit. 4) Les conséquences de l'inhabitation.

1) Le fait de l’inhabitation de la Trinité dans l’âme.
2) L'inhabitation comme identification au Christ dans les sacrements.

3) Le rôle du Saint-Esprit.
4) Les conséquences de l'inhabitation.

L'inhabitation de Dieu dans l'âme en état de grâce est, avant tout, une vérité d'origine biblique. Une expression aussi chargée de sens surnaturel ne peut certainement pas provenir d'une simple réflexion théologique. La grâce sanctifiante implique fondamentalement une identification au Christ par laquelle nous devenons fils dans le Fils. Ce nouvel engendrement qui nous rend enfants de Dieu n'est pas une action divine transitoire comme l'est la génération humaine, mais quelque chose qui demeure en nous, une action continue de Dieu dans l'âme. Saint Josémaria, particulièrement conscient de cette condition filiale, tend à la considérer toujours comme quelque chose de particulièrement intime dans la relation de chaque chrétien avec Dieu le Père ; quelque chose qui crée une communion de vie qui donne lieu à un contact immensément plus intime que celui qui existe entre un père et un fils sur terre, car la paternité divine imprègne, pour ainsi dire, toute la vie du chrétien : « Tous les hommes sont enfants de Dieu. Mais, face à son père, un enfant peut réagir de mille manières. À nous de nous efforcer, comme des enfants, de nous rendre compte que le Seigneur, en nous voulant pour enfants, nous fait vivre dans sa maison, au milieu de ce monde ; nous intègre à sa famille, fait nôtre ce qui est sien, et sien ce qui est nôtre, et qui nous vaut cette familiarité et cette confiance qui nous font Lui demander, comme des petits enfants, la lune ! » (QCP 64).

1. Le fait de l’inhabitation de la Trinité dans l'âme

L'une des manières les plus profondes et les plus significatives dans l'Écriture Sainte de se référer à cette intimité divine est précisément le concept d'inhabitation, non pas évidemment en tant qu’objet de spéculation théologique ou de recherche d'une théorie qui puisse éclairer rationnellement le fait, mais en relation avec l'existence même du phénomène, sa finalité et ses conséquences. C'est dans cette même perspective que saint Josémaria affirme : « Le Dieu de notre foi n'est pas un être lointain, qui contemple avec indifférence le sort des hommes : leurs aspirations, leurs luttes, leurs angoisses. C'est un Père qui aime ses enfants au point d'envoyer le Verbe, Seconde Personne de la Très Sainte Trinité, pour que, en s'incarnant, Il meure pour nous et nous rachète. C'est ce même Père aimant qui nous attire maintenant doucement vers Lui, par l'action du Saint-Esprit qui habite en nos cœurs » (QCP 84).

Dans l'Ancien Testament, une grande importance est accordée à l'idée de la Sainteté de Dieu (qadosh), mais ce concept, qui est celui qui manifeste le plus profondément la transcendance de Dieu sur la création et son propre Être transcendant, est toujours accompagné de la manifestation d'un agir dans l’histoire qui rend présent la Sainteté dans le monde en tant que Gloire (kabod). Il est évident que cette action divine dans l'histoire n'implique pas un abaissement de Dieu, mais une élévation de la créature dans le domaine de la Sainteté. Le terme shekinahmanifeste particulièrement bien cette présence réelle Dieu en la créature en soulignant la réalité de la présence tout en intégrant en même temps la transcendance qui fait que la divinité n’est pas « emprisonnée » dans la création. Dieu « habite » avec son peuple, Il est son compagnon dans l'Histoire. La shekinah – qui signifie habiter ou demeurer – est donc une présence de salut qui manifeste la protection divine continue et le dialogue incessant avec le Peuple : à travers ses signes les plus importants (l'Arche d'Alliance, la Tente, le Temple), elle constitue, de fait, le fondement de la prière d'invocation et de la réponse divine. Plus tard le prophétisme donnera à la shekinah une tension eschatologique par laquelle la présence historique de la gloire est appelée à devenir une pleine communion lors de la restauration définitive à la fin des temps (cf. Ez 36, 26-28).

L'affirmation de cette présence continue et dialogique de Dieu dans l'histoire devient plus personnelle avec l'action de l'esprit (ruah), force divine opérante et salvifique qui agit par sa présence intérieure dans la personne humaine (cf. Joël 3, 1-5 ; Ac 2, 17) ; de fait la ruah se reposera sur le Messie et elle sera donc la pleine manifestation de l'œuvre de Dieu dans l'histoire (cf. Is 11, 1-9 ; 42, 1). Le fait que Dieu habite dans l'histoire ne se réfère pas tant à des réalités localisées comme le Temple que, fondamentalement, à une inhabitation dans l'homme.

Dans le Nouveau Testament, la shekinah est totale dans la vérité de l'Incarnation et dans la plénitude de la présence de l'Esprit en Jésus, l'Oint, comme l'affirment fréquemment les formules trinitaires du Nouveau Testament. À la Pentecôte l'Esprit se répand du Christ aux disciples comme cela avait déjà été annoncé dans les textes sur l'envoi du Paraclet. Par l'Esprit la shekinah se réalise pleinement dans le chrétien au sens propre du terme : Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons vers lui et, chez lui, nous nous ferons une demeure (Jn 14,23 ; cf. 1 Jn 2,6.24.27.28). Ce fait de « demeurer » dans le disciple a son origine dans la communion intra-trinitaire à laquelle il participe par le don de l'Esprit : Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé (Jn 17, 21).

Saint Paul souligne le rôle du Paraclet : Garde le dépôt de la foi dans toute sa beauté, avec l’aide de l’Esprit Saint qui habite en nous (2 Tm 1, 14), et évoque à cet effet, en la portant à sa plénitude, l'image vétérotestamentaire du Temple, lieu de la shekinah : Ne savez-vous pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? (1 Co 3, 16 ; cf. 1 Co 6, 19). De nombreux passages dans lesquels Paul exprime l'union spéciale entre le Christ et le chrétien se comprennent mieux dans la perspective de l'inhabitation et de la divinisation de l'homme, et une tradition ecclésiastique ininterrompue les interprète de cette manière, matérialisée dans les Lettres Encycliques Divinum illud munus (1897) de Léon XIII, Mystici corporis (1943) de Pie XII et Dominum et vivificantem (1984) de Jean-Paul II. En ce sens on affirme que l'homme vit revêtu du Christ (cf. Ga 3, 27), qu'il meurt et est enseveli dans le Christ (cf. Rm 6, 4), qu'il ressuscite à une vie nouvelle (cf. Ga 2, 20) qui est la vie des enfants de Dieu (cf. Rm 8, 14-15).

C’est à cette tradition que se rattache saint Josémaria, dont les écrits regorgent de références aux textes bibliques qui parlent directement du « trésor inestimable de l'inhabitation de la Très Sainte Trinité dans l'âme » (QCP 78), auquel nous avons fait référence dans le paragraphe précédent. Comme tant d'autres saints et mystiques, il ne se contente pas d'exposer quelque chose mais il parle à partir de sa propre expérience : « Si nous aimons ainsi le Christ, si nous nous réfugions avec une audace divine dans la plaie que la lance a ouvert dans son côté, la promesse du Maître s’accomplira : Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons vers lui et, chez lui, nous nous ferons une demeure (Jn 14, 23). Notre cœur a besoin alors de distinguer et d’adorer chacune des Personnes divines. L’âme fait en quelque sorte une découverte dans la vie surnaturelle, comme une créature qui ouvre peu à peu les yeux à l’existence. Et elle amorce un dialogue d’amour avec le Père, avec le Fils et avec l’Esprit Saint ; et elle se soumet facilement à l’activité du Paraclet vivificateur qui se donne à nous sans que nous le méritions : ce sont les dons et les vertus surnaturelles ! » (AD 306).

Comme c'est habituellement le cas dans son enseignement, ses commentaires sur la condition de l'homme élevé par la grâce gardent à l'esprit l'intégrité de l'être personnel, unité substantielle d'âme et de corps. Ainsi, commentant la vertu de chasteté, saint Josémaria n'hésite pas, en se référant à saint Paul, à parler de la corporéité comme sujet propre de l'inhabitation : Ne le savez-vous pas ? Votre corps est un sanctuaire de l’Esprit Saint, lui qui est en vous et que vous avez reçu de Dieu ; vous ne vous appartenez plus à vous-mêmes (1 Co 6, 19) Que de fois, devant la statue de la Vierge Marie, Mère du Bel Amour, ne répondrez-vous pas à la question de l'Apôtre par une affirmation joyeuse : oui, nous le savons et nous voulons vivre ainsi, avec ton aide puissante, ô Vierge, Mère de Dieu ! La prière contemplative jaillira de vous chaque fois que vous méditerez cette réalité surprenante : une chose aussi matérielle que mon corps a été choisie par l'Esprit Saint pour y établir sa demeure, je ne m'appartiens déjà plus, mon corps et mon âme – mon être tout entier – sont à Dieu ; et cette prière sera riche de résultats pratiques qui dériveront de cette grande conséquence proposée par le même apôtre : glorifiez Dieu dans votre corps ! (1 Co 6, 20) » (Entretiens 121).

2. L'inhabitation comme identification au Christ dans les sacrements

D'un point de vue théologique la doctrine sur la grâce renvoie à la participation réelle de tout chrétien à la vie du Christ. La rédemption ne s'achève pas avec les actes par lesquels le Verbe Incarné cause notre salut et envoie l'Esprit, mais dans la pleine incorporation à Lui par la foi et les sacrements aujourd’hui et, définitivement, dans la gloire. Cette incorporation au Christ est la pleine réalisation de la vocation originelle de l'homme à la communion éternelle avec la Trinité, qui se réalise concrètement à travers la vie théologique et les sacrements : « Si nous savons contempler le mystère du Christ – écrit saint Josémaria –, si nous nous efforçons de le voir avec des yeux limpides, nous nous rendrons compte que, même maintenant, il nous est possible d'entrer dans l'intimité de Jésus, corps et âme. Le Christ nous a clairement montré le chemin : le Pain et la Parole ; nous nourrir de l'Eucharistie, connaître et accomplir ce qu'Il est venu nous apprendre, et en même temps parler avec Lui dans la prière. Celui qui reçoit mes commandements et les garde, c’est celui-là qui m’aime ; et celui qui m’aime sera aimé de mon Père ; moi aussi, je l’aimerai, et je me manifesterai à lui (Jn 14,21) » (QCP 118; sur le Baptême, cf. QCP 78; sur la Pénitence, cf. QCP 64).

Dans le même ordre d'idées, et toujours en cherchant le fondement sacramentel de l'inhabitation, le texte de l'homélie sur l'Eucharistie du Jeudi Saint 1960, cité plus haut, est particulièrement significatif : le flux de l'amour trinitaire, manifesté protologiquement dans la création à l'image et à la ressemblance, y est mis en relation avec l'institution du sacrement du Corps et du Sang du Christ : « La joie du Jeudi-Saint vient de là : du fait de comprendre que le Créateur a débordé d'affection pour ses créatures. Notre Seigneur Jésus-Christ, comme si toutes les autres preuves de la miséricorde n'avaient pas été suffisantes, institue l'Eucharistie pour que nous puissions L'avoir toujours près de nous et parce que – dans la mesure où nous pouvons comprendre –, poussé par son Amour qui pourtant n'a besoin de rien, Il ne veut pas se passer de nous. La Trinité s'est éprise de l'homme, élevé à l'ordre de la grâce et fait à son image et ressemblance ; Elle l'a racheté du péché – du péché d'Adam qui est retombé sur toute sa descendance et des péchés personnels de chacun – et Elle désire vivement demeurer dans notre âme : si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons vers lui et, chez lui, nous nous ferons une demeure (Jn 14,23) » (QCP 84).

Il n'est pas possible d'enfermer dans une formule théologique la réalité de la présence réciproque du chrétien dans le Christ et du Christ dans le chrétien, et il est inutile de se référer maintenant aux diverses théories théologiques qui ont tenté de conceptualiser autant que possible ce mystère. Il est clair, en tout cas – comme le soulignent les textes cités ci-dessus – que son fondement n'est autre que la mission visible de la Deuxième Personne et, en particulier, la continuation dans l'histoire de cette mission dans l'Église à travers l'économie sacramentelle : le Christ glorieux à la droite de Dieu le Père est en même temps présent dans l'histoire et nous incorpore à Lui dans la communion dialogique[1] à travers les sept sacrements. En les recevant, la personne humaine reçoit une présence dynamique du Christ, qui trouve son expression ultime dans le signe efficace de l'Eucharistie.

3. Le rôle du Saint-Esprit

Saint Josémaria rappelle que la clé de l'inhabitation réside dans l'Amour, et donc dans le lien mystérieux et nécessaire de la mission de la Deuxième Personne avec celle de la Troisième Personne ; les deux, sans se confondre mais en même temps indissolublement unies, sont la cause de la présence dynamique des Personnes dans l'âme. Il écrit en la fête de l’Ascension : « Il est parti, et Il nous envoie le Saint-Esprit, qui dirige et sanctifie notre âme. Le Paraclet, en agissant en nous, confirme ce que le Christ nous annonçait : que nous sommes enfants de Dieu ; que nous n'avons pas reçu un esprit d'esclaves pour retomber dans la crainte, mais un esprit de fils adoptifs qui nous fait nous écrier : Abba, Père ! (Rm 8, 15) Voyez-vous ? C'est là l'action de la Trinité dans nos âmes. Tout chrétien peut accéder à cette inhabitation de Dieu au plus intime de son être s'il répond à la grâce qui nous pousse à nous unir au Christ dans le Pain et la Parole, dans la Sainte Hostie et dans la prière » (QCP 118). La présence de Dieu dans l'âme n'est pas seulement intentionnelle (comme pourrait l'être la simple présence du connu dans celui qui connaît), mais de véritable demeure commune ; c'est le don de l'Esprit qui nous rend connaturels, en mettant vraiment en communion (comme la personne aimée dans celle qui aime) la personne créée avec les Personnes divines.

Saint Thomas d'Aquin, que nous avons suivi dans les affirmations précédentes (cf. S.Th., I q. 43, a. 3) rappelle également qu'une Personne divine ne peut se rendre présente, en dehors de la Trinité, qu'en raison de sa procession éternelle, seule cause possible de la distinction personnelle et du fait même d’être Personne dans la Trinité. Toute autre présence, par grâce notamment, est commune aux trois Personnes. Le Christ est donc présent dans le chrétien indissociablement uni au Père qui l'envoie, dans la communion avec l'Esprit Saint. Avec un langage différent, saint Josémaria nous oriente la même direction. La Troisième Personne, « lien d'amour entre le Père et le Fils » (QCP 169), est le don incréé reçu par la personne humaine élevée par la grâce. Ainsi, l'Amour du Père et du Fils apparaît comme lien personnel aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur de la Trinité. Nous voyons que le don gratuit de Dieu lui-même à l'homme n'est pas une chose, mais qu'il a le caractère propre d'une communion personnelle « Nous pouvons par conséquent nous appliquer cette question de l'Apôtre : Ne savez-vous pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu, et que l'Esprit de Dieu habite en vous ? et la recevoir comme une invitation à entretenir des rapports plus personnels et plus directs avec Dieu. Le Paraclet est malheureusement pour certains chrétiens le Grand Inconnu : un nom que l'on prononce, mais qui n'est pas Quelqu'un, une des trois Personnes du Dieu unique, avec laquelle on parle et dont on vit » (QCP 134; cf. C 57).

L'Esprit Saint se rend présent dans la personne humaine et l'amour la fait participer à cette vie qu'elle possède en commun avec les deux autres Personnes. C'est ainsi que l'homme devient vraiment participant de la nature divine (cf. 2 P 1, 4) ou, comme saint Josémaria aimait à le dire, qu’il se divinise. Cette expression « se diviniser » renvoie davantage à une dimension dynamique que statique de la grâce et manifeste surtout la parfaite corrélation entre la grâce et la liberté, dans une unité difficile à conceptualiser pour la théologie, mais profondément vitale. Le texte suivant en est un bon exemple : « La piété, qui naît de la filiation divine, est une démarche profonde de l’âme, qui finit par transformer l’existence tout entière ; elle imprègne toutes les pensées, tous les désirs, tous les élans du cœur. N’avez-vous pas remarqué comment, dans les familles, les enfants, sans même s’en rendre compte, imitent leurs parents ; ils refont leurs gestes, prennent leurs habitudes, s’identifient avec eux en beaucoup de leurs attitudes. Il en va de même dans la conduite d’un bon fils de Dieu. L’on parvient ainsi, sans trop savoir comment, ni par quelle voie, à cette divinisation merveilleuse qui nous aide à envisager les événements avec le relief surnaturel que procure la foi ; on se met à aimer tous les hommes comme notre Père du Ciel les aime lui-même et, ce qui est plus déterminant, on en tire un nouvel élan dans l’effort quotidien pour s’approcher du Seigneur. J’insiste : nos misères n’ont plus d’importance, car les bras aimants de Notre Père sont là pour nous relever » (AD 146; cf. C 283).

La présence de la Trinité dans l'âme n'est pas seulement une expression adéquate de la participation à la connaissance et à l'amour intra-trinitaires qui est donnée par le don de l'Esprit. Elle exige, comme condition de la présence même de la Troisième Personne, la conformité de la volonté humaine avec la Volonté divine : en effet, par le péché, l'homme a le terrible pouvoir de rendre impossible la présence de l'Esprit et, par conséquent, d'en annuler l'inhabitation, ce qui arrive au plus haut degré dans l'orgueil : « Voilà le péché capital qui conduit à la mauvaise divinisation. L’orgueil nous pousse à suivre, peut-être sur des points très insignifiants, ce que Satan a insinué à nos premiers parents : Vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux connaissant le bien et le mal (Gn 3,5) » (AD 99; cf. AD 104; QCP 160). Dans cette perspective, la nécessité de « vivre selon l'Esprit » pour pouvoir recevoir la Parole et l'Amour se comprend pleinement. La dimension dynamique de cette manière de vivre se manifeste dans les vertus théologales par lesquelles se réalise en fait l'identification aux Personnes divines, en connaissant comme Dieu connaît et en aimant comme Dieu aime. « Vivre selon le Saint-Esprit, c'est vivre de foi, d'espérance et de charité ; c'est laisser Dieu prendre possession de nous et changer radicalement notre cœur pour le faire à sa mesure » (QCP 134).

Des vertus théologales qui, de toute évidence, éclairent depuis Dieu toutes les réalités créées. En outre, la vie théologale produite par l'Esprit Saint, en tant que manifestation opérative de l'inhabitation, s'oriente (et il ne pouvait en être autrement, étant donné la nature personnelle du Paraclet) vers le Christ. Vivre selon l'Esprit Saint, c'est reproduire toujours mieux la vie du Christ en nous : « Nous devons avancer vers le but que saint Paul nous indiquait : Je vis mais ce n'est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi (Ga 2, 20). Haute et noble ambition que cette identification avec le Christ, qui suppose la sainteté. Mais il n'y a pas d'autre chemin si l'on désire être cohérent avec la vie divine que Dieu a fait naître dans notre âme par le Baptême. Avancer, c'est progresser en sainteté ; reculer, c'est se refuser au développement normal de la vie chrétienne. Car ce feu de l'amour de Dieu a besoin d'être alimenté, de s'intensifier chaque jour en s'enracinant dans notre âme ; et c'est en brûlant de nouveaux éléments que le feu demeure vivant. C'est pourquoi, s'il ne s'étend pas, il est près de s'éteindre » (QCP 58). Plus loin, au même point, il insiste encore, en soulignant les conséquences pratiques de cette doctrine dans la vie du chrétien : « Est-ce que je progresse en fidélité au Christ ? En désirs de sainteté ? En générosité apostolique dans ma vie quotidienne, dans mon travail ordinaire parmi mes collègues ? Que chacun, tout bas, réponde à ces questions ; et il verra à quel point est nécessaire cette nouvelle transformation, pour que le Christ vive en nous, pour que son image se reflète, limpidement, dans notre conduite » (QCP 58).

4. Conséquences de l'inhabitation

L'affirmation de saint Paul dans la Lettre aux Galates – C’est le Christ qui vit en moi (Ga 2,20) –, dimension christologique de l'inhabitation, a des implications tant mystiques que morales y compris en relation avec la vie ordinaire. C'est ce que proclament certains des textes déjà cités, et c’est ce que confirme celui-ci, particulièrement riche en références bibliques : « Si seulement les hommes se décidaient à abriter l'amour de Dieu en leur cœur ! Le Christ Notre Seigneur a été crucifié et, du haut de la Croix, Il a racheté le monde en rétablissant la paix entre Dieu et les hommes. Jésus-Christ se souvient de tous : et ego, si exaltatus fuero a terra, omnia traham ad meipsum (Jn 12, 32), si vous me placez au sommet de toutes les activités terrestres, c'est-à-dire si vous êtes mes témoins lorsque vous accomplissez votre devoir de chaque instant, grand ou petit, alors j'attirerai tout à moi, omnia traham ad meipsum, et mon royaume parmi vous deviendra une réalité » (QCP 183).

Cette idée est au cœur de la spiritualité de saint Josémaria. Il est significatif que le fait de placer le Christ au sommet de toutes les activités humaines soit mis en relation avec l'amour de Dieu logé dans le cœur de l’homme. Il s'agit d'une référence claire à une conscience particulière de l'inhabitation réaffirmée lorsque, quelques lignes plus loin, il insiste explicitement sur le fait qu'accepter que le Christ habite dans le cœur du chrétien entraîne de donner à tout acte une valeur salvatrice : « Parce qu'il est homme, le chrétien vit de plain-pied dans le monde. S'il laisse le Christ régner en son cœur, il retrouvera la plénitude de l'efficacité salvatrice du Seigneur dans toutes ses activités humaines. Peu importe que cette activité soit prestigieuse ou modeste comme on dit ; car ce qui est prestigieux pour les hommes peut être modeste aux yeux de Dieu, et ce que nous appelons humble ou modeste peut confiner aux sommets de la sainteté et du service chrétien » (QCP 183).

Tout cela confirme que le concept de « divinisation », qui présuppose un contexte théologal, est fondamentalement dynamique : il correspond à l'appel qu'implique le fait d'être en Christ et exige une réponse constante. « Le Christ vit dans le chrétien. La foi nous dit que l'homme en état de grâce est divinisé. Nous sommes des hommes et des femmes, non des anges. Des êtres en chair et en os, avec un cœur et des passions, des tristesses et des joies. Mais la divinisation s'accomplit dans l'homme tout entier, comme une anticipation de la résurrection glorieuse. Le Christ est ressuscité d’entre les morts, lui, premier ressuscité parmi ceux qui se sont endormis. Car, la mort étant venue par un homme, c’est par un homme aussi que vient la résurrection des morts. En effet, de même que tous les hommes meurent en Adam, de même c’est dans le Christ que tous recevront la vie (1 Co 15, 20-22). La vie du Christ est notre vie, selon ce qu'Il a promis à ses apôtres, le jour de la dernière Cène : Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons vers lui et, chez lui, nous nous ferons une demeure (Jn 14,23). Le chrétien doit, par conséquent, vivre selon la vie du Christ, en faisant siens les sentiments du Christ, de manière à pouvoir s'écrier avec saint Paul, non vivo ego, vivit vero in me Christus (Ga 2, 20), et si je vis, ce n'est plus moi, mais le Christ qui vit en moi » (QCP 103).

Thèmes connexes : Contemplatifs au milieu du monde ; Esprit Saint ; Grâce ; Identification au Christ ; Présence de Dieu ; Sainte Trinité.

Bibliographie : AD 94-109,142-153 & 294-316; Entretiens 113-123; QCP 83-94, 102-116 & 127-138; Antonio Aranda Lomeña "El bullir de la sangre de Cristo". Estudio sobre el cristocentrismo del Beato Josemaría Escrivá, Madrid, Rialp, 2000 ; Jean Daniélou La Trinité et le mystère de l'existence, Bruges, Desclée de Brouwer, 1968 ; José María Galván Casas Elementi di Antropologia Teologica, Roma, Edizioni Università della Santa Croce, 2002 ; Jean Hervé Nicolas Synthèse dogmatique. De la Trinité à la Trinité, Fribourg, Éditions Universitaires de Fribourg, 1985 ; Gérard Philips L'union personnelle avec le Dieu vivant. Essai sur l'origine et le sens de la grâce créée, Leuven, Leuven University Press, 1989.

[1] Dialogique : qui prend la forme d’un dialogue

José María Galván