1. La Trinité comme origine et fin.
2. L’Esprit Saint, Pasteur de nos âmes.
3. La réponse de l’homme : limitation humaine et docilité.
4. La mission de l’Église et du chrétien.
Les références au Saint-Esprit sont très fréquentes dans les œuvres publiées de saint Josémaria. Il y en a plus d’une centaine, avec une fréquence similaire à celle d’autres termes fondamentaux tels que, par exemple, Dieu le Père. Bien sûr, les mentions de l’Esprit Saint sont liées aux références aux deux autres Personnes divines (Cf. AD 152 ; QCP 142), souvent accompagnées du terme « Dieu » répété devant chacune d’entre elles (cf. AD 33 & 66 ; Entretiens 109 ; QCP 148 &160 ; F 611 ; S 693 & 985).
1. La Trinité comme origine et fin
Avec une force patristique, et conformément à toute la tradition chrétienne, saint Josémaria présente le Dieu Un et Trine comme l’origine et la fin de l’homme et de toutes choses. La compréhension de la Sainte Trinité comme source et fin de la vie théologale du chrétien conduit à une prière dans laquelle la Trinité apparaît comme l’objet des trois vertus théologales : « Apprends à louer le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Apprends en particulier cette forme de dévotion à la Très Sainte Trinité : je crois en Dieu le Père, je crois en Dieu le Fils, je crois en Dieu le Saint-Esprit ; j’aime Dieu le Père, j’aime Dieu le Fils, j’aime Dieu le Saint-Esprit ; j’espère en Dieu le Père, j’espère en Dieu le Fils, j’espère en Dieu le Saint-Esprit. Je crois, j’espère en la Très Sainte Trinité, et je l’aime » (F 296).
Cette répétition du nom des trois Personnes se produit également dans un contexte directement liturgique, comme par exemple : « la bénédiction de Dieu tout-puissant, Père, Fils et Saint-Esprit » (C 638). Dans ce domaine, des expressions telles que « rendre gloire au Christ et, par lui, avec lui et en lui, au Père et à l’Esprit Saint » (C 786) sont particulièrement riches, et soulignent, à travers la dimension christologique et eucharistique, la dynamique des relations entre le Père, le Fils et l’Esprit divin. La Sainte Messe est présentée comme un chemin d’accès à la vie intime du Dieu trinitaire, dans la mesure où « toutes les affections et tous les besoins du cœur du chrétien trouvent, dans la Sainte Messe, le meilleur canal : celui qui, par le Christ, atteint le Père, dans l’Esprit Saint » (Aimer l’église, 45).
Cette façon de procéder répond à la conscience profonde de l’appel fait à l’homme de s’approcher des trois Personnes divines, de dialoguer avec chacune tout en les distinguant (cf. AD 306) pour exprimer leur propre personnalité dans ce dialogue d’amour entre le baptisé et Dieu. Cette expérience est à la base de Forge, 2 : « Dieu est mon Père ! Si tu médites bien cela, tu ne voudras pas sortir d’une considération aussi consolante. — Jésus est mon Ami très cher (encore une autre découverte de taille !). Il m’aime de toute la folie divine de son Cœur. — L’Esprit Saint est mon Consolateur ! Il guide mes pas tout au long de mon chemin. Penses-y bien ! —Tu es à Dieu..., et Dieu est à toi ».
Une autre caractéristique commune des énumérations des trois Personnes divines est leur proximité avec la Sainte Vierge, tant dans son couronnement par la Trinité (cf. S 926 ; F 285 et Saint Rosaire, cinquième Mystère Glorieux), que dans sa médiation mariale dans la relation du chrétien avec Dieu (cf. F 41 & 1012 ; QCP 148 & 166). Le nom du Père, du Fils et de l’Esprit Saint apparaît immédiatement suivi de celui de Marie (Cf. Entretiens 123) qui « se trouve, corps et âme, aux côtés de Dieu le Père, de son Fils, du Saint-Esprit » (QCP 142). Cette référence à l’union en corps et en âme de la Vierge avec la Trinité est fréquente dans la prédication de saint Josémaria (cf. AD 192).
Une formule belle et synthétique décrit Marie par ses relations avec les trois Personnes divines, telle qu’elle apparaît dans cette prière : « Je vous salue Marie, fille de Dieu le Père ; je vous salue Marie, Mère de Dieu le Fils ; je vous salue Marie, Épouse de Dieu le Saint-Esprit… Dieu seul est au-dessus de vous ! » (C 496 ; cf. aussi S 801 ; F 555 ; AD 274 ; et, en référence à l’Ascension, QCP 171). Notre-Dame apparaît dans la dynamique réciproque des trois Personnes divines, et introduit les hommes dans cette dynamique divine : « Si nous agissons de la sorte, nous rencontrerons au pied de la Croix la Très Sainte Vierge Marie, Mère de Dieu et notre Mère. Sa main bénie nous mènera jusqu'à Jésus et par lui, jusqu'au Père, dans le Saint-Esprit » (Aimer l’église 17). Elle montre dans son corps et son âme, dans ses relations comme femme en tant que Fille, Mère et épouse, que la fin de l’homme est l’union parfaite avec le Dieu un et trine.
2. L’Esprit Saint, Pasteur de nos âmes
La sainteté n’est possible que parce que le Dieu trine se donne vraiment à l’homme par la mission conjointe du Fils et de l’Esprit qui ouvrent la voie au Père. Et sur ce chemin, le Paraclet est le Pasteur de nos âmes (Cf. QCP 174), parce qu’à travers l’Écriture, la liturgie et l’assistance continue à l’Église, Il conduit l’homme sur cette route.
L’approche de saint Josémaria sur l’Écriture est marquée par une référence constante à la troisième Personne, présentée comme la source directe du texte sacré. C’est lui qui « a fait en sorte que cela demeurât par écrit » (QCP 140) et « nous a transmis » (AD 241) l’évangile. Les citations bibliques sont souvent introduites par des expressions dans lesquelles l’Esprit Saint est le sujet de verbes se référant à enseigner ou à transmettre : « dit » (C 244 ; S 628 ; F 10), « jugement » (S 586) ; « nous livre » (F 1021) ; « nous communique » (AD 232). Il parle aussi de paroles « claires » de l’Écriture (S 31:S 163) par lesquelles le Saint-Esprit se réfère à la « promesse » (S 459) et au « conseil » (F 297). On a l’impression que la relation personnelle avec les trois Personnes divines, et avec le Paraclet en particulier, pousse saint Josémaria à recueillir avec un grand réalisme l’action pneumatologique dans la constitution et la transmission de l’Écriture. Être saint signifie vivre l’Evangile et être en relation directe avec le divin Auteur qui façonne l’existence du croyant. C’est Lui qui actualise dans la prière l’enseignement de Jésus et « nous remet en mémoire [les] paroles de l’Évangile » (AD 238).
La doctrine d’Escrivá ne consiste pas, en fait, en une réflexion purement académique, mais naît de sa vie et de son expérience (cf. Aranda, 1990, pp. 89-92). Elle surgit d’une foi profonde dans l’action divine dans le monde et dans l’histoire, dans l’irruption du Paraclet dans l’âme. En termes techniques, on peut dire que ces façons de s’exprimer montrent une forte perception du lien qui existe entre l’économie et l’immanence divines. Et c’est cette connexion qui constitue le chemin que l’homme peut parcourir avec le Christ et l’Esprit pour monter vers le Père (Cf. Illanes, 1999, p. 476).
Il s’agit là d’un thème central dans la théologie des Pères de l’Église, latins et orientaux, auxquels il renvoie de fait. Par exemple, en ce qui concerne l’action du Paraclet dans l’Eucharistie, on trouve plusieurs textes : un de Jean Damascène dans Amis de Dieu, 15, un de saint Cyrille de Jérusalem et un autre de saint Augustin, également dans Amis de Dieu, 87. Plusieurs fois (cf. AD 89 ; AIG, pp. 15-38) apparaît la définition de l’Église comme un peuple « réuni dans l’unité du Père, du Fils et de l’Esprit Saint » du De dominica oratione de saint Cyprien (23, PL 4, 553) qui a eu tant d’importance lors du Concile Vatican II (cf. LG, 4).
L’action de l’Esprit est évidente à la fois dans la lecture liturgique de l’Écriture et dans la célébration des sacrements, définis en une occasion comme des « lumières du Paraclet » (QCP 89). Le Baptême, la Confirmation, l’Ordination sacerdotale sont liés à l’action de l’Esprit Saint à travers le concept d’effusion, qualifié de « silencieuse et féconde » dans le cas du sacrement de confirmation (cf. QCP 78) et de « nouvelle et ineffable » dans l’Ordination (cf. QCP 79).
Selon la même logique, la troisième Personne de la Trinité aide à se préparer et à vivre la Sainte Messe (cf. QCP 83), puisque la Sainte Messe est le fruit du « courant d'amour trinitaire pour les hommes » (QCP 85). Saint Josémaria présente cette doctrine à partir des différentes prières de la liturgie eucharistique, de la collecte jusqu’à la bénédiction finale (Cf. QCP 85-91), montrant comment « toute la Trinité est présente dans le sacrifice de l’Autel » et soulignant la coopération de la troisième Personne dans le saint Sacrifice (cf. QCP 86 & 90). L’Eucharistie est « le centre et la racine » de la vie spirituelle du chrétien (Cf. QCP 87), afin qu’« en assistant à la Sainte Messe, vous [appreniez] à approcher chacune des personnes divines : le Père qui engendre le Fils ; le Fils qui est engendré par le Père ; et l'Esprit Saint qui procède des deux » (QCP 91).
L’Esprit Saint est « le fruit de la Croix » (QCP 96 ; F 759), don du Calvaire qui parvient jusqu’à nous (cf. F 27). Dans son sublime acte d’obéissance filiale, le Crucifié nous donne « l’Esprit de Vérité et de Vie » (QCP 102), c’est-à-dire l’Esprit du Fils, afin que « le Paraclet, en agissant en nous, confirme ce que le Christ nous annonçait : que nous sommes enfants de Dieu » (QCP 118). Le sacrifice du Christ est compris comme l’acte suprême de charité parce que l’Esprit est le don de soi que le Fils rend librement au Père. La Croix est donc présentée, avec des expressions qui peuvent être mises en relation avec la tradition occidentale et orientale, comme une réalité glorieuse. La sainteté est possible parce que, de la Croix, l’Esprit se répand sur les hommes, qui peuvent vivre comme enfants de Dieu, comme contemplatifs au milieu du monde, parce que dans leur cœur ils portent l’Esprit du Christ qui les aide constamment et forge leurs actions, leur façon de penser et de ressentir, en leur donnant la paix du Cœur de Jésus (cf. QCP 169).
Dans la doctrine de saint Josémaria, le rôle de la troisième Personne dans l’Eucharistie et le fait que le don de l’Esprit soit le fruit de la Croix sont étroitement liés à la dévotion au Sacré-Cœur, comprise ici d’une manière profondément théologique et trinitaire. Dans des textes d’une grande force expressive, il consigne la profondeur pneumatologique de la Charité du Christ : « l'amour de Jésus pour les hommes, est un aspect insondable du mystère divin, de l'amour du Fils pour le Père et pour l'Esprit Saint. L'Esprit Saint, ce lien d'amour entre le Père et le Fils, trouve dans le Verbe un Coeur humain » (QCP 169). La dimension historique du don du Christ à l’homme révèle et communique l’intimité divine et l’Amour éternel des trois Personnes. De cette façon, le chrétien dans sa vie quotidienne peut aussi vraiment atteindre l’intimité divine (cf. QCP 116).
Ce lien entre les missions divines et l’immanence trinitaire est essentiel dans le message diffusé par saint Josémaria, puisque l’appel universel à la sainteté naît au sein de la Trinité et se réalise à travers la tractio que le Christ exerce sur chaque homme et sur les réalités humaines : « Jésus, dans un geste de prêtre éternel, attire à Lui toutes choses, pour les placer, divino afflante spiritu, avec le souffle du Saint-Esprit, en la présence de Dieu le Père » (QCP 94). La perception de cette attraction est liée dans la vie de saint Josémaria à une expérience mystique concrète, à une locution intérieure qu’il a eue le 7 août 1931 lorsqu’il a senti clairement dans son âme les paroles de Jn 12, 32 : « Et ego si exaltatus fuero a terra, omnia traham ad me ipsum ! » (Et moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes) (AVP, I, p. 380 ; cf. ibid.,p. 380 à 384). Cette attraction n’est pas extrinsèque mais naît de l’intérieur du monde précisément parce qu’elle est réalisée par l’Esprit. Celui-ci est le Berger qui conduit les hommes à la sainteté par le seul chemin possible qui est le Cœur du Christ transpercé lors du Sacrifice du Calvaire. Le Père, origine ultime de tout et de toute tractio, est le Dieu proche qui envoie dans nos cœurs la troisième Personne pour que nous puissions nous laisser gagner par cette merveille qu’est le Crucifié : « Le Dieu de notre foi n'est pas un être lointain, qui contemple avec indifférence le sort des hommes : leurs aspirations, leurs luttes, leurs angoisses. C'est un Père qui aime ses enfants au point d'envoyer le Verbe, seconde Personne de la Très Sainte Trinité, pour que, en s'incarnant, Il meure pour nous et nous rachète. C'est ce même Père aimant qui nous attire maintenant doucement vers Lui, par l'action du Saint-Esprit qui habite en nos cœurs » (QCP 84).
3. La réponse de l’homme : limitation humaine et docilité
L’expérience personnelle de l’attraction du Paraclet qui agit dans le cœur des hommes pour les christifier et les amener au Père est unie chez saint Josémaria à la perception claire des limites que l’homme peut mettre à l’action salvifique et au besoin de docilité qui en résulte (Cf. Rouco, 2003, p. 14). Puisque le chemin de la sainteté a été ouvert par Dieu, le seul véritable obstacle est la croûte ou la cuirasse qui rend le cœur insensible aux motions de l’Esprit (cf. C 130 ; QCP 165).
Les enseignements sur le Paraclet sont souvent associés à la perception de la limitation humaine et à la nécessité conséquente d’un abandon confiant et filial à l’action de Dieu, comme un enfant vis-à-vis de son Père. C’est la ligne fondamentale que l’on trouve dans Chemin. Au point 599, qui recueille un texte écrit en septembre 1932, saint Josémaria affirme : « Tu es poussière sale et déchue. — Quand bien même le souffle du Saint-Esprit t’élèverait par-dessus toutes les choses de la terre ; quand bien même les rayons souverains du Soleil de Justice te feraient briller comme l’or, en se réfléchissant de haut sur ta misère, n’oublie pas la pauvreté de ta condition. Une seconde d’orgueil te rejetterait au sol, tu cesserais d’être lumière pour n’être plus que fange ». Le contact personnel avec la lumière rayonnée par le Christ montre à l’homme son néant et lui fait toucher à quel point toutes ses vertus et ses bonnes œuvres ne sont rien d’autre qu’un don divin. La perception de l’appel universel à la sainteté est basée sur cette compréhension radicale : « Dialogue assidûment avec le Saint-Esprit, ce Grand Inconnu : c’est lui qui doit te sanctifier. N’oublie pas que tu es temple de Dieu. — Le Paraclet est au centre de ton âme : écoute-le et suis docilement ses inspirations » (C 57).
Ce dernier point reproduit un texte écrit en novembre 1932, année où la dévotion de saint Josémaria à la troisième personne de la Trinité s’est accrue avec la lecture du Décenaire à l’Esprit Saint de Francisca Javiera del Valle et avec de nombreuses lumières divines qui lui sont venues alors qu’il se préparait à la solennité de la Pentecôte de cette année-là. Le texte est le résultat de la prière douce et lumineuse qui suivit le conseil du P. Sánchez Ruiz, son confesseur : « Sois ami avec l’Esprit Saint. Ne lui parle pas : écoute-le » (CECH, p. 267) ; il est à l’origine de Forge, 430 : « Ne te contente pas de parler au Paraclet, écoute-le ! Dans ta prière, considère bien que la vie d’enfance, en te permettant de découvrir en profondeur que tu es fils de Dieu, t’a rempli d’un amour filial pour le Père ; souviens-toi bien qu’auparavant, c’est par Marie que tu es allé à Jésus, lui que tu adores comme un ami, un frère, dont tu es totalement épris... Quand tu as reçu ce conseil, tu as compris que, jusqu’alors, même si tu savais que le Saint-Esprit habite dans ton âme pour la sanctifier... tu n’avais pas “compris” la réalité de sa présence. Il a fallu cette suggestion : et à présent tu éprouves l’Amour au-dedans de toi ; et tu veux te rapprocher de Lui, devenir son ami, son confident..., lui faciliter le travail pour qu’il polisse, arrache, enflamme... Je n’en serai pas capable, pensais-tu. — Écoute-le, j’insiste. Il te donnera des forces. Et c’est lui qui fera tout, si tu le veux... et tu le veux ! Dans ta prière, appelle-le : Hôte Divin, mon Maître, ma Lumière, mon Guide, mon Amour, et dis-lui : fais que je sache t'accueillir avec prévenance, écouter tes leçons et m’enflammer, te suivre et t'aimer »
En 1934, saint Josémaria composa une prière qui était une conséquence de ses relations avec Dieu et des conseils qu’il avait reçus en direction spirituelle : « Viens, ô Saint-Esprit : éclaire mon intelligence pour connaître tes commandements ; fortifie mon cœur contre les embûches de l’ennemi ; enflamme ma volonté... J’ai entendu ta voix, et je ne veux pas m’endurcir et résister en disant : après..., demain. Nunc coepi ! Maintenant ! au cas où demain ne vienne jamais pour moi. O Esprit de vérité et de Sagesse, Esprit d’intelligence et de conseil, Esprit de joie et de paix ! : Je veux ce que tu veux, je veux parce que tu veux, je veux comme tu veux, je veux quand tu veux... ! » (CECH, p. 271).
Saint Josémaria indique que l’ouverture de l’âme à l’œuvre du Paraclet, unie à la docilité envers le directeur spirituel, est un moyen sûr d’atteindre la sainteté. Cette doctrine se complète lorsqu’on tient compte du fait que la tâche même de diriger les âmes exige que le directeur aspire à soutenir efficacement l’œuvre du Paraclet (cf. C 62). Cette attitude de docilité est parfois décrite comme liée à l’enfance spirituelle (Cf. C 852), également avec des mots qui évoquent l’identification au Christ opérée par l’Esprit : « Ne gêne pas l’œuvre du Paraclet : unis-toi au Christ pour te purifier, et subis avec lui les insultes, les crachats, les soufflets…, les épines, le poids de la croix…, les clous déchirant ta chair, les angoisses d’une mort dans l’abandon… Et glisse-toi dans le flanc ouvert de notre Seigneur Jésus jusqu’à trouver un abri sûr dans son Cœur blessé » (C 58). Le chrétien est appelé à être alter Christus, ipse Christus par l’œuvre du Paraclet qui fait de lui un fils dans le Fils et l’unit à la Croix en lui offrant dans le Cœur de Jésus un refuge sûr où même les plus petits peuvent trouver l’Amour du Père.
Cette ligne de pensée se retrouve dans d’autres écrits de saint Josémaria, comme dans Sillon, 978, un point qui, parallèlement à Chemin, 58, définit l’œuvre du Paraclet : « qu'Il fasse un Crucifix de ta pauvre chair ». Il n’y a pas d’autre moyen (cf. F 860). L’expérience des apôtres doit aussi être vécue par tous les chrétiens : bien qu’ils aient été formés par le Christ, ils se sont enfuis devant la Croix, mais après la Pentecôte, leurs limites et leur faiblesse ont été transfigurées par l’efficacité du Paraclet (Cf. S 283 ; QCP 2). Le chrétien fait aussi l’expérience de ses propres limites, mais il peut demander l’efficacité de l’Esprit Saint avec la certitude absolue d’être entendu (Cf. S 616), car « l’Esprit Saint peut se servir pour ce qu’il veut faire de l’instrument le plus inepte qui soit » (F 671).
La lutte ascétique se conçoit comme ouverture, comme docilité à cette action de Dieu en nous qui a sa réalisation visible dans les sacrements (cf. F 429). L’essence de cette lutte réside dans l’effort pour s’abandonner et pour accepter la volonté du Père, à l’imitation de Jésus. « Si tu t’abandonnes de nouveau entre les mains de Dieu, l’Esprit Saint te donnera lumière pour ton intelligence, et vigueur pour ta volonté » (F 424). La docilité n’a pas une valeur purement morale, comme s’il s’agissait d’un précepte extrinsèque, mais est fondée ontologiquement sur l’inhabitation même du Paraclet dans l’âme. Il s’agit de nous ouvrir à la puissance de l’Esprit Saint en nous, en essayant d’éliminer tout obstacle. D’où les sentiments qui se reflètent dans un point de Forge : « Seigneur ! à partir de maintenant, fais que je ne sois plus “moi”, mais “cet autre” que tu veux que je sois ! — Fais que je ne refuse rien de ce que tu me demanderas ! Que je sache prier ! Que je sache souffrir ! Que rien ne me préoccupe, sinon ta gloire. Que je sente constamment ta présence ! — Fais que j’aime le Père, et que je te désire, toi, mon Jésus, dans une Communion permanente ! Que l’Esprit Saint embrase mon âme ! » (F 122).
Il n’est donc pas étrange que saint Josémaria invite à invoquer la troisième Personne à la fois dans l’examen de conscience (cf. F 326), et à tout moment de la journée, en répétant des oraisons jaculatoires : « imprègne-moi, enivre-moi de ton Esprit » (F 353); « Ure igne Sancti Spiritus ! » (F 516, F 923); ou « Ignem veni mittere in terram, et quid volo nisi ut accendatur ? » (Saint Rosaire, Premier Mystère lumineux). Son but était de « fréquenter » si possible sans relâche, l’amitié et la relation aimante et docile de l’Esprit Saint. « “Veni, Sancte Spiritus… !” Viens, Esprit Saint, demeurer dans mon âme ! » (F 514).
Tout cela est lié, de toute évidence, à la filiation divine, à la conscience d’être un petit enfant de Dieu qui n’a peur de rien ni de personne, non pas parce qu’il a confiance en sa propre force, mais parce qu’il s’appuie sur l’Esprit du Père qui lui a été donné : « Efforce-toi d’être cet enfant saintement effronté, qui “sait” que Dieu son Père lui envoie toujours ce qu’il y a de mieux pour lui. Aussi, lorsqu’il manque même de ce qui semble le plus nécessaire, il ne s’en inquiète pas. Rempli de paix, il dit : il me reste toujours le Saint-Esprit, que j’ai pour moi » (F 924). Et, comme c’est le cas pour un enfant, il y a aussi la mère qui vient l’aider, qui l’élève au-delà de ses propres limites : c’est Marie qui, en réponse parfaite au don de Dieu, enseigne dans le dialogue personnel à être docile au Paraclet et purifie l’âme en l’aidant à prendre son envol malgré les tentations du monde (cf. F 994).
Suivant la Tradition de l’Église, saint Josémaria rappelle que la vie morale du chrétien est soutenue par les sept dons de l’Esprit Saint : sagesse, intelligence, conseil, force, science, piété et crainte de Dieu. Les dons sont « des dispositions permanentes qui rendent l’homme docile pour suivre les impulsions de l’Esprit Saint » (CEC, no 1830). Chaque don complète et amène « à leur perfection les vertus de ceux qui les reçoivent. Ils rendent les fidèles dociles pour obéir promptement aux inspirations divines » (CEC, no 1831).
4. La mission de l’Église et du chrétien
Marie conduit à la sainteté, rassemblant tous les enfants de Dieu dans l’Église. Saint Josémaria aimait l‘oraison jaculatoire Omnes cum Petro ad Iesum per Mariam (F 647) qu’il répéta dès le début de la fondation de l’Opus Dei. L’Église est marquée par la présence du Paraclet et se présente comme le lieu de sanctification : « Sainteté ne signifie absolument rien d'autre qu'union à Dieu ; à une plus grande intimité avec le Seigneur correspond une plus grande sainteté. L'Église a été voulue et fondée par le Christ, qui accomplit ainsi la volonté du Père ; l'Épouse du Fils est assistée par le Saint-Esprit. L'Église est l'oeuvre de la Très Sainte Trinité ; elle est sainte et Mère : notre sainte Mère l'Église » (Aimer l’église, 22).
C’est le thème central de l’homélie Le Grand Inconnu datée du 25 mai 1969, fête de la Pentecôte. Saint Josémaria commence par évoquer l’événement de la Pentecôte raconté dans les Actes lorsque la puissance de Dieu est descendue sur les Apôtres qui ont fait l’expérience de la force de l’Esprit capable de surmonter toutes leurs peurs et leurs faiblesses. Dans la communauté primitive, ajoute-t-il, tout était l’œuvre du Paraclet (Cf. QCP 127). Cette observation éclaire la situation de l’Église contemporaine, car ce qui est raconté dans le texte sacré « n’est pas un souvenir du passé » (QCP 128), puisque le Christ a promis que le Paraclet resterait toujours avec ses disciples (cf. Jn 14, 16). Par conséquent, les limites et les faiblesses des chrétiens, ainsi que l’échec apparent d’initiatives ou de tâches, ne peuvent pas conduire au découragement et à l’infidélité. Saint Josémaria se réfère à sa propre expérience, racontant un épisode qui a eu lieu lorsqu’un ami lui a montré sur une carte du monde le prétendu échec du christianisme (cf. QCP 129). Le Christ, répondit saint Josémaria, n’a pas échoué. Dieu ne veut pas d’esclaves ; Il veut des enfants, coopérateurs libres de son plan, et de là naît la possibilité de lui tourner le dos, de s’opposer à l’amour de Dieu, mais aussi celle d’accueillir l’amour de Dieu, même sous la forme du pardon. Pour cette raison, « cela vaut la peine de risquer sa vie, de se donner pleinement pour répondre à l'amour et à la confiance que Dieu met en nous » (QCP 129).
Le fruit de cette profonde conscience de l’action de l’Esprit Saint est la foi en l’Église. Les dons de Dieu peuvent parfois être déposés dans des vases d’argile (cf. 2 Co 4, 7), mais les nombreux fruits de la sainteté ne doivent pas être ignorés et il ne faudrait pas être superficiels. « Ce qui est le plus important dans l'Eglise, ce n'est pas de voir comment les hommes répondent, mais de voir ce que Dieu fait » (QCP 131). Nous ne devons pas nous faire confiance, « mais nous n'avons pas le droit de douter de Dieu » (ibid.).
Le 30 mai 1970, saint Josémaria consacra l’Opus Dei à l’Esprit Saint, l’implorant de déverser ses dons sur les membres de l’Œuvre. Il y inclut aussi une prière pour l’Église : « Nous te prions de toujours assister ton Église et en particulier le Pontife romain pour qu’il nous guide par sa parole et son exemple, et pour qu’il obtienne la vie éternelle avec le troupeau qui lui a été confié ; que les bons pasteurs ne manquent jamais et que, tous les fidèles te servant avec une vie sainte et une foi intègre, nous parvenions à la gloire du ciel » (AVP, III, p. 611).
Une compréhension profonde de la présence du Paraclet dans l’Église a conduit saint Josémaria à une conception extrêmement large de la mission du chrétien dans l’Église. Tous les fidèles, en tant que baptisés, sont appelés à être saints parce que l’Esprit permet la sanctification de toute activité humaine y compris la vie ordinaire, le travail professionnel et les obligations familiales. C’est l’Esprit qui aide à découvrir dans toutes les activités humaines, même les plus courantes, « ce quelque chose de saint et divin » (Entretiens 114).
La nécessité de faire de l’apostolat est donc une constante, car « chaque génération de chrétiens doit racheter, doit sanctifier son temps ; elle doit, pour cela, comprendre et partager les aspirations des autres hommes, ses égaux, afin de leur apprendre, en usant du don des langues, comment ils doivent répondre à l'action du Saint-Esprit, à l'effusion permanente des richesses du Coeur divin » (QCP 132). C’est de la foi en l’Esprit Saint et de la relation avec Lui que naît l’action de l’apôtre qui ne fait que donner la lumière qu’il a reçue sans la mériter : « Aimez la Troisième Personne de la Sainte Trinité, écoutez dans l'intimité de votre être les motions divines, qui sont autant d'encouragements et de reproches. Que la lumière qui se répand en votre âme éclaire aussi votre chemin sur la terre » (QCP 133).
Tout cela en sachant que tous les chrétiens sont appelés à la plénitude de la vie théologale : « Vivre selon le Saint-Esprit, c'est vivre de foi, d'espérance et de charité; c'est laisser Dieu prendre possession de nous et changer radicalement notre coeur pour le faire à sa mesure » (QCP 134). Par conséquent, chacun doit être conscient qu’il n’y a pas de chrétiens de seconde classe, que Dieu nous appelle tous à être saints et donc à contribuer à la reconnaissance de cette réalité par tous. Comme moyen pour aider à découvrir la radicalité du baptême, il se réfère à l’abandon filial à la volonté divine et à la docilité (Cf. QCP 135) ; à la vie de prière, entendue comme conversation personnelle et amitié avec le Paraclet, car « si nous sommes en rapport constant avec le Saint-Esprit, nous deviendrons également spirituels, nous nous sentirons frères du Christ et enfants de Dieu, de ce Dieu que nous n'hésiterons pas à invoquer comme notre propre Père » (QCP 136) ; et, enfin, à l’union avec la Croix, puisque – comme nous l’avons déjà dit – le Calvaire précède la Résurrection et la Pentecôte dans la vie du Christ, et il doit en être ainsi de même chez chaque chrétien (cf. QCP 137-138) : « si nous nous familiarisons avec le Seigneur dans la prière, nous irons de l'avant avec un regard clair qui nous permettra de découvrir l'action du Saint-Esprit, jusque dans les événements qui peuvent parfois nous sembler incompréhensibles ou qui nous causent tristesse et douleur» (Aimer l’église, 30).
De cette confiance en la présence du Paraclet naît « l’optimisme chrétien », qui occupe une place importante dans la doctrine de saint Josémaria (cf. Entretiens 23 ; AIG, p. 15 à 38). Tout comme un amour profond de la liberté qui façonne la vie spirituelle du chrétien comme enfant de Dieu (Cf. Entretiens 8) avec la responsabilité qui y est attachée.
En cohérence avec la mission qu’il avait reçue, saint Josémaria consacra une large place à parler des laïcs ou des chrétiens ordinaires. Tout chrétien doit être conscient d’être Église (cf. Entretiens 59) et se sentir obligé de participer de manière responsable à la mission confiée par le Christ à tous les baptisés, chacun dans les circonstances qui sont les siennes. C’est pourquoi, se référant à l’Opus Dei, mais esquissant une doctrine d’envergure générale, saint Josémaria a pu dire : « nous attachons une importance première et fondamentale à la spontanéité apostolique de la personne, à sa libre initiative et à sa responsabilité, guidées par l'action de l'Esprit » (Entretiens 19).
L’action apostolique du chrétien, quelle que soit sa condition, sera spontanée et libre, car tout dans son existence doit venir de l’intérieur, pas de l’extérieur. Chaque chrétien est appelé à être saint et à attirer les autres à la foi et à la sainteté, en suivant et en réalisant sa propre liberté, car la perception de ses propres limites doit se transformer en ouverture à l’action du Paraclet. L’homme ne peut se sauver seul, et c’est pourquoi sa grandeur vient d’en haut : « ce n'est pas à des forces humaines que les oeuvres d'apostolat doivent leur croissance, mais au souffle du Saint-Esprit » (Entretiens40). Toujours sans oublier que le salut perfectionne l’homme en tant qu’homme et le libère en réalisant ses aspirations les plus profondes. L’humain n’est pas opposé au divin, mais ouvert dans son intimité la plus profonde à cette réalité. La pleine identité de l’homme est encadrée par sa filiation divine, par l’appel à collaborer avec son Père pour le salut du monde (Cf. Scheffczyk, 2002, p. 63).
L’action de l’Esprit provoque ainsi une ouverture radicale du cœur du chrétien qui cherche des points de rencontre avec chaque homme à travers son travail et la vie quotidienne. Une ouverture qui caractérise l’Église depuis le début parce qu’elle est née du Cœur du Christ : « L'Église était déjà catholique le jour de la Pentecôte. Elle naît catholique du Cœur blessé de Jésus comme un feu que le Saint-Esprit allume » (Aimer l’église, 26). Et c’est Marie qui, au pied de la Croix, intercède auprès de son Fils pour qu’il envoie le Paraclet aux hommes afin qu’ils retournent tous ensemble au Père (cf. QCP 66).
Thèmes connexes : Consécrations de l’Opus Dei ; Sainte Trinité.
Bibliographie : Antonio Aranda Lomeña, « Profils théologiques de la spiritualité de l’Opus Dei », ScrTh, 22 (1990), pp. 89-111 ; Ernst Burkhart - Javier López Vie quotidienne et sainteté dans l’enseignement de saint Josémaria. Étude de théologie spirituelle, I-III, Madrid, Rialp, 2010-2013 ; José Luis Illanes Maestre, « Fréquenter l’Esprit Saint et dynamisme de l’expérience spirituelle. Considérations tirées d’un texte du bienheureux Josemaría Escrivá », dans Pedro Rodríguez (éd.) Le Saint-Esprit et l’Église. XIXe Symposium international de théologie de l’Université de Navarre, Pampelune, Service des publications de l’Université de Navarre, 1999, p. 467 à 479 ; FernandoOcáriz, « L’Esprit Saint et la liberté des enfants de Dieu », dans Nature, grâce et gloire, Pampelune, EUNSA, 2010, p. 107-121 ; Domingo Ramos-Lissón, « Aspect de la divinisation chez le bienheureux Josemaría Escrivá de Balaguer », dans José Luis Illanes et al. Le chrétien dans le monde. A l’occasion du centenaire de la naissance du bienheureux Josemaría Escrivá (1902-2002). XXIIIe Symposium international de théologie de l’Université de Navarre, Pampelune, Service des publications de l’Université de Navarre, 2003, p. 483 à 499 ; Antonio María Rouco Varela, « La sainteté réside dans le fait d’être docile à l’Esprit Saint » : Le parallélisme de saint Alonso de Orozco et du bienheureux Josémaria » Alfa et Omega, 315 (2003), p. 14 ; Leo Scheffczyk, « Die Gnade in der Spiritualität von Josemaría Escrivá », dans César Ortiz (Hrsg.) Josemaría Escrivá. Profile einer Gründergestalt, Cologne, Adamas Verlag, 2002, p. 57-80.