ENFANCE SPIRITUELLE

1. les clés de la doctrine de saint Josémaria. 2. les sources. 3. Contenu.

1. les clés de la doctrine de saint Josémaria.
2. les sources.

3. Contenu.

La notion d'« enfance spirituelle » est présente dans la réflexion chrétienne au moins depuis le Moyen-Âge, liée, par exemple, à la dévotion à l'Enfant Jésus (cf. Pourrat, 1956), mais son développement ainsi que l'usage habituel de l'expression sont plus tardifs et doivent être placés aux environs du XVIIe siècle. Sa diffusion dans la littérature spirituelle n'interviendra toutefois que dans les premières décennies du XXe siècle grâce surtout à la diffusion des enseignements de sainte Thérèse de Lisieux (1873-1897) qui décrit l'enfance spirituelle comme « le chemin de la confiance et de l'abandon total » en Dieu (Sainte Thérèse de Lisieux,1996, p. 826). Saint Josémaria se rattache à cette tradition spirituelle bien qu'avec ses propres accents.

1. les clés de la doctrine de saint Josémaria

Les auteurs qui ont abordé le sujet – malgré la diversité de leurs perspectives – sont généralement d'accord pour dire que l'enfance spirituelle : a) a ses racines dans la révélation biblique en particulier dans le Nouveau Testament ; b) trouve son fondement théologique dans le don et la notion de filiation divine adoptive ; et c) exprime une caractéristique de la relation du chrétien avec Dieu qui n'est pas puérile mais exige et dénote une profonde maturité spirituelle (cf. Berrouard, 1960 ; cf. Sainte-Marie-Bernard, 1960).

Ces aspects sont présents et particulièrement évidents dans la vie et l'enseignement de saint Josémaria. Conformément à l'enseignement du Maître selon lequel il faut devenir comme un enfant pour pouvoir entrer dans le royaume des cieux (cf. Mt 18, 2-4 ; Mc 9, 36 et 10, 14-15 ; Lc 18, 16), l'enfance spirituelle est pour saint Josémaria synonyme d'un profond sens filial et d'un abandon total entre les mains paternelles de Dieu sous l'action de la grâce. Cela apparaît formulé ainsi dans cette citation, par exemple : « Si nous nous laissons guider par ce principe de vie présent en nous qu'est le Saint-Esprit, notre vie spirituelle se développera et nous nous abandonnerons dans les mains de Dieu notre Père avec la spontanéité et la confiance d'un enfant qui se jette dans les bras de son père. Si vous ne retournez à l'état des enfants, vous ne pourrez entrer dans le Royaume des Cieux (Mt 18,3), a dit le Seigneur. C'est le vieux chemin intérieur de l'enfance, toujours actuel, et qui ne procède ni de la mièvrerie ni d'un manque de qualités humaines, mais d'une maturité surnaturelle qui nous fait approfondir les merveilles de l'amour divin, reconnaître notre petitesse et identifier pleinement notre volonté à celle de Dieu » (QCP 135).

En ce sens, l'enfance spirituelle présente des principes clés évidents. Tout d'abord, avoir la conscience vive d'avoir été élevé dans le Christ, par le Baptême, à la condition d'enfants de Dieu. Et aussi, inséparablement, agir avec la pleine confiance que Dieu attire à Lui quiconque lutte pour se comporter conformément à cette condition filiale surnaturelle et via le même chemin, dur et parfois coûteux mais aussi bon et sûr, que le Fils de Dieu lui-même a laissé ouvert sur la terre. La filiation divine et l'enfance spirituelle ne sont pas deux notions identiques. La première est commune à tous les chrétiens qui sont enfants de Dieu et sont appelés à grandir dans la conscience de cette filiation comme conséquence de la réception de la grâce du Baptême. La seconde, en revanche, est une voie à laquelle tous ne sont pas appelés, ou à laquelle ils sont appelés de manière différente. Cependant, elles sont étroitement liées.

« Une vie de prière et de pénitence et la considération de notre filiation divine font de nous des chrétiens profondément pieux, semblables à des petits enfants devant Dieu (…) et, pour qu'un enfant puisse se confier aux bras de son père, il doit être et se sentir petit, dépendant. J'ai souvent médité cette vie d'enfance spirituelle ; elle n'est pas incompatible avec la force d'âme, car elle exige une volonté rigoureuse, une maturité confirmée, un caractère ferme et ouvert » (QCP 10).

Ayant longuement parcouru ce chemin tout au long de sa vie, saint Josémaria conseillait également à tous de le suivre tout en laissant une totale liberté. « Je n'ai pas l'intention d'uniformiser les âmes », disait-il, et il enseignait que personne ne devait être contraint de suivre « la vie de l'enfance spirituelle (...), ni aucune autre voie spirituelle particulière » (in CECH, p. 916). Les enfants de Dieu, répétait-il, n'ont pas besoin d'une méthode spécifique pour se comporter avec leur Père : il existe de nombreuses façons personnelles de vivre en dialogue constant avec le Seigneur (cf. AD 255). Son conseil, comme on peut le lire dans le premier point de Chemin consacré à l'enfance spirituelle, allait être le suivant : « Tâche de connaître la “ voie de l’enfance spirituelle ”, sans te “ forcer ” à suivre ce chemin. — Laisse agir l’Esprit Saint » (C 852).

2. les sources

Comme pour tant d'autres aspects de l'enseignement de saint Josémaria et de ses sources possibles, le plus prudent est d'affirmer que sa propre expérience spirituelle est la source décisive de ce qu'il enseigne sur la vie d'enfance. Logiquement, en tant que personne née et éduquée au cœur du catholicisme, et en tant que prêtre de haute préparation humaniste et théologique, son enseignement sur les différents éléments de la vie chrétienne est complètement immergé dans la Tradition de l'Église, et en tant que tel, il est lié à ce que le Magistère enseigne et à ce que d'autres auteurs, ou mieux encore, d'autres saints, ont exprimé. Mais il s'agit d'un lien assez ample. Dans la grande sphère de la doctrine et de la spiritualité catholique où l'on partage des notions, des schémas de base et même une terminologie, où l'on établit des synergies qui renvoient à l'Évangile et où il existe une atmosphère intellectuelle commune, l'enseignement et le langage de saint Josémaria présentent une ressemblance nécessaire avec ceux d'autres maîtres spirituels, mais il s'agit d'une ressemblance souvent plus externe qu'interne, plus évidente dans ce qui est commun que dans ce qui est propre ou singulier.

Concrètement, en ce qui concerne l'enseignement sur la « vie ou la voie d'enfance », « l'enfance spirituelle », etc., on pourrait penser à une relation directe avec la « petite voie de l'enfance » de Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus. Mais il est facile de voir que les deux saints nous ont laissé des enseignements plus analogues qu'identiques, c'est-à-dire similaires sous certains aspects mais différents sous d'autres. En effet, saint Josémaria commente que ce n'est pas dans les livres qu'il a connu la Voie de l'Enfance, et que ce n'est qu'après que Dieu lui ait inspiré cette voie qu'il a pris conscience de sa ressemblance avec la Petite Voie de Thérèse de Lisieux (cf. AVP, I, p. 415).

La matrice existentielle de la vie d’enfance spirituelle de saint Josémaria, qui consiste à se voir comme un petit enfant devant Dieu, semble avoir sa première origine dans sa propre expérience enfantine au sein de sa vie familiale. Il se souvenait lui-même, en effet, de la sécurité totale qu'il ressentait, enfant, lorsqu'il était dans les bras de son père. De la même manière, avec l'aide de la grâce, la confiance et la sécurité dans la protection et l'affection paternelle de Dieu ont grandi dans sa vie spirituelle. Le travail sacerdotal intense accompli dans sa jeunesse auprès d'enfants de tous âges qu'il a enseignés et confessés l'a également aidé à devenir spirituellement un enfant devant Dieu. Des enfants, de leur candeur et de leur sincérité, il a appris à vivre les facettes de sa relation filiale avec Dieu (cf. Echevarria, 2000, p. 206). Sur ces bases, et face à l'exigence amoureuse d'accomplir la volonté divine manifestée dans les lumières fondationnelles sur l'Opus Dei, cette profonde expérience spirituelle s'intensifia dans son âme. « Dans mon âme naissait le besoin d’être enfant de Dieu, un petit enfant, un enfant dépendant. De là est née dans ma vie intérieure la volonté de vivre tant que je le pourrais – tant que je le peux – la vie d'enfance que j'ai toujours recommandée aux miens, tout en les laissant libres » (AVP, I, p. 404).

Entre octobre 1931 et mars 1932, il traverse une période d'intensité particulière dans l'expérience de l'enfance spirituelle, un temps de grâce singulier qui est précédé et accompagné d'un grand approfondissement de la paternité divine et de la filiation adoptive qui en découle. La « découverte » de la vie d'enfance du Christ – « liée à la contemplation répétée d'une image de l'Enfant Jésus » (CECH, p. 914) – informe intensément sa vie intérieure et s'enracine profondément dans son âme (cf. AVP, I, p. 407). C'est de cette époque que date le livre Saint Rosaire dans lequel il invite le lecteur à l'accompagner et à contempler les mystères de la vie du Christ comme s'ils étaient tous deux des enfants. Saint Josémaria a écrit ce livre d’une seule traite pendant la neuvaine de l'Immaculée Conception en 1931. Il avait fait une demande à Notre-Dame : « Mère immaculée, Sainte Marie : Tu vas me donner quelque chose, Notre-Dame, dans cette neuvaine dédiée à ta Conception sans tache (...) Je te présente ce désir d'atteindre la parfaite enfance spirituelle » (AVP, I, p. 409). Ce qu'il demanda lui fut accordé, et à travers ce petit livre – dans le prologue duquel il écrit : « si tu veux être grand, fais-toi petit » – il a laissé une expression pérenne de son chemin d’enfance.

Il s'est toujours vu devant Dieu comme un enfant – et, en tant que tel, un « instrument inepte » – qui devait accomplir une mission au-dessus de ses forces. « Ma prière, en toute circonstance, a toujours été la même, à quelques nuances près. Je lui ai dit : Seigneur, c’est toi qui m’as placé ici ; toi qui m’as confié ceci ou cela, et moi, j’ai confiance en toi. Je sais que tu es mon Père, et j’ai toujours observé que les tout-petits ont une confiance totale en leurs parents » (AD 143). Et il a aussi toujours conseillé aux autres d'exercer cette même disposition de confiance simple en Dieu. En 1964, par exemple, il écrit : « Soyez vraiment comme des enfants ! Plus vous le serez, mieux ce sera. C’est là l’expérience d’un prêtre qui a dû se relever bien souvent tout au long de ces trente-six années (...) au cours desquelles il [s’est toujours] efforcé d’accomplir une Volonté précise de Dieu (...). Soyez-en persuadés, c’est le seul remède pour que notre conduite soit bonne, grande, divine » (AD 147). Et au crépuscule de sa vie terrestre, il dit en toute confiance : « Au bout de cinquante ans, je suis comme un enfant qui balbutie » (CECH, p. 917).

3. contenu

La continuité dans sa relation de confiance et de filiation avec Dieu se manifeste aussi clairement dans les textes de saint Josémaria faisant référence à cet enseignement, dans lesquels, du premier au dernier, on retrouve la même formulation de la doctrine sans autre variation que celle due aux différents styles littéraires de ses œuvres. Son enseignement est déjà parfaitement exposé dans Chemin, où deux chapitres sont consacrés à l'enfance spirituelle (cf. C 852-874, C 875-901). Le contenu du premier chapitre sert plutôt à décrire les caractéristiques de la notion, tandis que le second chapitre s'intéresse surtout à sa mise en œuvre (cf. CECH, p. 913).

Pour saint Josémaria, l'enfance spirituelle signifie, avant tout, amour de Dieu : un amour sans mesure (cf. C 885, C 894) que nous voyons exprimé dans ces mots : « Nous nous sentons parfois enclins à des enfantillages. — Ce sont de petites merveilles aux yeux de Dieu. Tant que la routine ne s’y mêle pas, elles sont fécondes, parce que l’amour est toujours fécond » (C 859). Parce qu'elle est fondée sur l'amour, elle se traduit aussi, comme nous l'avons déjà dit, par l'abandon filial, un abandon éloigné de tout note de « puérilité » : « Chemin d’enfance. — Abandon. — Enfance spirituelle. — Tout cela n’est point niaiserie, mais vie chrétienne, forte et solide » (C 853) qui consiste en « un chemin de bon sens et de fermeté, dont la difficile facilité exige que l’âme s’y engage et le suive, guidée par la main de Dieu » (C 855). Elle exige donc un engagement de toute la personne, la soumission de la raison et l'exercice de la volonté : « L’enfance spirituelle requiert la soumission de la raison, plus difficile encore que la soumission de la volonté. (…). Conséquence paradoxale : celui qui suit la “ petite voie d’enfance ” doit, pour se faire enfant, renforcer et viriliser sa volonté » (C 856). La soumission de la raison est une conséquence de la « primauté totale et absolue que la foi-confiance a dans le chemin d’enfance spirituelle (...) l'intelligence rend les armes parce que dans sa non-compréhension elle "sait" que Dieu "sait mieux" » (CECH, p. 919).

Dans la doctrine de l'enfance spirituelle enseignée par saint Josémaria, l'abandon à Dieu est décisif, comme l’est aussi l'audace spirituelle et apostolique de celui qui sait qu'il peut tout faire en Dieu : « Enfant. Quand tu le seras vraiment, tu deviendras tout-puissant » (C 863). Pour cette raison, elle conduit à affronter courageusement les obstacles : « Être petit : les grandes audaces sont l’apanage des enfants. — Qui demande… la lune ? — Qui ignore le danger pour réaliser ses désirs ? “ Mettez ”, dans un enfant “ de la sorte ”, beaucoup de grâce divine, le désir de faire sa Volonté (celle de Dieu), un grand amour pour Jésus, toute la science humaine qu’il est capable d’acquérir…, et vous aurez à grands traits le caractère des apôtres d’aujourd’hui, tels que Dieu les veut indubitablement » (C 857).

Petitesse et grandeur, humilité et audace, faiblesse et courage, volonté forte et docilité (C 871), simplicité et prudence, joie intime dans la souffrance (C 873) : ces paradoxes apparents – qui reflètent l'esprit de l'Évangile et des béatitudes (cf. Arellano, 1988, p. 169) – montrent les contours de l'enfance spirituelle. Sa racine la plus profonde est la filiation divine ; son fondement opératif nécessaire est l'humilité de la créature qui s'ouvre à la grandeur de Dieu. Elle s'accompagne toujours d'une foi ferme, d'une espérance inébranlable et d'un amour tendre et fort, qui donnent à ceux qui se savent petits enfants de Dieu une facilité particulière pour oublier les peines et découvrir en toute chose des motifs de joie, d'optimisme et de persévérance, surtout dans la demande : « Persévérer. — Un enfant qui frappe à une porte, frappe une fois, deux fois, de multiples fois…, fort et longtemps, avec effronterie ! Et celui qui vient ouvrir, d’abord agacé, est ensuite désarmé par la candeur du gamin importun… — Il en est de même pour toi avec Dieu » (C 893).

La notion d'enfance spirituelle est également caractérisée dans l'enseignement de saint Josémaria par une intense accentuation mariale. L'abandon entre les mains de Dieu est en même temps, pour des raisons théologiques indiscutables, l'abandon entre les mains maternelles de Marie : « la forme suprême de la vie théologale » (Arellano, 1988, p. 167). Saint Josémaria demande ce don filial à la Mère de Dieu et des hommes : « Enfance surnaturelle : une vie de Foi, une vie d'Amour, une vie d'Abandon. Fiat. Mère Immaculée, tu le feras » (CECH, p. 24). Et il a vécu tout cela en se réfugiant dans sa protection maternelle (cf. C 884 & 898 ; AD 290). Elle est Modèle de l'humble confiance en Dieu : « Ce chant humble et joyeux de Marie dans le “Magnificat” nous rappelle l’infinie générosité du Seigneur envers ceux qui deviennent comme des enfants, envers ceux qui s’abaissent et qui sont bien conscients de n'être rien » (F 608). Et elle est aussi maîtresse dans l'art de devenir petit enfant devant Dieu : « le mystère de Marie nous fait découvrir que, pour nous approcher de Dieu, il nous faut devenir tout petits. En vérité, je vous le dis — affirme le Seigneur en s'adressant à ses disciples — si vous ne changez pas et ne redevenez pas comme les petits enfants, vous n'entrerez pas dans le Royaume des Cieux (Mt 18, 3). Nous faire tout petits : renoncer à l'orgueil, à l'autosatisfaction : reconnaître que, à nous seuls, nous ne pouvons rien, parce que nous avons besoin de la grâce et du pouvoir de Dieu notre Père pour apprendre à cheminer, et pour persévérer dans le chemin. Être petit exige de s'abandonner comme s'abandonnent les enfants, de croire comme croient les enfants, de demander comme demandent les enfants. Et tout cela s'apprend dans l'intimité de Marie » (QCP 143). La fille préférée de Dieu est le prototype de la vie d'enfance.


Thèmes connexes : Abandon ; Petites choses ; Dieu le Père ; Filiation divine.

Bibliographie : C 852-901 et passim ; F 345-354 et passim AVP, I, pp. 404-422 ; CECH, pp. 913-928 ; SRECH passim ; Jesús Arellano, "Espíritu de abandono y vida de infancia espiritual", in José Morales(coord.) Estudios sobre Camino, Madrid, Madrid, Rialp, 1988, pp. 113-172 ; Marie François Berrouard, "Enfance Spirituelle", in DSp, IV, 1960, cols. 682-705 Santa Teresa de Lisieux Obras Completas, Burgos, Monte Carmelo, 1996 ; Pierre Pourrat, "Enfance", in Catholicisme, IV, Paris, Letouzey et Ané, 1956, cols 132-137 ; François Sainte-Marie - Charles Bernard, "Enfance Spirituelle", in DSp, IV, 1960, cols 705-714.

Maria Helena Guerra Pratas