FILIATION DIVINE

Origine contemplative d’une doctrine. La filiation divine, fondement de la vie spirituelle. Filiation divine et identification avec le Christ. L’Esprit Saint et la filiation divine. La participation dans la filiation du Verbe. Filiation divine, liberté et vie ordinaire. Filiation divine et prière. Filiation divine, fraternité et apostolat. La joie et la conversion des enfants de Dieu.

  1. Origine contemplative d’une doctrine.
  2. La filiation divine, fondement de la vie spirituelle.
  3. Filiation divine et identification avec le Christ.
  4. L’Esprit Saint et la filiation divine.
  5. La participation dans la filiation du Verbe.
  6. Filiation divine, liberté et vie ordinaire.
  7. Filiation divine et prière.
  8. Filiation divine, fraternité et apostolat.
  9. La joie et la conversion des enfants de Dieu.

Lorsqu’est venue la plénitude des temps, Dieu le Père a envoyé son Fils éternel afin que, se faisant homme, Il nous rachète et nous accorde l'adoption filiale (cf. Ga 4, 4-5) : la possibilité d'être vraiment des enfants du Père dans le Christ par le Saint-Esprit. La révélation de la paternité divine est l'un des contenus fondamentaux du message chrétien. Dieu prend soin des hommes avec amour, comme un père prend soin de ses enfants. La reconnaissance de la filiation divine traverse l'histoire de la spiritualité chrétienne, se manifestant avec une force particulière et des accents divers chez certains saints et auteurs spirituels. Chez saint Josémaria, la filiation divine du chrétien est contemplée et vécue avec une hauteur et une radicalité particulières, comme fondement de toute vie spirituelle. Dans ses enseignements, « le nerf central est le sens de la filiation divine » (DEL PORTILLO, QCP, « Présentation »).

1. Origine contemplative d'une doctrine

En général, la doctrine de Saint Josémaria, n'est pas seulement l'expression d'une science fruit d'études académiques, même s’il avait acquis une solide préparation en théologie scientifique, mais surtout l'expression d'une sagesse née de la contemplation. Comme l'écrivait saint Thomas d'Aquin, « la sagesse est la connaissance des choses divines ; elle appartient donc à la contemplation » (Ad I Co, Lec. VI, 19).

Chez saint Josémaria, cette origine contemplative est particulièrement évidente dans son expérience vitale et dans son enseignement de la filiation divine. Il s'agit d'abord d'une contemplation acquise par une méditation fréquente et profonde sur les données révélées. Ainsi, par exemple, le 22 septembre 1931, il écrivait : « J'étais en train de considérer la bonté de Dieu envers moi et, plein de joie intérieure, je me serais mis à crier dans la rue, pour que le monde entier se rende compte de ma reconnaissance filiale : Père, Père ! Et - même si ce n'était pas en criant - j'ai marché en l'appelant ainsi dans un murmure (Père !), à de nombreuses reprises, sûr de lui plaire » (Notes intimes, n. 296 : AVP, I, p. 388 ; cfr. F 1033).

Sur le terrain de cette méditation et de cette contemplation, qui remplissait son âme d'une joyeuse gratitude, Dieu lui-même, à un moment précis - le 16 octobre de cette même année 1931 - lui accorda une contemplation infuse très élevée, que saint Josémaria décrivit ainsi des années plus tard : « Je sentis l'action du Seigneur qui faisait germer dans mon cœur et sur mes lèvres, avec la force de quelque chose d'impérieusement nécessaire, cette tendre invocation : Abba ! Pater ! J'étais dans la rue, dans un tramway » (Lettre 9-I-1959, n. 60 : AGP, série A.3, 94-1-4). Un élément important de ce don fût précisément cette circonstance particulière (« dans la rue, dans un tramway »), qui caractérisait un aspect central de son message : la sanctification au milieu des réalités temporelles, en étant « contemplatifs au milieu du monde » (QCP 65).

2. La filiation divine, fondement de la vie spirituelle

L'une des affirmations les plus caractéristiques et les plus fréquentes de saint Josémaria sur la filiation divine est son caractère fondamental dans la vie chrétienne. Parfois, il y faisait particulièrement référence en lien avec l'Opus Dei : « La filiation divine est le fondement de l'esprit de l'Opus Dei » (QCP 64). Mais, dans sa pensée, ce caractère fondamental est typique du christianisme en tant que tel, puisque, s'adressant à tous, il affirme : « La filiation divine est une vérité joyeuse, un mystère réconfortant. Cette filiation divine pénètre toute notre vie spirituelle » (QCP 65).

Il ne s'agit donc pas seulement du don de l'adoption filiale, mais aussi du fait que la conscience croyant en ce don informe toute la vie. En ce sens, saint Josémaria parle fréquemment non seulement de la filiation divine, mais aussi du « sens de la filiation divine ». Ainsi, en parlant de chaque chrétien, il dira que « le sens de la filiation divine est le fondement de sa vie spirituelle » (F 987).

La filiation divine n'est pas une vertu particulière, avec ses actes propres, mais la condition permanente de celui qui est le sujet de ces vertus. Pour cette raison, on n'agit pas comme un enfant de Dieu avec des actions particulières : « Nous ne pouvons être les enfants de Dieu de temps à autre, bien qu'il y ait des moments spécialement réservés à cette considération, où nous nous pénétrons de cette filiation divine, qui est le cœur de la piété » (Entretiens 102).

La piété est la vertu propre aux enfants qui, surnaturellement, se perfectionne grâce au don éponyme du Saint-Esprit qui nous permet de nous reconnaître comme enfants de Dieu et d'agir, à tout moment, en conséquence. Pour cette raison, « la piété, qui naît de la filiation divine, est une démarche profonde de l’âme, qui finit par transformer l’existence tout entière ; elle imprègne toutes les pensées, tous les désirs, tous les élans du cœur » (AD 146).

Ce caractère fondamental que prêche saint Josémaria au sujet de la filiation divine n'est pas une simple option ascétique, mais une réalité constitutive de l'être chrétien. Il répond, en effet, aux données révélées qui manifestent de diverses manières l'adoption filiale comme le but même de l'Incarnation rédemptrice du Verbe éternel : « une fois arrivée la plénitude des temps, Dieu le Père envoya son Fils Premier-Né dans le monde pour y rétablir la paix ; afin que, l'homme une fois racheté du péché, adoptionem filiorum reciperemus, nous soyons constitués fils de Dieu, libérés du joug du péché, rendus capables de participer à l'intimité divine de la Sainte Trinité. » (QCP 65).

Dans l'enseignement de saint Josémaria, le caractère fondamental de la filiation divine se manifeste aussi en ce que la sainteté à laquelle tous sont appelés est précisément la plénitude de la filiation divine : « La sainteté, tant chez le prêtre que chez le laïc, n'est pas autre chose que la perfection de la vie chrétienne, que la plénitude de la filiation divine, car nous sommes tous, aux yeux de notre Dieu Père, des enfants de condition identique » (Lettre 2-II-1945, n. 8 : AGP, série A 3, 92-3-2).

La notion même de plénitude de filiation implique qu'elle ne se limite pas à une relation d'origine et de ressemblance reçue une fois pour toutes avec la grâce, mais qu'elle est plutôt une réalité intensive, qui grandit, comme la grâce elle-même, jusqu'à une plénitude. Ceci se comprend à la lumière de l'identité entre la filiation divine et l'identification avec le Christ.

3. Filiation divine et identification avec le Christ

Quand, en 1931, Dieu fit expérimenter la filiation divine à Saint Josémaria d'une manière particulièrement intense, c'étaient alors des temps de grandes difficultés et de souffrances pour le fondateur de l'Opus Dei. Des années plus tard, il se rappelait cet événement une fois de plus de cette manière : « Quand le Seigneur me donnait ces coups, en l'an trente et un, je ne le comprenais pas. Et soudain, au milieu de cette grande amertume, ces paroles : Tu es mon fils (Ps 2, 7), tu es le Christ. Et je savais seulement répéter : Abba, Pater ! ; Abba, Pater !, Abba !, Abba !, Abba ! Et maintenant je le vois sous un jour nouveau, comme une nouvelle découverte : comme se voit, au fil des années, la main du Seigneur, de la Sagesse divine, du Tout-Puissant. Tu as fait en sorte, Seigneur, que je comprenne qu'avoir la Croix c'est trouver le bonheur, la joie. Et la raison - je le vois plus clairement que jamais - est la suivante : avoir la Croix, c'est s'identifier au Christ, c'est être le Christ, et donc être un enfant de Dieu » (Méditation, 28 avril 1963).

« Être le Christ, c'est être fils de Dieu » : la filiation divine est identification avec le Christ, avec le Fils Unique du Père. Il ne s'agit pas seulement d'une ressemblance avec le Christ, d'avoir ses sentiments, ses réactions, sa façon de voir la réalité, etc. (bien que cela comprenne aussi tout cela) : « ayez entre vous les mêmes sentiments qu’a eus le Christ Jésus » : Ph 2, 5). C'est se trouver dans la même et unique relation que le Christ a avec Dieu le Père ; la seule qui fait qu'on s'adresse au Père avec l'expression Abba !, comme l'écrit Saint Paul : « vous avez reçu un Esprit qui fait de vous des fils ; et c’est en Lui que nous crions » : Abba, Pater ! (Rm 8, 15 ; cf. QCP 64, QCP 118, QCP 136, etc.).

« L'identité du chrétien consiste à être un enfant de Dieu dans le Christ et, par conséquent, avec les paroles du bienheureux Josémaria, que j'ai entendues tant de fois, à se savoir alter Christus, ipse Christus, un autre Christ, le Christ Lui-même » (ECHEVARRÍA, 2001, p. 19 ; cf. QCP 11, QCP 96, QCP 104, QCP 107, QCP 115, etc.). Cette identification avec le Christ se réalise radicalement sur la Croix : avoir la Croix, c'est s'identifier au Christ, c'est être le Christ, et donc, être enfant de Dieu. Il s'agit d'une compréhension vitale et sapientielle, que nous pouvons directement relier à Rom 8 :17 : « Puisque nous sommes ses enfants, nous sommes aussi ses héritiers : héritiers de Dieu, héritiers avec le Christ, si du moins nous souffrons avec Lui pour être avec Lui dans la gloire ». Et il ne s'agit pas de se limiter seulement à souffrir « comme le Christ », mais de souffrir « avec le Christ ». Tout en se référant à la glorification (avec le Christ) comme acquisition de l'héritage filial, le texte implique également le lien entre la filiation divine et la souffrance « avec » le Christ.

Le texte et le contexte de cette intuition sapientielle – « avoir la Croix, c'est s'identifier au Christ, c'est être le Christ, et donc être un enfant de Dieu » - exigent de ne pas en réduire le sens à la simple imitation ou ressemblance morale avec Jésus-Christ.

4. Le Saint-Esprit et la filiation divine

« C'est la grande audace de la foi chrétienne : proclamer la valeur et la dignité de la nature humaine, et affirmer que, par la grâce qui nous élève à l'ordre surnaturel, nous avons été créés pour atteindre la dignité d'enfants de Dieu. Audace vraiment incroyable, si elle n'avait pour fondement le décret salutaire de Dieu le Père, si elle n'avait été confirmée par le sang du Christ et réaffirmée et rendue possible par l'action permanente du Saint-Esprit » (QCP 133).

Cette « action » du Saint-Esprit est exprimée par Saint Paul dans Rm 8, 14 : « En effet, tous ceux qui se laissent conduire par l’Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu ». Ce n'est pas une causalité efficace ad extra (qui est commune aux trois Personnes divines) ; ce n'est pas non plus une simple « appropriation », puisque la Trinité nous introduit dans son intimité : « nous avons été appelés à pénétrer l'intimité divine » (QCP 133). Dieu, nous unissant à l'Amour infini qu'est l'Esprit Saint - Esprit du Fils - (l'envoyant comme « premier Don »), nous constitue enfants du Père dans le Fils.

« Le sang du Christ et l'action de l'Esprit Saint », dit saint Josémaria. En ce sens, considérons une de ses affirmations brèves et denses : « Le Saint-Esprit est le fruit de la Croix » (F 759). Pour toute l'humanité : « comme un fruit de la Croix, l'Esprit Saint se répand sur l'humanité » (QCP 96) ; et pour chaque personne qui donne sa vie en Christ à Dieu : « Le Saint-Esprit est le fruit de la Croix, du don total à Dieu, de la recherche exclusive de sa gloire et du renoncement absolu à nous-mêmes » (QCP 137). « Avoir la Croix, c'est être le Christ et donc être enfant de Dieu », car le Saint-Esprit, qui fait de nous des enfants de Dieu (cf. Rm 8, 14), est le fruit de la Croix.

La force sanctificatrice de la Croix est éminemment présente dans le Sacrifice eucharistique. Une raison de plus pour comprendre que « la Messe est le centre et la racine de la vie chrétienne » (QCP 102). Par la participation à l'Eucharistie, nous est offerte l'identification maximale avec Jésus-Christ et, par conséquent, celle d'être enfants du Père dans le Christ par l'Esprit Saint. Ce qui nous identifie à Jésus dans la Communion, ce n'est pas à proprement parler le contact physique avec l'espèce sacramentelle, mais la présence substantielle, sous ces espèces, de l'Humanité et de la Divinité du Christ, qui, avec le Père, nous infuse le Saint-Esprit avec une intensité nouvelle. Saint Josémaria avait l'habitude d'exprimer cet aspect du mystère, affirmant qu'après la Communion eucharistique, lorsque la présence substantielle de l'Humanité du Seigneur a déjà cessé, « le Saint-Esprit demeure ».

Cette connexion des mystères - la Croix, l'infusion de l'Esprit Saint, l'Eucharistie et la filiation divine - s'est exprimée de mille manières dans la vie contemplative de saint Josémaria, comme nous le lisons, par exemple dans ce texte : « Je vois ta Croix, mon Jésus, et je jouis de ta grâce : ton Calvaire nous a valu le Saint-Esprit en récompense… Et chaque jour, par amour, tu te donnes à moi — quelle folie ! — dans la très Sainte Hostie... Et tu as fait de moi un fils de Dieu ! Et tu m’as donné à ta propre Mère » (F 27). Etre enfant de Dieu, c'est « être le Christ » et, par conséquent, être aussi enfant de Marie.

5. Participation à la filiation du Verbe

Dans le contexte propre d'une exposition doctrinale, saint Josémaria se rattache à la plus riche tradition théologique, spécifiquement avec la considération de la filiation divine comme participation de la filiation du Verbe : « Par la grâce baptismale, nous avons été constitués enfants de Dieu. Avec cette libre décision divine, la dignité naturelle de l'homme s'est incomparablement élevée : et si le péché a détruit ce prodige, la Rédemption l'a reconstruit d'une manière encore plus admirable, nous conduisant à participer encore plus étroitement à la filiation divine du Verbe » (Lettre 19 -III-1967, n ° 93 : AGP, série A.3, 95-1-1).

Saint Thomas d'Aquin utilise fréquemment le concept de participation, appliqué à la filiation divine du Verbe (cf. par exemple, S.Th., q.23, a. 4 s. C. ; Q. 24, a. 3 c.). Participer à la filiation de Celui qui est Fils Unique - seul Fils du Père - signifie posséder partiellement, de manière limitée, ce qui en Lui subsiste en Totalité et Infinitude, de telle sorte que cette participation ne multiplie ni ne diminue cette Unité-Totalité. C'est une possession partielle de la relation elle-même (filiation subsistante) du Verbe avec le Père, relation constitutive de la personne même du Fils. Cette possession partielle, cet être partiellement enfants de Dieu le Père est une réalité intensive, qui peut et doit croître, comme la grâce dont elle est inséparable, jusqu'à cette « plénitude », dans laquelle consiste la sainteté.

En même temps, cette participation implique la présence fusionnelle de la totalité chez celui qui participe de cette totalité transcendante : nous sommes enfants de Dieu le Père, par le Christ, avec le Christ et dans le Christ : « Rends souvent grâces à Jésus, parce que, par Lui, avec Lui et en Lui, tu peux t’appeler fils de Dieu » (F 265). L'expression traditionnelle dans le langage théologique enfants dans le Fils a déjà été acceptée par le Magistère de l'Église (cf. GS, 22 ; DVi, 32 et 52). Nous sommes donc « fils de Dieu, frères du Verbe fait chair, de Celui dont il a été dit : de tout être Il était la vie et la vie était la lumière des hommes (cf Jn, 1,4). Des enfants de la lumière, des frères de la lumière, voilà ce que nous sommes. » QCP 66). Le Christ, sans cesser d'être le Fils Unique du Père, est le Premier-né parmi de nombreux frères (cf. Rm 8, 29).

Comme « nous avons été appelés à pénétrer dans l'intimité divine » (QCP 133), bien que l'action d'adoption soit ad extra, et donc commune aux trois Personnes divines, son terme est ad intra : notre participation à la vie intime de la Trinité comme enfants dans le Fils par le Saint-Esprit. Et, comme cette filiation est dans le Fils, tout en étant plusieurs, nous sommes réellement « un dans le Christ » (Rm 12, 5), nous formons le Corps du Christ (cf. 1 Co 12).

6. Filiation divine, liberté et vie ordinaire

Le caractère fondamental de la filiation divine tend à se manifester dans toute la vie chrétienne, à partir de ce qui détermine la structure existentielle de la personne, c'est-à-dire la liberté. Il ne s'agit pas d'une simple liberté naturelle, mais d'une nouvelle liberté surnaturelle, précisément enracinée dans la filiation divine. En cela aussi, il y a pleine harmonie avec saint Paul (cf., par exemple, Ga 5, 13). « J’aime parler de l’aventure de la liberté, car c’est ainsi que s’écoule votre vie et la mienne. Librement — comme des enfants et, pardonnez-moi si j’insiste, non comme des esclaves — nous suivons le sentier que le Seigneur a tracé pour chacun de nous. Nous savourons cette facilité de mouvement comme un don de Dieu » (AD 35).

Cette liberté exclut l'esclavage de la peur (cf. Rm 8, 15) : « Un fils de Dieu n’a peur ni de la vie, ni de la mort, parce que le sens de la filiation divine est le fondement de sa vie spirituelle » (F 987). Précisément, le Christ « a rendu libres tous ceux qui, par crainte de la mort, passaient toute leur vie dans une situation d’esclaves » (He 2, 15). Le sens de la filiation divine autorise la liberté d'esprit, précisément parce qu'il éloigne la peur dans toutes les dimensions de la vie, personnelle, familiale, etc. En toute circonstance, ordinaire ou extraordinaire, l'enfant de Dieu peut et doit avoir une certitude de foi dans l'amour omniscient et omnipotent de Dieu son Père : « Il faut se convaincre que Dieu est continuellement près de nous. — Nous vivons comme si le Seigneur était loin, là-haut, où brillent les étoiles, et nous ne voyons pas qu’il est aussi toujours à nos côtés. Et il est là, comme un Père aimant. — Il aime chacun de nous plus que toutes les mères du monde ne peuvent aimer leurs enfants. — Il nous aide, nous inspire, nous bénit… et nous pardonne » (C 267).

D'un autre côté, la même expérience spirituelle de notre propre liberté révèle plus profondément la réalité de la filiation divine : « Au milieu des limitations inséparables de notre condition présente, car, d'une certaine façon, le péché continue d'habiter en nous, le chrétien perçoit avec une clarté nouvelle toute la richesse de sa filiation divine, quand il se sent entièrement libre parce qu'il travaille aux choses de son Père » (ECP 138). Et cela justement au travail, quel qu'il soit, qui ne traduit jamais alors l'esclavage ou la servitude, mais la liberté des enfants qui travaillent seuls, « aux affaires de leur père ». Et, enraciné dans la filiation divine, le travail devient prière : « Bien qu'entièrement plongé dans son travail ordinaire, parmi les autres hommes, ses égaux, attelé à la tâche, occupé, perpétuellement tendu, le chrétien doit être en même temps totalement plongé en Dieu, parce qu'il est fils de Dieu » (QCP 65).

7. Filiation divine et prière

Lorsque les disciples demandent au Seigneur de leur apprendre à prier, ils entendent le Notre Père de ses lèvres (cf. Lc 11, 1-2). Commentant cette scène, saint Josémaria écrit : « Vous remarquerez comme la réponse est surprenante : les disciples partagent leur vie avec Jésus-Christ et, tout en conversant avec eux, le Seigneur leur montre comment ils doivent prier. Il leur révèle le grand secret de la miséricorde divine : nous sommes enfants de Dieu, et nous pouvons nous entretenir en toute confiance avec Lui, comme un enfant converse avec son père » (AD145).

La filiation divine caractérise la prière chrétienne de telle sorte que celle-ci n'est rien d'autre que la relation de l'enfant avec son Père. Un dialogue qui commence généralement par des prières vocales, pour se poursuivre plus tard dans la contemplation sans le bruit des paroles. Un entretien avec Dieu caractérisé par la confiance et qui dans son contenu englobe aussi toute notre vie : « tout ce qui résonne dans notre tête et dans notre cœur : joies, tristesses, espérances, chagrins, succès, échecs, et jusqu’aux plus petits détails de notre journée. Parce que nous nous serons rendus compte que tout ce qui nous concerne intéresse notre Père céleste » (AD 245).

C'est principalement dans la prière que s'exprime cette caractéristique du sens de la filiation divine qu'est l'enfance spirituelle et qui, à partir de la prière, se projette dans toute l'existence. « Certes, l'enfance spirituelle n'est pas la même chose que la filiation, mais elle la présuppose et n'est rien de plus qu'une conséquence de la paternité divine » (DERVILLE, 2009, p. 284). Saint Josémaria n'a pas proposé de manière ou de chemin spécifique pour vivre la substance de l'enfance spirituelle enseignée par Jésus-Christ (cf. Mt 18, 3) ; mais, en tout cas, il enseignait dans sa prédication qu' « il faut apprendre à être comme des tout-petits, il faut apprendre à être enfants de Dieu. Et, au passage, il faut transmettre à tous cet esprit qui, au milieu des faiblesses naturelles, nous rendra “ fermes dans la foi ”, féconds dans nos œuvres et assurés sur notre chemin » (AD 148).

D'autre part, la filiation divine ne fait pas que conférer simplement un caractère filial au dialogue avec Dieu, mais s'exprime essentiellement dans la prière, parce qu'elle est participation dans le Verbe, dans la Parole éternelle de Dieu. La filiation divine est exprimée dans l'Abba, Pater !

8. Filiation divine, fraternité et apostolat

La filiation divine commune dans le Christ fonde la fraternité chrétienne correspondante, avec des caractéristiques surnaturelles précises, venant du fait que chaque fille et chaque fils de Dieu est - au sens rappelé précédemment par l'expression de saint Josémaria - ipse Christus. D'où la synthèse qui englobe les innombrables aspects particuliers de l'exercice de l'amour fraternel : « Pense aux autres — et avant tout, à ceux qui sont près de toi —, comme à ce qu'ils sont : des enfants de Dieu, avec toute la dignité qui s'attache à ce titre merveilleux. Nous devons nous comporter comme des enfants de Dieu avec les enfants de Dieu : notre amour doit être un amour qui se sacrifie, un amour quotidien, fait de mille détails de compréhension, de sacrifice silencieux, de don discret de soi. Voilà le bonus odor Christi, qui faisait dire aux compagnons de nos premiers frères dans la foi : voyez comme ils s'aiment ! (TERTULIEN, Apologeticus, 39) »(QCP 36).

La fraternité chrétienne ne s'étend pas seulement aux personnes qui sont actuellement, par la grâce, enfants de Dieu dans le Christ, mais elle atteint tout le monde, car tous sont d'une certaine manière enfants de Dieu, ses créatures, et tous sont également appelés à l'intimité du Père. Par conséquent, « étant tous des hommes, et tous des fils de Dieu, nous ne pouvons pas concevoir notre vie comme la préparation fébrile d’un curriculum brillant, d’une carrière remarquable. Nous devons nous sentir tous solidaires »(AD 76).

Surmontant toute distinction, nous devons toujours garder à l'esprit que « Notre Seigneur est venu apporter la paix, la bonne nouvelle, la vie à tous les hommes. Pas seulement aux riches, ni seulement aux pauvres. Pas seulement aux sages, ni seulement aux naïfs. A nous tous qui sommes frères, car nous sommes frères, étant les fils d'un même Père, Dieu. Il n'y a donc qu'une race, la race des enfants de Dieu, Il n'y a qu'une couleur : la couleur des enfants de Dieu. Et il n'y a qu'une langue : celle qui parle au cœur et à l'esprit et qui, sans avoir besoin de mots, nous fait connaître Dieu et nous fait nous aimer les uns les autres »(QCP 106).

De l'amour fraternel, enraciné dans la filiation divine - donc, dans l'identification avec le Christ - jaillit le zèle apostolique. « Si tu es un autre Christ, si tu te comportes en fils de Dieu, tu enflammeras où que tu te trouves : le Christ embrase ; il ne laisse pas les cœurs indifférents » (F 25). Et la raison est claire : « Il n'est pas possible de séparer, chez le Christ, son être de Dieu-Homme de sa fonction de Rédempteur. Le Verbe s'est fait chair et Il est venu sur la terre ut omnes homines salvi fiant (cf 1 Tm 2,4), pour sauver tous les hommes. Avec nos misères et nos limitations personnelles, nous sommes d'autres Christs, le Christ Lui même et nous aussi sommes appelés à servir tous les hommes » (QCP 106 ; cf. C 919).

9. La joie et la conversion des enfants de Dieu

« La joie est la conséquence logique de la filiation divine, de la certitude de nous savoir aimés d'un amour de prédilection par Dieu notre Père, qui nous accueille, nous aide et nous pardonne » (F 332).

La joie surnaturelle, fruit de l'Esprit Saint, enracinée dans la filiation divine n'est pas obscurcie par la douleur qui, d'une manière ou d'une autre, accompagne toute existence humaine dans ce monde ; d'ailleurs, « le fait de reconnaître le sens surnaturel de la douleur, représente, en même temps, la conquête suprême. Jésus, en mourant sur la Croix, a vaincu la mort ; Dieu tire de la mort la vie. Il n'est pas digne d'un enfant de Dieu de se résigner à cette tragique mésaventure ; il doit au contraire se réjouir par avance de la victoire » (QCP 168).

De plus, la douleur peut devenir la racine d'une joie croissante, car pour le chrétien, trouver la souffrance, c'est trouver la Croix et, sur la Croix, être ipse Christus, fils de Dieu. Et, ainsi, « si nous obéissons aux volontés de Dieu, la Croix sera, pour nous aussi, résurrection, exaltation. La vie du Christ s'accomplira en nous pas à pas : on pourra assurer que nous avons vécu en nous efforçant d'être de bons enfants de Dieu, que nous sommes passés sur la terre en faisant le bien, malgré notre faiblesse et nos erreurs personnelles, si nombreuses soient-elles » (QCP 21).

C'est non seulement la douleur, mais aussi l'expérience du péché qui assombriraient - voire détruiraient - la joie, si l'on n'avait recours à la foi en l'amour de Dieu qui nous adopte comme enfants dans le Christ. Par exemple, « la liturgie de Carême prend parfois des accents tragiques, lorsque nous réfléchissons à ce que signifie, pour l'homme, le fait de s'écarter de Dieu. Mais cette conclusion n'est pas le dernier mot. Le dernier mot, c'est Dieu qui le dit, et c'est l'assurance de notre filiation divine » (QCP 66). Pour cette raison, « la conscience de notre filiation divine imprègne de joie notre conversion, elle nous dit que nous sommes en train de revenir vers la maison du Père » (QCP 64). Parce que « quelle que soit la nature de la faute que nous pourrons commettre, aussi triste soit-elle, nous n’hésiterons jamais à réagir, à revenir sur la grand’route de la filiation divine qui aboutit dans les bras grands ouverts de Dieu notre Père qui nous attend » (AD 148).

Le sens de la filiation divine est intrinsèquement lié à l'optimisme propre à l'espérance, qui nous conduit à aimer le monde, qui est sorti bon des mains de Dieu notre Père, et à affronter la vie avec la claire conscience qu'on peut faire le bien et vaincre le péché. La filiation divine « comble ainsi d'espérance notre lutte intérieure, et nous confère la simplicité confiante des petits enfants. Plus encore : précisément parce que nous sommes enfants de Dieu, cette réalité nous pousse aussi à contempler avec amour et admiration toutes les choses qui ont jailli des mains de Dieu, le Père Créateur. Et ainsi nous sommes des contemplatifs au milieu du monde, en aimant le monde » (QCP 65). De plus, « il est devenu possible à l'homme nouveau, à cette nouvelle greffe que sont les enfants de Dieu (cf. Rm 6, 4-5), de libérer la création tout entière du désordre, en restaurant toutes choses dans le Christ (cf. Eph 1, 5-10), qui les a réconciliées avec Dieu (cf. Col 1 :20) » (QCP 65).

Thèmes connexes : Joie ; Croix ; Dieu Père ; Saint Esprit ; Identification avec le Christ ; Enfance spirituelle ; Liberté ; Prière ; Piété ; Sainteté, Appel universel à ; Sainte Trinité.

Bibliographie : “Llamados a ser hijos del Padre. Aproximación teológica a la noción de filiación divina adoptiva”, en José Luis ILLANES (ed.) El Dios y Padre de Nuestro Señor Jesucristo, Pamplona, EUNSA, 2000, pp. 251-272 ; Catalina BERMÚDEZ MERIZALDE, “Hijos de Dios uno y trino por la gracia. La filiación divina, fundamento y raíz de una espiritualidad”, AnTh, 7 (1993), pp. 347-368 ; Jutta BURGGRAF Abba, Pater. Als Kinder Gottes leben nach der Lehre des seligen Josemaría Escrivá, Köln, Adamas, 1999 ; Ernst BURKHART - Javier LÓPEZ Vida cotidiana y santidad en la enseñanza de San Josemaría. Estudio de teología espiritual, II, Madrid, Rialp, 2011 ; Guillaume DERVILLE, « Une connaissance d'amour. Note de théologie sur l’édition critique-historique de Chemin », SetD, 3 (2009), pp. 277-305 ; Javier ECHEVARRÍA Memoria del Beato Josemaría Escrivá. Entrevista con Salvador Bernal, Madrid, Rialp, 2000 ; ID. Itinerarios de vida cristiana, Madrid, Planeta, 2001 ; Francisco FERNÁNDEZ CARVAJAL - Pedro BETETA LÓPEZ Hijos de Dios. La filiación divina que vivió y predicó el Beato Josemaría Escrivá, Madrid, Palabra, 1995 ; José Luis ILLANES, “Experiencia cristiana y sentido de la filiación divina en San Josemaría Escrivá de Balaguer”, PATH, 7 (2008), pp. 461-475 ; Fernando OCÁRIZ, “La filiación divina, realidad central en la vida y en la enseñanza de Mons. Escrivá de Balaguer”, ScrTh 13 (1981), pp. 15-89 (reproducido en ID. Naturaleza, gracia y gloria, Pamplona, EUNSA, 2000, pp. 175-221) ; Javier SESÉ ALEGRE, “La conciencia de la filiación divina, fuente de vida espiritual”, ScrTh 31 (1999), pp. 471-493.

Fernando Ocariz