FOI

1. La vertu de foi dans la vie de saint Josémaria. 2. La référence à la foi dans les écrits de saint Josémaria. 3. La forme spécifique de prédication de la vertu de foi chez saint Josémaria. 4. Considération finale.

  1. La vertu de foi dans la vie de saint Josémaria.
  2. La référence à la foi dans les écrits de saint Josémaria.
  3. La forme spécifique de prédication de la vertu de foi chez saint Josémaria.
  4. Considération finale.

Le terme « foi » a un champ sémantique très large. Dans le langage courant, la réalité, à laquelle il renvoie, peut être très différente selon que l'on parle de « relation avec Dieu », « d'enseignement de l'Église », « de confiance en quelque chose ou en quelqu’un » ou « d'adhésion à un contenu qui n'est pas empiriquement vérifiable ». Le mot « foi » est aussi parfois utilisé comme synonyme de religion, croyance, idéal, etc. Dans le christianisme, « vie de foi » est synonyme de vie de prière et de cohérence de vie ; le « fidèle » s'identifie à celui qui croit en Dieu. Comme pour la Révélation, il y a aussi une dimension objective dans la foi, qui renvoie aux contenus ou aux enseignements auxquels on croit, et une dimension subjective, qui renvoie à la participation du sujet qui croit en Dieu, source et cause de la foi. La « profession de foi » désigne soit une attitude existentielle du croyant, soit le contenu dogmatique des articles de foi objets de croyance.

La théologie du XXe siècle, notamment à travers le personnalisme chrétien, a insisté sur la dimension subjective de la foi personnelle (Jean Mouroux, Emmanuel Mounier, Romano Guardini), montrant la valeur de la foi en quelqu'un, avant même celle de la foi en quelque chose. L’adhésion à une personne qui communique ou révèle, complète ainsi la perspective antérieure principalement présente dans la néo-scolastique, qui privilégiait la foi comme connaissance du contenu de la Révélation. Les deux perspectives contribuent à une juste compréhension de la foi, comme le montre la relation entre les déclarations complémentaires du Concile Vatican I (DF 3) et du Concile Vatican II (DV, 5).

L'Écriture Sainte, aussi bien l'Ancien que le Nouveau Testament, rapporte la foi avant tout à l'écoute, à l'obéissance et à la conversion (Gn 15, 6 ; Jn 3, 1-5 ; Lc 1, 38 ; Lc 11, 28 ; Rm 1,5 ; Rm 16,26 ; 2 Co 10.5-6). La foi s'exprime par la prière et par la détermination de la liberté à suivre la volonté de Dieu, à laquelle le croyant adhère. Dans le langage biblique, la foi indique une situation existentielle, une adhésion stable à Dieu-Vérité, un agir qui révèle une connaissance nouvelle et plus profonde (Is 7, 9 ; Is 43, 10-12 ; Ps 77 [Vg 76] ; Jn 10, 38 ; Jn 17, 8). La foi naît de l'écoute de la Parole de Dieu et, en même temps, permet de reconnaître toute la profondeur de cette Parole, d'en accepter les conséquences (Is 53, 1 ; Rm 10, 17). La foi attire l'homme vers un horizon de grâce qui le rend participant de la vie et de la connaissance divines. L'accomplissement de la Révélation en Jésus-Christ explicite la nature de la foi : c’est une adhésion à la Personne divine qui révèle, si bien que cette foi peut se résumer comme foi dans le Fils, envoyé par le Père pour le salut du monde. Les évangiles synoptiques sont explicites en présentant la foi comme la foi en la capacité de Jésus à accomplir l'œuvre de Dieu, à faire des miracles, car Lui-même est le Fils de Dieu. Dans le langage de saint Jean, mais aussi de saint Paul, la foi est présentée par la construction croire en, se référant à la personne de Jésus (Jn 2, 11 ; Jn 3, 15-18 ; Jn 17, 20 ; Ga 2, 16). La foi a une dimension radicalement théologique : Dieu est son objet, mais aussi la raison, la forme et la cause finale. Ceci est également vrai en ce qui concerne la dimension christologique : Jésus-Christ se propose comme objet, raison et fin de la foi. C’est également vrai en ce qui concerne la dimension ecclésiale : la foi engendre la communion entre les croyants, elle se nourrit de cette communion. La foi est professée et gardée dans l'Église : nul ne peut être seul s'il veut rester en sécurité dans sa condition de croyant.

Dans le dynamisme de la vie chrétienne se manifeste la relation nécessaire entre la foi et les œuvres, ce qui nous conduit à parler de « foi vécue ». La condition normale de la vertu théologale de foi est d'être informée par la charité, sans laquelle la foi s'affaiblit et, bien qu'elle puisse théoriquement exister sans elle, elle disparaît en pratique ou tend à se perdre sans elle. En fait, avec la charité, la foi est la vertu la plus importante dans la vie des saints. Cette foi se manifeste à travers des œuvres audacieuses, souvent à contre-courant, capables même d'aller jusqu’au martyre. Ce dernier point met en évidence la valeur de connaissance que la foi a chez celui qui l'exerce, et aussi son lien indissoluble avec l'amour, car tous deux manifestent l'adhésion et le don de l'homme à Dieu. Dans l'expérience des saints, la foi peut parfois avoir des manifestations peu spectaculaires, comme celles qui se produisent dans les activités quotidiennes de la vie ordinaire, mais elle sera toujours associée aux « œuvres de foi », reconnaissables par ceux qui vivent à proximité de ces personnes saintes ou qui connaissent plus profondément leur vie intérieure.

Les réflexions qui précèdent offrent un cadre conceptuel et sémantique qui nous aide à entrer dans la réflexion sur la foi chez saint Josémaria. Nous procéderons en dressant un bref et synthétique aperçu de sa vie de foi, pour comprendre ensuite sa doctrine.

1. La vertu de foi dans la vie de saint Josémaria

« J'ai l'impression que même si je restais seul dans cette entreprise, avec la permission de Dieu, même si je me retrouvais déshonoré et pauvre – plus que je ne le suis maintenant – et malade… je ne douterais pas de la divinité de l'Œuvre, ni de sa réalisation ! Et je suis fermement convaincu que les moyens sûrs d'accomplir la Volonté de Jésus, plutôt qu'agir et bouger, sont : prier, prier et prier ; expier, expier et expier » (Notes intimes, n. 1699 : AVP, I, p. 474). Cette phrase de ses Notes intimes, écrite au début des années 1930, résume bien la profondeur avec laquelle la vertu de foi a éclairé, tout au long de sa vie, son rôle de fondateur de l'Opus Dei. Sa prédication sur la foi ne se distinguait pas de sa vie : elle s'exprimait intérieurement dans sa relation personnelle avec Dieu, et extérieurement à travers les décisions qu'il prenait et les œuvres qu'il entreprenait. Forgée à partir de son expérience personnelle et en même temps considérée comme un don de Dieu, il aimait à répéter que sa foi était « une foi si épaisse qu'on pouvait la couper au couteau » (URBANO, 1995, p. 374).

La vertu de foi s’est forgée progressivement chez saint Josémaria t. Elle se manifeste dès son adolescence comme une foi en Dieu, qu'il reconnaît comme l'Auteur d'un appel dont il ne connaît pas encore pleinement le contenu, mais qu'il estime suffisant pour guider complètement – dans une décision irrévocable – toute sa vie. C'est la foi théologale qui l'a conduit à être fidèle à cette décision avec une prière constante, demandant à Dieu, par l'intercession de Marie, des lumières pour comprendre ce qu'il devait faire, comme en témoigne, fin 1924, la prière insistante à travers l'oraison jaculatoire Domine ut videam, Domina ut sit ! C'est aussi par un acte de foi généreux et radical qu'il répond promptement et docilement à la lumière fondatrice reçue le 2 octobre 1928. Le fruit de sa foi en Dieu était la certitude avec laquelle, en prêchant à ses enfants, il voulait constamment les assurer de l'origine surnaturelle de l'Opus Dei. Emblématiques en ce sens sont les premières considérations sur la divinité de ce que Dieu lui avait confié, et qui apparaissent dans l'importante Instruction sur l'esprit surnaturel de l’Œuvre de Dieu, datée du 19 mars 1934, ou les dernières réflexions sur la certitude de la vocation divine et de l’appel qu'il a adressées à ses enfants, le 19 mars 1975, quelques mois avant sa mort (cf. REQUENA - SESÉ, 2002, p. 150).

Pendant les dix premières années de l'Opus Dei, sa foi a été mise à l'épreuve par les difficultés du début. « Les âmes s'échappaient comme les anguilles s'échappent dans l'eau » (Méditation, 2 octobre 1962 : AVP, I, p. 452), affirmait-il, se référant à la fois à l'effort pour rassembler un premier groupe de personnes qui puissent le suivre dans son idéal apostolique, comme au manque de persévérance de certains qui avaient commencé à le suivre. Des difficultés importantes vinrent de certains prêtres auxquels il avait demandé de l'aider dans la direction spirituelle des premiers membres de l'Opus Dei, car ils n'étaient pas en syntonie avec le fondateur. Parmi les circonstances qui conduisirent à un nouvel exercice de foi, il y eut, en premier lieu, la mort prématurée de personnes qui étaient pour lui un soutien fondamental dans la consolidation et le développement de l'Opus Dei : José María Somoano (1931), le prêtre qui, dans ces années, avait le mieux compris l'idéal apostolique de saint Josémaria ; ou encore Luis Gordon (1932), l'un des premiers à exprimer sa ferme décision de consacrer sa vie à l'Opus Dei.

Le contexte dans lequel saint Josémaria a donné un témoignage, sans aucun doute héroïque, de foi, a été la guerre civile en Espagne (1936-1939), avec la persécution religieuse, la souffrance morale et le danger de mort constant qui l'accompagnaient. Les moments particulièrement significatifs ont été le refuge dramatique dans la légation du Honduras (avril-août 1937) et la traversée des Pyrénées vers l'autre zone de l'Espagne (novembre 1937), après avoir pris la décision, en conscience et en présence de Dieu, de s'éloigner de Madrid non pour s'évader, mais pour le bien de la nouvelle institution. Il eut la douleur de se séparer de certains fidèles de l'Opus Dei, de sa mère et de ses frères, et d'amis qui restaient en situation de danger dans la capitale de l'Espagne.

A deux moments précis, la foi de saint Josémaria fut particulièrement mise à l'épreuve, en 1933 et en 1941, lorsque le Seigneur laissa surgir en lui le doute de savoir s'il avait agi pour des motifs humains, par désir inconscient d'affirmation personnelle. Il surmonta ces moments avec un nouvel acte d'abandon à la volonté de Dieu, demandant au Seigneur de détruire l'Opus Dei s'il ne faisait pas Sa volonté, renonçant même à son propre honneur, si Dieu le voulait ainsi (cf. AVP, I, pp. 498-500). Un exercice persévérant de la vertu de foi a également caractérisé la vie du fondateur dans les événements qui ont accompagné le développement de l'Opus Dei en Espagne dans les années qui ont suivi la fin de la guerre civile, en raison des nombreux malentendus, parfois aussi des calomnies, dont il fut l'objet, et plus tard au cours du long processus juridique des approbations pontificales de la nouvelle institution, au cours duquel il surmonta bien des difficultés avec la claire conscience d'avoir reçu de Dieu un charisme qu'il devait défendre et préserver.

Il a toujours considéré la prière comme « l'arme principale » pour faire tout ce que Dieu lui demandait. De cette manière, un lien unique entre foi, prière et optimisme s'est consolidé dans sa vie et dans sa prédication, souvent exprimé dans la répétition du verset biblique « Non est abreviata manus Domini » (Is 50, 2 ; 59, 1). Dès les premières années de son activité sacerdotale, il développa sa foi en l'intercession de Marie, la Mère de Dieu, en l'intercession des saints, ainsi que la dévotion aux saints patrons et intercesseurs de l’Œuvre, choisis peu après sa fondation. C'est dans le contexte de sa vie de foi et de sa prière de demande que l’on doit situer les nombreux pèlerinages et consécrations qu'il a accomplis ; en particulier la consécration au Cœur Immaculé de Marie, formulée à Lorette le 15 août 1951, et la neuvaine à la Vierge de Guadalupe au Mexique, en mai 1970, par laquelle il a voulu répondre aux difficultés objectives et graves souffertes pendant ces années par l'Opus Dei et par l'Église elle-même.

En phase avec les grandes entreprises qui caractérisent la vie des saints, souvent perçues comme imprudentes ou téméraires par leurs contemporains, une manifestation de la foi opérative du fondateur a été la promotion de nombreuses œuvres d'apostolat et d'initiatives éducatives ou de formation : l'installation du premier siège d'un Centre de l'Opus Dei à Madrid, au milieu grandes difficultés économiques, suivies de la première expansion en Espagne puis de l'expansion à travers l'Europe et le monde ; autant d'initiatives qui indiquent une foi profonde dans le Seigneur et dans l'origine divine du charisme qu'il se sentait appelé à répandre. Avec la même foi, émergèrent le siège de l'Opus Dei à Rome (1948) et les premières grandes œuvres collectives dans le monde, de l'Université de Navarre en Espagne (1952) et de l'Université de Piura au Pérou (1969), jusqu'à la construction de Cavabianca (1974), siège du Collège romain de la Sainte Croix, érigé en 1948, qu'il décrivit comme l'une de ses « dernières folies ». Proche de la fin de sa vie, il exprimait sa foi profonde en la divine Providence qui l'avait accompagné à tous ses pas : « Un regard en arrière… Un panorama immense : tant de douleurs, tant de joies. Et maintenant, que des joies, que des joies... Parce que nous avons l'expérience que la douleur est due aux coups de marteau de l'Artiste, qui veut faire de chacun, de cette masse informe que nous sommes, un crucifix, un Christ, l'alterChristus que nous devons être » (BERNAL, 1976, p. 317).

Chez le fondateur de l'Opus Dei, la foi vécue assume une dimension confiante d'abandon filial à la volonté de Dieu, exprimée par la répétition fréquente, pour lui-même et pour les autres, de la prière jaculatoire Omnia in bonum ! (Cf. Rm 8, 28 ; ECHEVARRIA, 2000, pp. 70-83). Sa vie spirituelle était soutenue par la ferme conviction de la présence paternelle et proche de Dieu. Elle se manifestait, soit dans une foi singulière et profonde en la présence réelle de Jésus-Christ dans l'Eucharistie (cf. ECHEVARRÍA, 2000, pp. 228- 230, 237-238), naturellement liée à une foi ferme dans la valeur infinie de la Sainte Messe ; soit dans le recours à une prière filiale continue de demande, qu'il vivait et prêchait. À côté de ces dimensions qui délimitent la portée personnelle de cette vertu, qui est don à Dieu, adhésion ferme et abandon confiant à sa Parole (fides qua creditur), la foi du fondateur de l'Opus Dei avait une dimension objective incontestable, qui se manifestait dans son souci de croire et de transmettre fidèlement tout ce que l'Église propose en matière de foi (fides quae creditur). Personnellement convaincu que la foi grandit et s'approfondit avec la prière et l'étude, saint Josémaria ne se lassait pas d'enseigner que le pire ennemi de Dieu et de la foi est l'ignorance (cf. F 635 ; S 346 ; AD 171 ; AIG, p. 60). Dans sa vie personnelle, il s'adressait fréquemment à Dieu avec l'exclamation Adauge nobis fidem, spem et caritatem ! (Cf. Lc 17, 5-6), désireux que le Seigneur augmente sa foi. Les tentations contre la foi étaient certes, comme chez tant de saints, présentes (cf. CECH, pp. 726-728), mais elles ne l'ont jamais conduit à douter consciemment de Dieu, ou de la vérité révélée, et il l'a ainsi enseigné à ceux qui vivaient avec lui (cf. ECHEVARRÍA, 2000, pp. 17-20). Enfin, il n'est pas superflu de citer comme témoignages éloquents de la foi théologale du fondateur de l'Opus Dei les nombreux lieux de culte qu'il a promus et les remarquables œuvres d'art sacré qu'il a voulu faire réaliser et dont il suivait l'exécution avec attention. C'était une foi incarnée dans ces ostensoirs processionnels riches et artistiques qu'il voulait pour l'Eucharistie, dans les oratoires et tabernacles dont il inspira les dessins, dans les retables monumentaux, les peintures et les sculptures qu'il commanda, et, comme en résumé, dans la construction du grand sanctuaire marial de Torreciudad en Aragon.

2. La référence à la foi dans les écrits de saint Josémaria

En raison de ses multiples contextes, biblique, doctrinal et ascétique, et de l'étendue du champ sémantique associé, les références au concept de la vertu de foi sont très nombreuses dans les écrits du fondateur de l'Opus Dei. Dans les textes déjà publiés, il traite abondamment des thèmes dans lesquels se reflète la valeur de la foi : la prière, l'apostolat, les fins dernières, le culte eucharistique, l'amour pour l'Église, l'optimisme dans la lutte ascétique. Les références bibliques, souvent implicites, sont nombreuses, mais il ne semble y avoir aucune préférence importante à l'exception des versets « omnia in bonum » (cf. Rm 8, 28) et « Ecce non est abbreviata manus Domini » (Is 50, 2 ; 59, 1), qui dans la trilogie connue sous les noms de Chemin, Sillon et Forge, et dans les homélies, apparaissent quatre fois. Ses commentaires sur cette vertu s'articulent autour de deux sens fondamentaux : la foi comme connaissance à laquelle adhérer fermement, avec des conséquences claires et précises, et la foi comme abandon filial à la volonté de Dieu. Ces commentaires expriment très bien la présence des deux dimensions, la doctrinale-objective et la personnelle-subjective, avec lesquelles l'Écriture Sainte présente cette vertu.

Il souligne avec force la relation entre la foi et les œuvres, reflétée dans sa prédication sur l'unité de la vie, surtout lorsqu'il explique comment la foi doit soutenir l'apostolat et l'action évangélisatrice. Il établit une relation profonde entre foi et prière, reflet de la conscience de sa propre filiation divine, qui conduit à un abandon confiant à la Providence. Il y a aussi des références fréquentes à la foi comme connaissance, au rapport entre foi et vocation chrétienne et à la confiance en la grâce de Dieu qui apporte toute l'aide nécessaire à sa vocation chrétienne. L'unité de vie et la filiation divine semblent donc être les lignes directrices implicites de la prédication sur la foi, qui sont au fond de la prédication de saint Josémaria.

Dans Chemin, le terme « foi » apparaît trente-deux fois, dont environ la moitié, comme il fallait s'y attendre, dans le chapitre « Foi ». Dans Sillon, quarante-quatre fois : le chapitre avec le plus grand nombre de références est « Joie » (cinq fois), bien que l'on en retrouve une présence significative dans « Vie intérieure », « Audace », « Humilité », « Responsabilité » et « Rayonnement ». Sur les soixante-cinq fois où le terme apparaît dans Forge, seize se trouvent dans le chapitre « Pessimisme », dont les points sont orientés pour susciter la réaction surnaturelle du chrétien dans les moments de découragement spirituel. La présence du terme est moins significative, mais tout aussi réelle, dans les autres chapitres, notamment dans « Victoire » et « Rebondir ».

Parmi les homélies publiées, l’une est explicitement dédiée à notre thème, Vie de foi (1947), mais cette vertu est largement glosée dans de nombreux autres contextes de sa prédication. En particulier, les références à la foi sont nombreuses dans les trois homélies recueillies dans Quand le Christ passe, qui portent sur le Triduum sacré :L'Eucharistie, mystère de foi et d'amour (1960), La mort du Christ, vie du chrétien (1960), le Christ présent chez les chrétiens (1967). Une réflexion suggestive et profonde sur la relation entre la foi et l'obéissance intelligente chez saint Joseph est également proposée dans l'homélie Dans l'atelier de Joseph (1963). Dans Vers la sainteté (1967), saint Josémaria expose le développement de la vie spirituelle de l'âme qui vit de foi, également dans les moments de solitude, où Dieu appelle à un plus grand don de soi par la foi, tandis que dans L'Épiphanie du Seigneur (1956) il parle du « chemin de foi », sur lequel le chrétien, suivant l'étoile de sa vocation, doit affronter les épreuves, renforcer sa propre certitude, persévérer dans les moments de clair-obscur. Des passages spécialement consacrés à la foi apparaissent dans d'autres homélies : Mère de Dieu, notre mère (1964, « La Vierge, maîtresse de foi, d'espérance et de charité », AD 284-288) et la Vocation chrétienne (1951, « La foi et l'intelligence », QCP 10).

Dans ces homélies et dans d'autres écrits, la référence à la dimension ecclésiale de la foi apparaît aussi fréquemment. Ainsi, par exemple, l'homélie La fin surnaturelle de l'Église (1972) développe la dimension de l'Église, comme objet matériel et formel de la foi chrétienne, et comme extension de la foi théologale elle-même. Il rappelle fréquemment que le chrétien reçoit la foi en participant à la vie de l'Église, et dans son foyer s'il est né dans une famille chrétienne (cf. QCP 27-30), ainsi que la nécessité d'être fidèle au Magistère ecclésiastique, guide et critère sûr de la vérité de la foi (cf. QCP 34)

Dans les entrevues recueillies dans Entretiens avec Mgr Escrivá de Balaguer, le thème de l'unité de vie des laïcs est fréquent. Il naît de la nécessité qu’ont les personnes présentes dans toutes les professions et réalités terrestres honnêtes, de manifester leur foi à travers leurs œuvres : « il s'agit – déclare-t-il – de former, en toute liberté, ses propres opinions sur tous les sujets temporels qui sont laissés à la liberté des chrétiens et d'assumer ses responsabilités personnelles en matière de pensée et d'action, en restant conséquent avec la foi qu'on professe » (Entretiens 90).

3. La forme spécifique de la prédication de saint Josémaria sur la vertu de foi

Dans la section précédente, nous avons offert un aperçu qui nous permet maintenant d'examiner de près, à titre d'exemple, quelques-unes des formes que prennent l'enseignement et la prédication de saint Josémaria sur la foi.

Dans l'homélie Vie de foi, il commente quatre miracles de guérisons : ceux de deux aveugles - l'aveugle-né à Jérusalem (cf. Jn 9, 1-41) et Bartimée à Jéricho (cf. Mc 10, 46-52) -, la guérison de l'hémorroïsse (cf. Mt 9, 20-22) et celle d'un jeune lunatique (cf. Mc 9, 14-29). Les deux premiers miracles servent à souligner combien la foi est lumière, connaissance, splendeur, suivant ce qu'il affirme dans Chemin (cf. C 575). Les troisième et quatrième permettent de commenter de l'union entre la foi et l'humilité dans le cadre de la prière de demande. Ces deux perspectives servent de toile de fond sur laquelle s'impose progressivement un troisième thème : la confluence de la foi dans les œuvres qui lui sont propres, aspect qui apparaît aussi, et avec force, dans Chemin (cf. C 577-580, C 583 -586). Ces œuvres sont des « œuvres de Dieu dans le chrétien qui vit de foi », car c'est de Dieu que vient l'efficacité. « Jésus-Christ pose comme condition que nous vivions de la foi : alors nous serons capables de déplacer des montagnes. Il y a tant de choses à déplacer dans le monde, et d’abord... dans notre cœur. Tant d’obstacles à la grâce ! Alors, ayez la foi et les œuvres, la foi et l’esprit de sacrifice, la foi et l’humilité. La foi fait de nous des créatures toutes-puissantes : Tout ce que vous demanderez dans une prière pleine de foi, vous l’obtiendrez (Mt 21,22) » (AD 203). Il n'est pas difficile de voir des implications autobiographiques dans ces considérations : la foi est un engagement personnel, mais aussi lumière divine qui répond à ce « Ut videam ! » tant de fois répété dans la préhistoire de l'Opus Dei et dans les premières années. La foi le poussait à la prière incessante, demandant à Dieu la force et le discernement pour accomplir ce qui était humainement au-delà de ses forces ; et il souhaitait, en même temps, que cette même foi anime les œuvres d'apostolat des fidèles de l'Opus Dei, et en général, de tous les chrétiens. Dans cette perspective de foi, il se sentait obligé d'encourager, d'exhorter, de tirer du sommeil (cf. S 1) tous les chrétiens afin qu'en vertu de leur baptême, ils agissent de manière cohérente, désirant que chacun devienne un apôtre qui « rayonne la lumière de [sa] foi et de [son] amour » (C 1). C'est sans doute aux lumières de fondation qu'appartient la conviction que si tous les chrétiens vivaient en accord avec leur propre foi, ils provoqueraient une authentique révolution spirituelle, portant à son accomplissement, avec le Christ, la mission de réorienter le monde vers Dieu (cf. C 301 ; S. 945 ; F 1 ; ECP 183).

L'homélie Dans l'atelier de Joseph nous place devant d'autres éléments significatifs de la vertu de foi. Partant de la foi de Joseph – présenté comme l'exemple du juste qui vit de la foi (cf. Ha 2, 4 ; Rm 1, 17 ; He 10, 38) – il contemple les liens de cette vertu avec l'obéissance, l'intelligence et l’amour, suivant une trame qui se reproduit ailleurs dans sa prédication. Selon une « stratégie » fréquente dans son travail de formation et de catéchèse, il affirmait que la foi se manifeste dans des œuvres d'obéissance prompte, active et intelligente, qui doivent être soutenues par la liberté de l'amour. « La justice n'est pas simple soumission à une règle. La droiture doit naître de l'intérieur, elle doit être profonde et source de vie, car le juste vit de la foi (Ha 2, 4). Vivre de la foi ! Saint Joseph a accompli pleinement ces mots, qui furent si souvent par la suite thème de méditation pour l'apôtre Paul. Il accomplit la volonté de Dieu sans routine ni formalisme, avec spontanéité et profondeur. La loi qu'observait tout juif pratiquant ne fut pas seulement pour lui un code ou un froid recueil de préceptes, mais l'expression de la volonté du Dieu vivant. Aussi sut-il reconnaître la voix du Seigneur quand elle se manifesta à lui de façon surprenante et inattendue » (QCP 41). L'imitation de la foi du saint Patriarche devient ainsi un programme de vie pour le chrétien : « La foi de Joseph ne fléchit pas, son obéissance est toujours stricte et rapide (…). Joseph s'est abandonné sans réserve entre les mains de Dieu, mais il n'a jamais refusé de réfléchir aux événements, et ainsi il a pu obtenir du Seigneur ce degré de compréhension des œuvres de Dieu, qui est la vraie sagesse. De cette façon, il a progressivement appris que les conceptions surnaturelles ont une cohérence divine, qui est parfois en contradiction avec les plans humains » (QCP 42).

Tout cela transmet aussi une vision implicite du rapport entre foi et raison : éclairée par le principe de l'Incarnation, qui revalorise tout ce qui appartient à la nature et sa capacité de savoir, la vie de foi se développe en harmonie avec le savoir humain, la prudence et la compétence. « Le Patriarche ne renonce pas à penser, dans les diverses circonstances de sa vie ; il n'abandonne pas non plus ses responsabilités ; il met au contraire toute son expérience humaine au service de sa foi. (...) Telle fut la foi de saint Joseph : totale, confiante, entière ; elle se manifeste par une obéissance intelligente et une soumission active à la volonté de Dieu » (QCP 42). En contemplant saint Joseph, le fondateur de l'Opus Dei souligne aussi que les trois vertus théologales se revendiquent mutuellement, de sorte que ce doit toujours être la charité qui informe les œuvres que la foi anime : « Sa foi se confond avec l’amour : avec l'amour de Dieu, qui était en train d'accomplir les promesses faites à Abraham, à Jacob et à Moïse ; avec son affection d'époux envers Marie, avec son affection de père envers Jésus. Foi et amour, dans l'espérance de la grande mission que Dieu, en se servant aussi de lui, charpentier de Galilée, entreprenait dans le monde : la Rédemption des hommes » (QCP 42).

Une bonne partie du cheminement spirituel esquissé dans l'homélie Vers la sainteté suppose un lien profond entre la foi, l'abandon confiant à Dieu et la filiation divine ; un abandon auquel saint Josémaria exhorte le chrétien pour affronter des moments de clair-obscur et d'apparente aridité spirituelle. C'est donc la foi en la providence de Dieu, la foi en un Dieu qui, en tant qu'amour tout-puissant, est capable de faire sortir le bien du mal, la lumière qui nous fait comprendre que des événements apparemment adverses révéleront un jour sa bonté (cf. AD. 304-305). Une foi manifestée dans l'acceptation sereine et aimante de l’omnia in bonum (cf. ECHEVARRÍA, 2002, pp. 70-83), exercée dans la certitude d'être enfant de Dieu et même dans une attitude saine d’enfance spirituelle, reconnaissant la présence de Dieu notre Dieu Père dans toutes les circonstances de la vie : « Nous avons besoin de davantage de foi, de davantage de foi. Et, avec la foi, de contemplation (…). Quand la foi faiblit, l’homme tend à s’imaginer Dieu comme s’il était lointain, comme s’il se préoccupait à peine de ses enfants. Il voit dans la religion quelque chose de surajouté, pour les cas où il n’y a plus rien à faire ; il attend sans trop savoir pourquoi des manifestations grandioses, des événements insolites. En revanche quand l’âme vit de foi, elle découvre que le chemin du chrétien ne l’éloigne pas de la vie humaine courante et habituelle. Et que cette grande sainteté, que Dieu nous demande, réside, ici et maintenant, dans les petites choses de chaque jour » (AD 312 ; S 658).

4. Considération finale

Dans les textes où saint Josémaria parle de la foi, il y a un clair écho de la doctrine sur la foi considérée comme « connaissance », comme fides quae, c'est-à-dire comme contenu de ce qui est cru. Le contexte dans lequel le fondateur de l'Opus Dei a étudié pendant ses années de séminaire a été marqué par la compréhension de la foi comme une vertu qui éclaire l'intelligence, comme l'a rappelé le Concile Vatican I. Dans les textes de saint Josémaria et dans les mémoires et commentaires de ceux qui l'écoutaient apparaît souvent la référence à la foi comme dépôt à sauvegarder, comme doctrine à défendre, à laquelle s'ajoute parfois l'expression « intransigeance de la foi ». À première vue, d'une lecture superficielle qui brise l'unité des textes et isole certains passages, il pourrait sembler que la dimension personnelle et subjective de la foi est plus faible ou moins prononcée. Mais ce n'est pas le cas, comme le montrent de nombreux textes déjà cités, et cela mérite maintenant d'être commenté.

L'acception de la foi comme connaissance, essentielle dans la compréhension catholique de cette vertu, est très présente dans les écrits de saint Josémaria. Elle coexiste non seulement avec d'autres perspectives déjà évoquées, mais elle est aussi orientée vers l'acquisition d'un « regard filial », fruit d'une relation personnelle avec Dieu le Père dans le Christ et sous l'action de l'Esprit Saint. La foi nous conduit à accéder à un nouvel ordre de connaissance, l’ordre divin, qui nous fait participer à la connaissance que Dieu a des choses, et par conséquent nous montre le sens profond des situations, la valeur réelle des choses et des circonstances, nous conduisant à les juger comme un fils ou une fille les jugerait (cf. C 279, C 575 ; cf. ECHEVARRÍA, 2000, p. 174). « Cette certitude que nous donne la foi nous fait contempler ce qui nous entoure sous un jour nouveau et, bien que tout demeure pareil, nous avons la sensation que tout est différent, parce que tout est expression de l'amour de Dieu » (QCP 144).

Il ne serait pas difficile de trouver un parallèle entre cette manière de comprendre la foi et la compréhension de la foi comme « vision catholique du monde », comme l'ont dit certains auteurs, par exemple Romano Guardini (cf. Vom Wesen katholischer Weltanschauung, 1923). La foi génère un regard, le regard du Christ, et la capacité de recevoir une forme, la forme du Christ. Telle est la forme filiale, qui nous permet de voir les choses sous un jour nouveau : « Si nous étions conséquents avec notre foi, en regardant autour de nous, en contemplant le spectacle de l'histoire et du monde, nous ressentirions en notre cœur ces sentiments de Jésus : À la vue des foules Il en eut pitié, car ces gens étaient las et prostrés comme des brebis qui n'ont pas de berger. (Mt 9,36) » (QCP 133). Nous sommes donc face à une compréhension de la foi comme connaissance, mais une connaissance qui est le fruit de l'identification avec Jésus-Christ, et qui connote donc le don, l'engagement pour la liberté qui implique toute la personne, en cohérence avec les perspectives théologiques ouvertes depuis Vatican II, en relation avec une compréhension de la foi qui intègre les perspectives personnalistes.

La manière dont le fondateur de l'Opus Dei insiste sur la relation étroite entre la foi et les œuvres souligne l'engagement de la liberté sous le regard de la foi et permet donc de comprendre cette vertu comme don de toute la personne. Conscients de la présence du Christ en nous et de notre don à Lui, notre foi se manifeste nécessairement dans les œuvres, qui sont les œuvres du Christ (cf. QCP 113-116). La foi est, par essence, l'expression d'un don, d'un engagement total et d'un amour fidèle : « Doce me facere voluntatem tuam, quia Deus meus es tu, apprends-moi à accomplir ta volonté, parce que tu es mon Dieu (Ps 142 [Vg 141], 10). (…) Si nous aimons ainsi la Volonté divine, nous comprendrons que la valeur de la foi ne réside pas seulement dans un clair énoncé de celle-ci, mais encore dans notre ardeur à la défendre par des œuvres : et nous agirons en conséquence » (AD 198).

Enfin, il convient de souligner la présence, dans l'enseignement de saint Josémaria, d'une forte conscience de la dimension ecclésiale de la foi, qui se manifeste également dans ce contexte particulièrement important et délicat, qu’est celui de la tentation et du doute. Tout au long de sa vie et dans les grands événements qui l'ont caractérisée, saint Josémaria a toujours réaffirmé sa filiation à l'Église (cf. l'homélie Loyauté à l'Église, in AIG, pp. 13-38), de sorte que cette filiation se traduisait par une réponse claire et déterminée pour conjurer la tentation et renforcer sa propre foi : « Quelle infâme lucidité dans la dialectique de Satan contre notre foi catholique ! Mais disons-lui toujours, sans entrer en discussion : je suis fils de l’Église » (C 576). Probablement héritée de sainte Thérèse d'Ávila (cf. CECH, p. 728), cette expression « Je suis fils de l'Église » se retrouve maintes fois répétée dans ses Notes intimes (cf. No 1621 et 1668 :CECH, pp. 727-728). Les différents contextes montrent qu'il ne s'agit pas d'une phrase qu'il se contente de répéter, ou à laquelle il recourt pour qualifier certains moments particuliers de son combat ascétique concret. Cela exprime plutôt la conscience que la vertu de foi ne se situe pas au niveau des états d'âme personnels mais qu'elle se reçoit et s'enseigne dans l'Église, se nourrit de la tradition des saints et des martyrs, et est soutenue par la vie du Corps mystique.


Thèmes connexes : Abandon ; Contemplatifs au milieu du monde ; Conversion ; Prière ; Présence de Dieu ; Unité de vie.

Bibliographie : AD 294-316 ; AIG, p. 39-61 ; C 575-588 ; QCP 39-56, QCP 83-94, QCP 95-101, QCP 102-116 ; F 216-285, F 588-677 ; S 96-124 ; CECH, p. 725-735 ; Manuel BELDA Guiados por el Espíritu de Dios. Curso de Teología Espiritual, Madrid, Palabra, 2006 Salvador BERNAL Mons. Josemaría Escrivá de Balaguer. Apuntes sobre la vida del Fundador del Opus Dei, Madrid, Rialp, 1976 ; Javier ECHEVARRÍA Memoria del Beato Josemaría Escrivá. Entrevista con Salvador Bernal, Madrid, Rialp, 2000 ; José Luis ILLANES Tratado de Teología Espiritual, Pamplona, EUNSA, 2007 ; José Miguel ODERO, “La virtud de la fe en Camino”, en José MORALES (coord.) Estudios sobre Camino, Madrid, Rialp, 1988, pp. 291-312 ; Federico REQUENA - Javier SESÉ Fuentes para la historia del Opus Dei, Barcelona, Ariel, 2002 ; Pedro Rodríguez Fe y vida de fe, Pamplona, EUNSA, 20134 Pilar URBANO El hombre de Villa Tevere. Los años romanos de Josemaría Escrivá, Barcelona, Plaza & Janès, 1995.

Giuseppe TANZELLA-NITTI