EUCHARISTIE

1. l'Eucharistie, don de la Trinité. 2. la Sainte Messe, centre et racine de la vie du chrétien. 3. Le culte d'adoration du Christ présent dans l'Eucharistie. 4. l'Eucharistie, vie dans le Christ et transformation du monde.

1. l'Eucharistie, don de la Trinité.
2. la Sainte Messe, centre et racine de la vie du chrétien.
3. Le culte d'adoration du Christ présent dans l'Eucharistie.
4. l'Eucharistie, vie dans le Christ et transformation du monde.

La Sainte Eucharistie occupe une position centrale dans les enseignements et la vie de saint Josémaria. Son enseignement, enraciné dans la Sainte Écriture, dans la Tradition vivante de l'Église et dans une profonde expérience personnelle, embrasse toutes les dimensions du Mystère Eucharistique.

1. L'Eucharistie, don de la Trinité

Saint Josémaria, dans son homélie L'Eucharistie, Mystère de foi et d'amour, nous présente le Mystère Eucharistique en ces termes : « le Dieu de notre foi n'est pas un être lointain, qui contemple avec indifférence le sort des hommes : leurs aspirations, leurs luttes, leurs angoisses. C'est un Père qui aime ses enfants au point d'envoyer le Verbe, Seconde Personne de la Très Sainte Trinité, pour que, en s'incarnant, Il meure pour nous et nous rachète. C'est ce même Père aimant qui nous attire maintenant doucement vers Lui, par l'action du Saint-Esprit qui habite en nos cœurs. La joie du Jeudi-Saint vient de là : du fait de comprendre que le Créateur a débordé d'affection pour ses créatures. Notre Seigneur Jésus-Christ, comme si toutes les autres preuves de la miséricorde n'avaient pas été suffisantes, institue l'Eucharistie pour que nous puissions L'avoir toujours près de nous et parce que ‒ dans la mesure où nous pouvons comprendre ‒ poussé par son Amour qui pourtant n'a besoin de rien, Il ne veut pas se passer de nous. La Trinité s'est éprise de l'homme, élevé à l'ordre de la grâce et fait à son image et ressemblance (Gn 1, 26) ; Elle l'a racheté du péché du péché d'Adam qui est retombé sur toute sa descendance et des péchés personnels de chacun ‒ et Elle désire vivement demeurer dans notre âme (...). Ce courant trinitaire d'amour pour les hommes se perpétue d'une manière sublime dans l'Eucharistie » (QCP 84-85).

À l'origine de l'Eucharistie, il y a l'amour de Dieu pour les hommes. Un amour, nous dit saint Josémaria, qui naît dans l'intimité trinitaire de Dieu et qui, passant par l'Incarnation du Verbe et le sacrifice rédempteur de la Croix, se rend présent, « perpétué de façon sublime », dans chaque célébration eucharistique. En effet, l'Eucharistie nous montre et nous rend participants de l'amour du Père qui, dans son dessein de salut, a envoyé son Fils unique dans le monde et l'a livré à la mort sur la Croix pour nous libérer du pouvoir du péché (cf. Jn 3, 16-17). Il nous montre et nous offre l'amour du Fils, le Pain descendu du ciel, qui, en obéissant à la Volonté du Père, a donné sa vie pour nous (cf. Jn 6, 32-38 ; Mt 26, 28). Il nous révèle et nous communique l'amour de l'Esprit Saint par lequel le Verbe s'est fait chair (cf. Mt 1,20 ; Lc 1,35), et continue à être présent parmi nous dans chaque célébration de l'Eucharistie, nous offrant sa chair vivifiée par l'Esprit (cf. Jn 6,51-57.63). C'est pourquoi le fondateur de l'Opus Dei affirme : « Toute la Trinité est présente dans le sacrifice de l'autel. Par la volonté du Père, avec la coopération du Saint-Esprit, le Fils s'offre en oblation rédemptrice » (QCP 86).

De cette action de la Trinité qui rend possible la présence sacramentelle de la Personne de Jésus-Christ et son sacrifice rédempteur, découle un torrent inépuisable de dons salvateurs pour l'Église et pour toute l'humanité. Saint Josémaria le dit ainsi : « L'amour de la Trinité pour les hommes fait que, de la présence du Christ dans l'Eucharistie, naissent pour l'Église et pour l'humanité toutes les grâces » (QCP 86). C'est de là, de ce « courant d'amour trinitaire » que nous offre le Saint-Sacrement, que vient la force qui permet aux chrétiens de vivre dans le Christ, animés par un seul Esprit, comme les enfants d'un seul Père, aimant jusqu'au don total de soi, pleinement engagés dans la construction de l'Église et la transformation du monde selon le plan de Dieu. C'est pourquoi saint Josémaria a souvent exhorté ses auditeurs à être des « âmes d'Eucharistie », selon sa propre expression, c'est-à-dire à vivre en union avec le Christ, présent dans le Saint-Sacrement, en attendant tout de Lui, surtout dans la lutte pour la sainteté personnelle et dans la tâche d'amener tous les hommes à Dieu : « Sois une âme eucharistique ! — Si le tabernacle est au centre de tes pensées et de tes espérances, mon fils, comme ils seront abondants les fruits de sainteté et d’apostolat que tu récolteras ! » (F 835).

Ces considérations sur le plan salvifique de la Trinité et la grandeur du don de l'Eucharistie lui permettent de conclure : « La Sainte Messe nous place ainsi devant les mystères essentiels de la foi, car elle est le don de la Trinité à l'Église. On comprend ainsi que la Messe soit le centre et la racine de la vie spirituelle du chrétien » (QCP 87). Examinons ce dernier point plus en détail.

2. La Sainte Messe, centre et racine de la vie du chrétien

Cette expression, « la Sainte Messe est le centre et la racine de la vie du chrétien », apparaît fréquemment dans la prédication orale et écrite du fondateur de l'Opus Dei. Dans le texte que nous venons de citer, il nous explique lui-même la raison de la centralité de l'Eucharistie, et sa valeur fondatrice dans la vie chrétienne : pour tout ce qu'elle contient et dont elle nous fait participer.

Chaque fois que l'Église célèbre l'Eucharistie, le Seigneur se rend présent dans les signes sacramentels du pain et du vin, dans l'acte d'offrir sa propre vie au Père en expiation des péchés de toute l'humanité. Dans le Christ et avec le Christ, son œuvre salvatrice est rendue présente : le sacrifice de notre rédemption dans la plénitude du Mystère Pascal, c'est-à-dire de sa passion, de sa mort et de sa résurrection.

Il ne s'agit pas d'une présence statique, purement passive, du Seigneur, car Il se rend présent par le dynamisme salvateur de sa mort et de sa glorieuse résurrection ; comme une Personne qui vient à notre rencontre pour nous racheter, pour nous manifester son amour, pour nous donner sa vie même avec le Pain de la vie éternelle et la Coupe du salut éternel, pour nous unir à Lui et pour rendre possible qu'en Lui ‒ dans le Christ et sous l'action de l'Esprit Saint ‒ nous rendions au Père, dans l'action de grâce, tout ce qui vient du Père.

Saint Josémaria exhortait chacun à être cohérent avec cette vérité, en orientant toute sa vie quotidienne vers la rencontre avec le Christ dans l'Eucharistie, et vers la participation à son Sacrifice rédempteur : « Lutte jusqu'à ce que le saint Sacrifice de l’autel devienne le centre et la racine de ta vie intérieure ; toute ta journée deviendra alors un culte rendu à Dieu (prolongation de la messe que tu as entendue, préparation de la suivante) ; un culte qui rejaillira en oraisons jaculatoires, en visites au Saint-Sacrement, en offrande de ton travail professionnel et de ta vie de famille… » (F 69).

Cette « lutte » est fondamentale dans la vie du chrétien, car il dépend d’elle que l'Eucharistie qui est « objectivement » (que nous le considérions ou non) le centre et la racine de la vie chrétienne, le soit effectivement pour chaque fidèle. L'Eucharistie est un mystère à croire, à célébrer et à vivre personnellement : elle doit donc être le centre réel, le point de référence de nos actions et de nos pensées, où doit converger toute notre existence, afin qu’assumée par le Christ, elle acquière une pleine valeur. Elle doit aussi être la racine par laquelle nous nous imprégnons de la vie du Christ, nous grandissons dans l'amour de Dieu et des hommes, et nous rassemblons des forces pour correspondre à notre propre vocation et atteindre la sainteté à laquelle nous sommes tous appelés.

a) Participation au Sacrifice Eucharistique

Dans les écrits de saint Josémaria sur l'Eucharistie, nous trouvons une vision profondément unifiée des différents aspects du Mystère Eucharistique. De manière particulière, il souligne la dimension sacrificielle de la liturgie eucharistique en la considérant dans la perspective de la sacramentalité : la Sainte Messe, affirme-t-il, est « le sacrifice sacramentel du Corps et du Sang du Seigneur » (Entretiens 113). Avec la Tradition de l'Église, il identifie ce sacrifice sacramentel avec l'unique sacrifice de notre Rédempteur : « C'est le sacrifice du Christ offert au Père avec la coopération du Saint-Esprit : oblation d'une valeur infinie, qui éternise en nous la Rédemption » (QCP 86). Et en contemplant cette réalité avec les yeux de la foi et de l'amour, nous découvrons « que ce sacrifice [la Sainte Messe] contient tout ce que Dieu veut de nous » (QCP 88) : ce qu'il désire aussi bien lorsque nous participons à la liturgie eucharistique qu'à chaque moment de notre existence.

Dieu notre Père veut que nous vivions comme nous sommes, comme des fils dans le Fils, identifiés au Christ dans l'amour filial et l'obéissance. Et cette identification se réalise d'une manière unique à travers l'Eucharistie. Dans le Christ Jésus, en communion avec son être théandrique[1], nous pouvons vivre dans une relation constante d'amour filial avec le Père (cf. Jn 6, 57) ; et le Père déverse sur nous sa paternité débordante d'amour. En outre, par la communion au corps du Christ, avec son humanité vivifiée par l'Esprit et vivifiante, nous entrons aussi en communion avec la troisième Personne de la Trinité en recevant la force de l'amour de l'Esprit Saint, qui crée, renouvelle, enflamme et sanctifie tout. Il nous christifie avec une efficacité particulière et nous fait sentir notre filiation divine dans le Christ. Dans ce sens, saint Josémaria affirme : « à la Messe, s'achemine vers sa plénitude la vie de la grâce que le Baptême a déposée en nous et qui grandit fortifiée par la Confirmation.Quand nous participons à l'Eucharistie, écrit saint Cyrille de Jérusalem, nous faisons l'expérience de la spiritualisation déifiante du Saint-Esprit, qui non seulement nous configure au Christ, comme il arrive au Baptême, mais nous rend entièrement semblables au Christ, en nous associant à la plénitude du Christ Jésus (Saint Cyrille de Jérusalem, Catéchèses, 22, 3). L'effusion de l'Esprit Saint, en nous rendant semblables au Christ, nous amène à nous reconnaître enfants de Dieu. Le Paraclet, qui est charité, nous apprend à imbiber toute notre vie de cette vertu ; et consummati in unum (Jn 17, 23), devenus un avec le Christ, nous pouvons être au milieu des hommes, ce que saint Augustin dit de l'Eucharistie : signe d'unité, lien de l'Amour (saint Augustin, In Ioannis Evangelium tractatus, 26, 13) » (QCP 87).

La contemplation de l'amour que le Christ nous manifeste dans l'Eucharistie et, surtout, l'identification avec Lui ‒ par la foi, la grâce du sacrement qui nous rend conforme au Christ et l'action du Paraclet dans l'âme ‒ ne peut laisser indifférent ou passif tout chrétien qui participe au Sacrifice Eucharistique. « Répondre à tant d'amour, dit saint Josémaria, exige de nous un don total du corps et de l'âme » (ibidem). Cela exige que nous nous donnions comme lui : par amour, avec un don de soi complet, inconditionnel, humble, caché, persévérant.

Tous les fidèles ‒ tout le Peuple de Dieu sacerdotal et pas seulement le prêtre célébrant ‒ sont appelés à vivre l'Eucharistie de cette manière, c'est-à-dire à actualiser leur don au Seigneur au moment de la consécration des dons, lorsque, en présence de la Personne du Christ, son acte d'offrande sacrificielle est actualisé, et au moment de la Communion, lorsque nous ne faisons plus qu'un avec la divine Victime (cf. SC, 48 ; LG, 11 ; PO, 2, 5). En effet, bien que seul le ministre ordonné sacramentellement ‒ évêque ou prêtre ‒ soit qualifié pour accomplir le Sacrifice Eucharistique in persona Christi, la célébration eucharistique concerne et implique chacun des fidèles présents qui, en vertu de leur sacerdoce commun (c'est-à-dire leur participation au sacerdoce du Christ reçue au baptême), sont appelés à offrir au Père un culte spirituel (cf. Rm 12, 1), le sacrifice de leur vie unie au sacrifice du Christ. Les fidèles ne peuvent pas rester de simples spectateurs d'un acte de culte accompli par le prêtre célébrant. Tous peuvent et doivent participer à l'offrande du sacrifice.

Saint Josémaria a laissé cet enseignement de l'Église profondément gravé dans l'âme de ses auditeurs. Il a enseigné à tous de renouveler dans la Sainte Messe l'offrande de leur propre vie et de leurs œuvres quotidiennes, tout ce qu’ils sont et possèdent : leur intelligence, leur volonté et leur mémoire ; leur travail, les joies et les contradictions ; et à orienter toute l'existence vers le Sacrifice Eucharistique en apprenant à tous à vivre avec une âme sacerdotale, en y incorporant ‒ comme l'indique le Concile Vatican II – « toutes leurs activités, leurs prières et leurs entreprises apostoliques, leur vie conjugale et familiale, leurs labeurs quotidiens, leurs détentes d’esprit et de corps, si elles sont vécues dans l’Esprit de Dieu, et même les épreuves de la vie, pourvu qu’elles soient patiemment supportées, tout cela devient « offrandes spirituelles, agréables à Dieu par Jésus Christ » (cf. 1 P 2, 5), et dans la célébration eucharistique, rejoint l’oblation du Corps du Seigneur pour être offert en toute piété au Père » (LG, 34).

Il va sans dire que ce que nous avons dit jusqu'à présent sur les fidèles chrétiens en général s'applique au prêtre célébrant, et de façon particulière, puisque dans la célébration de l'Eucharistie il agit in persona Christi et est appelé à s'identifier de façon particulière au Christ, Victime et Prêtre. L'offrande de sa propre vie au Père, par le Christ et dans le Christ, doit être une réalité pour lui dans chaque célébration de l'Eucharistie. Ce que le prêtre accomplit sacramentellement sur l'autel engage toute sa vie : il est appelé à se donner pleinement, dans le Christ et avec le Christ, au Père, permettant ainsi au Seigneur de prendre en charge toute son existence et de lui donner un sens plein et une valeur salvatrice.

Saint Josémaria, conscient de cette vérité, la rappelait fréquemment et la vivait chaque jour dans le Sacrifice de l'Autel : « Le sacrement de l'Ordre confère au prêtre la possibilité effective de prêter à Notre Seigneur sa voix, ses mains, tout son être ; c'est Jésus-Christ qui, dans la Sainte Messe, change, par les mots de la consécration, la substance du pain et du vin en son Corps, son Âme, son Sang et sa Divinité. C'est en cela que se fonde l'incomparable dignité du prêtre. C'est une grandeur d'emprunt, compatible avec ma petitesse. Je demande à Dieu Notre Seigneur de donner à tous les prêtres la grâce de réaliser saintement les choses saintes, et de refléter également dans notre vie les merveilles des grandeurs du Seigneur » (Aimer l’Église, 39). D'où sa joie de lire dans le décret Presbyterorum ordinis que la célébration du Sacrifice eucharistique « est donc le centre et la racine de toute la vie du prêtre, dont l’esprit sacerdotal s’efforce d’intérioriser ce qui se fait sur l’autel du sacrifice » (PO, 14).

De fait saint Josémaria a vécu et enseigné comment vivre ce don de sa propre vie à notre Seigneur dans la Sainte Messe – « notre Messe, Jésus », écrivait-il dans Chemin (C 533) ‒ avec une radicalité totale, sans la limiter à une résolution intérieure formulée au moment de la célébration liturgique. « Nous devons avant tout aimer la sainte Messe, qui doit être le centre de notre journée. Si nous vivons bien la Messe, comment ne pas continuer ensuite, pendant le reste de la journée, à penser au Seigneur, en ayant soin de ne pas nous éloigner de Sa présence, pour travailler comme Il travaillait et aimer comme Il aimait ? » (QCP 154). Le chrétien est appelé à faire de toute la journée une Messe continue, en vivant quotidiennement une existence « totalement eucharistique » (F 826). À cet égard, il affirme dans une de ses Lettres :« Ainsi, étroitement unis à Jésus dans l'Eucharistie, nous parviendrons à une présence continue de Dieu au milieu des occupations ordinaires propres à la situation de chacun dans ce pèlerinage terrestre, cherchant le Seigneur en tout temps et en toutes choses » (Lettre 2-II-1945, no 11 : AGP, série A.3, 92-3-1).

b) La rencontre du Christ dans la Communion Eucharistique

La dimension sacrificielle et la dimension conviviale de l'Eucharistie sont étroitement liées (cf. QCP 84). La Sainte Communion, prescrite par Jésus-Christ aux apôtres ‒ « prenez et mangez » (Mt 26,26-27) ‒, fait partie de la structure fondamentale de la célébration de l'Eucharistie. C'est le moment où le Christ vient à notre rencontre, nous offrant sa vie même, afin que nous vivions en Lui (cf. Jn 6,57).

Pour notre part, nous devons toujours nous préparer à cet événement avec foi et espérance, l'âme en grâce de Dieu. « Celui qui veut recevoir le Christ dans la Communion eucharistique ‒ nous rappelle le Catéchisme de l'Église Catholique ‒ doit se trouver en état de grâce. Si quelqu’un a conscience d’avoir péché mortellement, il ne doit pas accéder à l’Eucharistie sans avoir reçu préalablement l’absolution dans le sacrement de pénitence » (CEC, no 1415). En outre, comme manifestation de respect pour la présence du Christ, on doit observer le jeûne prescrit par l'Église (cf. CEC, no 1387).

Et, en supposant de telles dispositions prises, avec la conscience du don de Dieu pour nous et un amour profond ne laissant aucune place à la routine et reconnaissant le Seigneur qui vient à nous, « nous devons recevoir le Seigneur dans l’Eucharistie comme les grands de la terre, et même mieux : avec parures, lumières, habits tout neufs... — Et si tu me demandes – continue le fondateur de l’Opus Dei ‒ de quelle propreté, de quelles parures et de quelles lumières tu dois t’orner, je te répondrai : la propreté dans tes sens, un à un ; la parure dans tes puissances, une à une ; et la lumière dans toute ton âme » (F 834).

Cette préparation est essentielle, car si le Seigneur se donne entièrement à nous dans la Communion eucharistique, nous recevons la puissance de son Amour salvateur plus ou moins pleinement selon la qualité de nos dispositions personnelles, dans la mesure où nous savons L'accueillir et nous laisser transformer par Lui. Pour canaliser le dialogue, l'action de grâce et les demandes d'aide pendant ce temps, saint Josémaria recommandait de prolonger la Messe et la Communion qui vient d'y être reçue par quelques minutes de prière, d'action de grâce, en considérant avec une foi vive Qui est venu à notre rencontre : notre Roi, notre Médecin, notre Ami, notre Dieu ; et ensuite en Lui ouvrant pleinement notre âme pour qu'Il agisse dans nos vies et les transforme (cf. QCP 93).

3. Le culte d'adoration du Christ présent dans l'Eucharistie

La foi en la présence réelle du Christ dans l'Eucharistie a conduit l'Église à rendre le culte de latrie au Saint-Sacrement aussi bien pendant la liturgie de la Messe qu'en dehors de sa célébration (cf. CEC, no 1378).

L'attitude du croyant dans chaque rencontre personnelle avec le Christ dans l'Eucharistie ne peut être qu'une attitude de révérence, pleine de gratitude, d'amour et d'adoration. Et cela, en premier lieu, pendant la célébration de la Sainte Messe : « Vivre la Sainte Messe, c'est demeurer continuellement en prière, avoir la conviction que, pour chacun de nous, il s'agit d'une rencontre personnelle avec Dieu : nous adorons, nous louons, nous demandons, nous rendons grâces, nous réparons pour nos péchés, nous nous purifions, nous nous sentons unis dans le Christ avec tous les chrétiens » (QCP 88). À de nombreuses reprises, saint Josémaria a pris le temps de rappeler que cette attitude d'adoration peut et doit se manifester par l'attention à la liturgie eucharistique, par les gestes indiqués dans les rubriques ‒ les génuflexions lentes, l'inclinaison de la tête ‒, par une prière personnelle qui accompagne les textes liturgiques, bref, par une participation consciente, dévote et active à la célébration (cf. par exemple, QCP 88-91).

En continuité avec cette foi vivante en la présence du Christ dans l'Eucharistie, il a propagé les dévotions liées au culte du Saint-Sacrement en dehors de la Messe, comme les bénédictions et les expositions solennelles de l'Eucharistie, les veillées nocturnes d'adoration eucharistique, les visites au Saint-Sacrement, la Communion spirituelle, la prière mentale devant le Tabernacle, etc.

Saint Josémaria voyait le Tabernacle comme le lieu où Jésus nous attend toujours, pour nous écouter et nous aider, comme il a écouté et aidé ses amis, Marthe, Marie et Lazare (cf. C 60; QCP 154). Il considérait les visites au Saint-Sacrement comme des moments privilégiés pour correspondre à l'amour du Seigneur en lui montrant notre gratitude pour être resté avec nous, comme il le dit dans ce point de Sillon : « C'est pour nous que Jésus est resté dans la Sainte Hostie ! Pour demeurer à notre côté, pour nous soutenir, pour nous guider. L'amour ne se paye que par l'amour. — Alors, comment ne pas nous rendre auprès du Tabernacle, chaque jour, ne serait-ce que pour quelques minutes, pour Le saluer et Lui témoigner notre amour d'enfants et de frères ? » (S 686). Et à un autre endroit, il conseille : « Rends-toi souvent devant le tabernacle de corps ou de cœur, afin de te rassurer, de trouver la sérénité : mais aussi pour te sentir aimé... et pour aimer ! » (F 837). Il a également traité de la Communion spirituelle, la considérant comme une source inépuisable de grâces et un moyen très efficace de vivre l'unité de vie : « Quelle source de grâces que la communion spirituelle ! — Pratique-la fréquemment ; tu auras davantage la présence de Dieu et tu lui seras plus uni dans tes actes » (C 540).

4. L’Eucharistie, vie dans le Christ et transformation du monde

La présence eucharistique de Jésus-Christ ‒ du Fils incarné et glorifié du Père ‒ vraie, réelle, substantielle et personnelle, est pleine de conséquences pour la vie du chrétien, de l'Église et du monde. Puisque le Christ est le Verbe du Père (cf. Jn 1, 1 et 14, 9-10), celui en qui, « dans son propre corps, habite toute la plénitude de la divinité » (Col 2, 9), notre Rédempteur et notre Sauveur (cf. Mt 26, 28 ; Ac 4, 10-12 ; Rm 3, 23-24), on comprend l'extraordinaire pouvoir sanctifiant de l'Eucharistie : en entrant en communion avec le Christ, Dieu parfait et Homme parfait, nous recevons la même Vie divine (cf. Jn 1,4), la Lumière qui éclaire tout homme (cf. Jn 1,9), la Vérité qui rend libre (cf. Jn 8,31-32), l'Amour qui nous transforme (cf. 1 Jn 4,16) et tous les biens salvifiques que, par sa mort et sa résurrection, il nous a mérités.

Par l'Eucharistie, la vie nouvelle dans le Christ, initiée dans le croyant par le Baptême (cf. Rm 6,3-4 ; Ga 3,27-28), peut être consolidée et développée jusqu'à sa plénitude (cf. Ep 4,13), permettant au chrétien de réaliser l'idéal énoncé par saint Paul : « Je vis, mais ce n'est plus moi, c'est le Christ qui vit en moi » (Ga 2,20). C'est ce que l'on peut déduire des paroles de Jésus-Christ : « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde (...). Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi, je demeure en lui. De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que moi je vis par le Père, de même celui qui me mange, lui aussi vivra par moi » (Jn 6, 51-57). Le Pain eucharistique est en mesure d'offrir aux fidèles un influx constant de vie du Seigneur, en leur accordant une participation unique, dans le Christ et avec le Christ, à la communion de vie et d'amour du Dieu Un et Trine.

La considération de ces vérités a été pour saint Josémaria un puissant stimulant pour vivre selon ce que nous sommes : des enfants de Dieu dans le Christ. « La sainte Eucharistie fait pénétrer chez les enfants de Dieu la nouveauté divine ; nous devons répondre in novitate sensus (Rm 12, 2), par le renouvellement de toutes nos pensées et de toutes nos actions. Il nous a été donné une nouvelle source d'énergie, une racine puissante, greffée sur le Seigneur. Nous ne pouvons plus revenir au vieux levain alors que nous possédons le pain d'aujourd'hui et de toujours » (QCP 155).

L'Eucharistie nous configure au Christ, nous fait participer à l'être et à la mission du Fils, nous identifie à ses intentions et à ses sentiments, nous donne la force d'aimer comme le Christ nous demande d'aimer (cf. Jn 13, 34-35), pour enflammer tous les hommes et toutes les femmes de notre temps avec le feu de l'amour divin qu'Il est venu apporter sur terre (cf. Lc 12, 49). Et tout cela doit se manifester effectivement dans nos vies : « Si la réception du corps du Seigneur nous a renouvelés, nous devons le prouver par nos actes. Que nos pensées soient sincères : qu'elles soient des pensées de paix, de générosité, de service. Que nos paroles soient véridiques, claires, opportunes : qu'elles sachent consoler et aider ; surtout, qu'elles sachent apporter aux autres la lumière de Dieu. Que nos actes soient cohérents, efficaces, opportuns : qu'ils aient le bonus odor Christi, la bonne odeur du Christ, parce qu'ils rappelleront sa façon d'agir et de vivre » (QCP 156).

Grâce à l'Eucharistie, le chrétien peut vraiment être christophore, un porteur du Christ, le Christ qui passe parmi les hommes. C'est ainsi que le fondateur de l'Opus Dei le voyait dans une homélie de la Fête-Dieu : « La procession de la Fête-Dieu rend le Christ présent dans les villages et les villes du monde. Mais cette présence, je le répète, ne doit pas être l'affaire d'un jour, un bruit que l'on écoute et qui s'oublie. Ce passage de Jésus nous rappelle que nous devons aussi le découvrir dans nos occupations habituelles. À côté de la procession solennelle de ce jeudi, il doit y avoir la procession silencieuse et simple de la vie courante de chaque chrétien, homme parmi les hommes, mais qui a reçu la grâce de la foi et la mission divine d'avoir à actualiser le message du Christ sur la terre. Erreurs, misères, péchés ne nous manquent pas. Mais Dieu est avec les hommes et nous devons nous disposer de telle sorte qu'Il puisse se servir de nous et que son passage parmi les créatures soit incessant » (QCP 156).

L'union avec le Christ, nourrie et fortifiée dans l'Eucharistie, permet au chrétien d'exercer une influence transformatrice dans le lieu où il se consacre à son activité professionnelle, dans le milieu familial dans lequel il vit et dans tous les lieux qu'il fréquente en ramenant tout et tous au Christ. Le 7 août 1931, alors qu'il célébrait la messe, saint Josémaria comprit de façon particulière que si le chrétien, uni au Christ et le portant dans son cœur, Le place au sommet de toutes les activités humaines, le Christ attirera toutes choses à Lui (cf. Rodriguez, 1991). Cette expérience a laissé une profonde impression sur son âme. C'est pourquoi il exhortait souvent dans ses prédications orales et écrites : « Demandons donc au Seigneur la grâce d'être des âmes eucharistiques, de nous aider à ce que nos rapports personnels avec Lui se traduisent par la joie, la sérénité, le désir de justice. Nous aiderons alors les autres à reconnaître le Christ, nous contribuerons à Le mettre au faîte de toutes les activités humaines. Ainsi se réalisera la promesse de Jésus : et moi, élevé de terre, j'attirerai tous les hommes à moi (Jn 12,32) » (QCP 156).

L'Eucharistie, en nous unissant au Christ, à l'unique Pain auquel participent tous les chrétiens (cf. 1 Co 10, 17), nous unit les uns aux autres et à Lui, édifiant l'Église comme un seul Corps (cf. 1 Co 12, 27). C'est pourquoi, en participant à la célébration de l'Eucharistie, « nous nous sentons unis dans le Christ avec tous les chrétiens » (QCP 88). L'Eucharistie nous unit plus étroitement à nos sœurs et frères dans la foi, à toute la famille de Dieu qu'est l'Église (cf. Ep 2, 19).

Pour saint Josémaria, l'Eucharistie, dans la mesure où elle contient le Verbe incarné, le Crucifié ressuscité et placé glorieux à la droite du Père, possède une efficacité salvifique qui transcende le temps et pénètre la réalité eschatologique. « Pour le chrétien qui se fortifie par la manne impérissable de l'Eucharistie, le bonheur éternel commence dès à présent. Ce qui est vieux appartient au passé : laissons de côté ce qui est périssable ; que tout soit nouveau pour nous : les cœurs, les mots et les actes (Hymne Sacris solemniis) (…) C'est la Bonne Nouvelle, parce que, d'une certaine façon, elle est pour nous une anticipation mystérieuse de l'éternité » (QCP 152).

« Jésus, dans l'Eucharistie, nous garantit avec certitude sa présence en notre âme; son pouvoir qui soutient le monde ; ses promesses de salut qui aideront la famille humaine, quand viendra la fin des temps, à habiter pour toujours dans la maison du Ciel, autour de Dieu le Père, de Dieu le Fils et de Dieu le Saint-Esprit, Très Sainte Trinité, Dieu Unique » (QCP 153). La Sainte Eucharistie est gage ou garantie de la gloire future, c'est-à-dire de la résurrection et de la vie éternelle et heureuse avec Dieu, Un et Trine, que le Seigneur a promis à ceux qui le reçoivent dans ce sacrement (cf. Jn 6, 54).

Dans l'Eucharistie, l'accomplissement du plan salvifique universel de Dieu est présent in nuce, d'une manière seulement inchoative[2] : avec le Christ ressuscité, la nouvelle création est également présente, « les nouveaux cieux et la nouvelle terre », la nouvelle humanité (cf. Ap 21,1-7 ; 2 P 3,13 ; Rm 8,19-22). En effet, dans la glorieuse transfiguration de Jésus-Christ, le renouvellement eschatologique du monde a déjà été inauguré : dans le Seigneur ressuscité, l'eschaton ‒ Celui qui représente les réalités ultimes[3] ‒ est déjà présent au huitième jour, l'éternité faisant irruption dans le présent, nous donnant un avant-goût de ce que nous trouverons dans la vie éternelle. En ce sens, nous pouvons dire que toute célébration eucharistique est Pâques, le passage de l'Église et de toute la création vers sa fin. Dans chaque Eucharistie, dit saint Josémaria, « Jésus, dans un geste de prêtre éternel, attire à Lui toutes choses, pour les placer, divino afflante spiritu, avec le souffle du Saint-Esprit, en la présence de Dieu le Père » (QCP 94).


Thèmes connexes : Apostolat ; Contemplatifs au milieu du monde ; Église ; Jésus-Christ ; Liturgie ; Sacerdoce ministériel ; Action de grâce ; Âme sacerdotale ; Miséricorde ; Présence de Dieu ; Sacerdoce ministériel ; Sacrements ; Église ; Liturgie ; Présence de Dieu ; Exposition d'ensemble ; Travail, (Sanctification du) ; Très Sainte Trinité ; Unité de vie ; Vie ordinaire, (Sanctification de la).

Bibliographie : Aimer l’Église : Prêtres pour l’éternité nos 34-50 ; QCP 83-93 & 150-161; Manuel Belda Plans, « Eucaristía y vida mística », in José Antonio Abad Ibáñez (ed.) Diálogos de teología II. Condenados a la alegría, Valencia, Fundación Mainel, 2000, pp. 179-198; Flavio Capucci, “Beato Josemaría Escrivá. Sacerdote, Fondatore dell’Opus Dei (1902-1975)”, in Eucaristia: santità e santificazione, Città del Vaticano, Libreria Editrice Vaticana, 2000, pp. 183-184; Javier Echevarría Rodríguez Eucaristía y vida cristiana, Madrid, Rialp, 2005 Id. Vivir la Santa Misa, Madrid, Rialp, 2009; Joaquín Ferrer Arellano Almas de Eucaristía. Reflexiones teológicas sobre el significado de esta expresión en San Josemaría Escrivá, Madrid, Palabra, 2004; Ángel García Ibáñez, “La Santa Misa, centro y raíz de la vida del cristiano” Romana. Boletín de la Prelatura de la Santa Cruz y Opus Dei, 28 (1999), pp. 148-165; José Luis Illanes Maestre, “Eucaristía y existir cristiano” in Id. Mundo y Santidad, Madrid, Rialp, 1984, pp. 235-272; Álvaro del Portillo, “Sacerdotes para una nueva evangelización”, in Lucas Francisco Mateo-Seco et al. (dirs.) La formación de los sacerdotes en las circunstancias actuales. XI Simposio Internacional de Teología de la Universidad de Navarra, Pamplona, Servicio de Publicaciones de la Universidad de Navarra, 1990, pp. 979-1000; Pedro Rodríguez, “Omnia traham ad me ipsum. El sentido de Juan 12, 32 en la experiencia espiritual de Mons. Escrivá de Balaguer” Romana. Boletín de la Prelatura de la Santa Cruz y Opus Dei, 13 (1991), pp. 331-352; Ana María Sanguineti, “Dimensión sacramental de la vida cotidiana de los hijos de Dios en su Iglesia: un aporte teológico”, in GVQ, V/2, pp. 215-231; Francisco Javier Sesé Alegre, “Misterio de fe, misterio de amor”, ScrTh, 32 (2000), pp. 585-606.

[1] Ndt : à la fois Dieu (theos) et homme (andros)

[2] Ndt : qui sert à exprimer une action qui commence, une progression, par une forme spécifique (dict. ROBERT)

[3]Ndt : la victoire du Christ sur la mort et, d’une certaine façon, le terme et l’accomplissement de l’Histoire.

[Note de l'éditeur : les notes ont été ajoutées au moment de la traduction et ne visent qu’à faciliter la compréhension des lecteurs moins avisés ]

Ángel García Ibáñez