CONTRITION

1. La nécessité de la conversion et de la contrition chrétiennes. 2. Revenir à Dieu, notre Père, par le sacrement de Pénitence. 3. Douleur d’amour.

1. La nécessité de la conversion et de la contrition chrétiennes.
2. Revenir à Dieu, notre Père, par le sacrement de Pénitence.

3. Douleur d’amour.

À de nombreuses reprises, saint Josémaria a dit que la meilleure des dévotions ce sont les actes de contrition. « C’est exprès que je le rabâche : la vie spirituelle est commencement et recommencement continuels. — Recommencer ? Oui ! Chaque fois que tu fais un acte de contrition — et nous devrions en faire beaucoup chaque jour — tu recommences, parce que tu offres à Dieu un amour nouveau » (F 384). La doctrine sur la contrition occupe une place importante dans son message ; nous l’analyserons en fonction de son lien avec une autre question décisive : la conversion.

1. La nécessité de la conversion et de la contrition chrétiennes

Jésus-Christ a commencé sa prédication de l’annonce du royaume de Dieu par l’appel à la contrition, au repentir et, par conséquent, à la conversion : » Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile » (Mc 1, 15). La conversion suppose une profonde reconnaissance de notre condition de pécheurs, de nos misères, une humilité spécifique qui déteste le péché et sait laisser toutes les insuffisances que nous traînons – celles qui sont une conséquence du péché originel et celles causées par notre propre culpabilité – entre les mains du Seigneur par des actes vraiment et profondément contrits. Ceci est nécessaire quand on commence à vivre une vie authentiquement chrétienne. Mais c’est tout aussi nécessaire après des années d’une lutte ascétique rigoureuse, car avec le temps, on voit plus clairement ses propres défauts et ils pèsent plus. Cette expérience ne doit pas nous surprendre, c’est plutôt quelque chose de très normal dans la vie intérieure. Aucun saint ne se sentait saint parce qu’il connaissait parfaitement le décalage entre l’amour affectif et l’amour effectif de Dieu (le thème est récurrent dans le Traité de l’amour de Dieu de saint François de Sales, la Pratique de l’amour de Jésus-Christ de saint Alphonse Marie de Ligori et d’autres ouvrages similaires). Nous devons réagir avec une vision surnaturelle, voir les choses à la lumière de la foi qui nous dit : l’une des conséquences du péché originel est notre inclination constante au péché et à l’erreur. Et, malgré la lutte ascétique, réaliser que cette inclination peut conduire à la tentation de perdre la paix et la joie, en tombant dans des scrupules qui ne voient pas que nos propres défauts cachent un manque d’amour pour Dieu. Le moyen de sortir de cette situation ne réside que dans la véritable humilité. « Si tu as commis une erreur, petite ou grande, reviens en courant vers Dieu ! — Savoure les paroles du psaume : “cor contritum et humiliatum, Deus, non despicies”, jamais le Seigneur ne méprisera ni ne se désintéressera d’un cœur contrit et humilié » (F 172).

Saint Josémaria aimait garder à l’esprit la parabole du fils prodigue (Lc 15), « que nous ne nous lasserons jamais de méditer » (QCP 178), car « d'une manière ou d'une autre, la vie humaine est un perpétuel retour vers la maison de notre Père, à l'aide de la contrition, cette conversion du cœur, qui suppose le désir de changer et la ferme décision d'améliorer notre vie. Cela se traduira, logiquement, par des œuvres de sacrifice et de don de soi » (QCP 64).

2. Revenir à Dieu, notre Père, par le sacrement de pénitence

Ce retour conduit par sa nature même au sacrement de pénitence. « Revenir à la maison du Père au moyen de ce sacrement du pardon où, en confessant nos péchés, nous nous revêtons du Christ et devenons ainsi des frères, membres de la famille de Dieu. (...) Notre dette n'a pas d'importance. Comme l'enfant prodigue, nous n'avons qu'à laisser parler notre cœur, éprouver la nostalgie du foyer paternel, nous émerveiller et nous réjouir de ce don que Dieu nous a fait de pouvoir nous appeler et d'être vraiment, malgré tant de manquements à la grâce, ses enfants » (ibidem). La contrition est donc étroitement liée, d’une part, à la filiation divine qui, selon l’enseignement de saint Josémaria, constitue le fondement de toute vie spirituelle et, d’autre part, au sacrement de Pénitence.

Considérons d’abord sa relation avec la filiation divine : « La conscience de notre filiation divine imprègne de joie notre conversion, elle nous dit que nous sommes en train de revenir vers la maison du Père » (ibidem). L’homme a besoin d’être converti par la contrition, en réalisant le don immense et gratuit de sa filiation divine. La grâce nous pousse à cette conversion chaque fois que, d’une manière ou d’une autre, nous nous sommes détournés de Dieu. « Si tu agissais suivant les impulsions de ton cœur et celles que la raison te dicte, tu serais continuellement face contre terre, prosterné comme un ver sale, laid et misérable… devant ce Dieu qui doit tellement te supporter » (C 597). Mais cette situation ne doit pas nous enlever notre paix et notre confiance dans le Seigneur. « L'indulgence est proportionnelle à l'autorité. Un simple juge doit condamner — en accordant peut-être les circonstances atténuantes — si l'accusé plaide coupable. Le pouvoir souverain d'un pays octroie parfois une amnistie ou une remise de peine. À l'âme contrite, Dieu pardonne toujours » (S 763). « Si nous nous repentons, s'il jaillit de notre cœur un acte de douleur, si nous nous purifions par le saint sacrement de la pénitence, Dieu s'avance à notre rencontre et nous pardonne. Alors, il n'y a plus de tristesse : il est tout à fait juste de se réjouir puisque ton frère que voici était mort et il est revenu à la vie ; il était perdu et il est retrouvé (Lc 15, 32) » (QCP 178).

Les actes de contrition doivent respirer l’air d’une filiation divine vécue authentiquement : « Un enfant de Dieu traite le Seigneur comme un Père. Ses relations ne se réduisent pas à un hommage servile, à une politesse purement formelle, de simple courtoisie, mais sont pleines de sincérité et de confiance. Dieu n'est pas scandalisé par les hommes. Dieu n'est pas lassé de nos infidélités. Notre Père du Ciel pardonne n'importe quelle offense lorsque l'enfant retourne vers Lui, lorsqu'il se repent et demande pardon » (QCP 64).

Mais si saint Josémaria insiste sur la filiation divine, il souligne aussi que c’est en relation avec le sacrement de pénitence, comme le souligne la Tradition chrétienne. Selon l’enseignement du Concile de Trente, « les actes du pénitent, c’est-à-dire la contrition, la confession et la satisfaction, sont la quasi-matière de ce sacrement » (DH, 1673). Une doctrine qu’on précise en ajoutant immédiatement que la contrition occupe, parmi les trois actes du pénitent, la première place (cf. DH, 1674).

Tout en affirmant clairement que ce sacrement est absolument nécessaire pour le pardon des péchés graves, saint Josémaria va plus loin en recommandant l’usage fréquent, même hebdomadaire, de ce sacrement. Ce conseil est basé sur une raison théologique : l’importance du pardon, y compris des fautes mineures, et le fait que comme tous les sacrements impliquent une configuration spécifique avec le Christ, il en va de même pour le sacrement de pénitence. La configuration avec le Christ dans ce sacrement rend le pénitent participant du Christ crucifié puisque le Christ, en assumant la condition humaine, s’est soumis au jugement de Dieu le Père sur le péché. En recevant ce sacrement, le pénitent acquiert une dignité particulière en s’incorporant, par sa contrition, à l’œuvre rédemptrice de Jésus, à cette réconciliation accomplie par la Croix du Christ, qui atteint toute l’humanité. Saint Josémaria dit : « Jésus : puissé-je ne jamais plus te perdre... Alors toi et moi, unis dans le malheur et dans la peine, comme nous l’étions dans le péché, nous sentons monter du fond de notre être des gémissements de contrition profonde et des phrases brûlantes que la plume ne peut ni ne doit rapporter » (SR, Cinquième Mystère Joyeux) ; « Achève toujours ton examen par un acte d’amour — douleur d’amour — pour toi, pour tous les péchés des hommes… » (C 246).

3. Douleur d’amour

Saint Josémaria répète fréquemment que la sainteté personnelle consiste à s’identifier au Christ, à « être un autre Christ, le Christ Lui-même » ; une tâche qui dure toute une vie et qui conduit à maintenir constamment le désir de conversion. Il se peut que la conversion initiale parte d’un grand éloignement de Dieu, mais même dans ce cas, il ne faut pas désespérer : « Tu es tombé très bas ! — Eh bien, pose les fondations à cette profondeur. — Sois humble. — Cor contritum et humiliatum, Deus, non despicies, Dieu ne méprisera pas un cœur contrit et humilié » (C 712). « Père, comment pouvez-vous supporter tant d’ordures ? m’as-tu dit, après une bonne confession ;— Je me suis tu, pensant que si ton humilité te porte à te considérer comme de l’ordure, un tas d’ordures, nous pourrons encore faire de toute ta misère quelque chose de grand » (C 605). Il faut toujours avancer sur le chemin chrétien avec une confiance totale en Dieu : » Le Seigneur a converti Pierre, qui l'avait renié trois fois, sans lui adresser ne serait-ce qu'un reproche : mais rien qu'un regard d'Amour. — Après nos chutes Jésus nous regarde avec ces mêmes yeux. Puissions-nous Lui dire comme Pierre : " Seigneur, Tu sais tout ; Tu sais que je T'aime ! " et changer notre vie » (S 964).

Mais dans la vie spirituelle ordinaire, ce n’est pas toujours un tout nouveau départ. « Dans notre vie, dans la vie des chrétiens, la première conversion est importante — ce moment unique, dont chacun se souvient, où l'on découvre clairement tout ce que nous demande le Seigneur ; mais plus importantes encore, et plus difficiles, se révèlent les conversions suivantes. Et pour faciliter l'action de la grâce divine à travers les conversions postérieures, il faut garder une âme jeune, invoquer le Seigneur, savoir écouter, avoir découvert ce qui ne va pas, demander pardon.(…) Il nous écoute, et Il ne négligera pas le vœu d'un cœur contrit et humilié »(QCP 57 ; les derniers mots sont une citation du Psaume 51, que saint Josémaria méditait quotidiennement). Et justement, quand on a déjà passé des années de lutte ascétique, en voyant nos propres manques de correspondance à l’amour de Dieu, on peut tomber dans la tentation d’estimer que ces déficiences sont inévitables. C’est précisément alors que nous devons garder l’âme jeune et profondément humble, et craindre toute forme d’embourgeoisement spirituel. « La Sainte Écriture nous met en garde : même le juste tombe sept fois (Pr 24, 16). Chaque fois que j’ai lu ces paroles, mon âme a été secouée d’un fort tressaillement d’amour et de douleur » (AD 215).

La douleur des péchés est parfaite quand c’est une « douleur d’amour », quand c’est l’expression d’un amour qui naît des profondeurs de l’âme. C’est ce que saint Josémaria a souligné avec force : « Douleur d’Amour. — Parce qu’il est bon. — Parce qu’il est ton Ami, qui a donné sa Vie pour toi. — Parce que tout ce que tu as de bon est à Lui. — Parce que tu L’as tellement offensé… Parce qu’Il t’a pardonné… Lui ! … À toi ! — Pleure, mon enfant, de douleur d’amour » (C 436 ; cf. C 503). « Tu pleures ! — N’aie pas honte. Pleure. Oui, les hommes pleurent aussi, comme toi, dans la solitude et devant Dieu. — La nuit, dit le roi David, j’inonderai mon lit de larmes. Par ces larmes, brûlantes et viriles, tu peux purifier ton passé et rendre surnaturelle ta vie actuelle » (C 216). « “ En tant que chrétien, que ne dois-je pas à Dieu ! Pour n’avoir pas acquitté cette dette, j’ai pleuré de douleur : douleur d’amour. Mea culpa ! ” — Il est bon que tu commences à reconnaître tes dettes ; mais n’oublie pas qu’elles se paient avec des larmes… et avec des œuvres » (C 242).

Dans ce contexte on comprend bien que, comme nous l’avons déjà vu, pour saint Josémaria, la vie spirituelle est un commencement et un recommencement continuels. « Il vivait, avec espérance, l’aujourd’hui et maintenant » (Bernal,1976, p. 215). Être ici et maintenant en présence de Dieu est fondamental dans tout l’enseignement du fondateur de l’Opus Dei. « Que nos trébuchements et nos défaites ne nous éloignent plus jamais de Lui. Tel le faible enfant qui se jette, contrit, dans les bras vigoureux de son père, toi et moi, nous nous assujettissons au joug de Jésus. Seules cette contrition et cette humilité transformeront notre faiblesse humaine en une force divine » (Chemin de Croix, VII Station). Comme l’amour n’a pas de limites, chaque instant présente – d’une certaine manière – une nouvelle ouverture à l’amour pour Dieu : « n’oubliez pas que la douleur est la pierre de touche de l’amour » (C 439). Par conséquent, la « douleur d’Amour » doit être quelque chose de constant dans la vie intérieure. « Nourris dans ton âme le désir de réparer tes fautes, pour obtenir la grâce d’une contrition de plus en plus grande » (F 198).

La douleur et la contrition deviennent ici réparation, qui s’étend aux péchés de tous les hommes. « Renouvelle pendant la journée tes actes de contrition : tu vois, on offense continuellement Jésus et, malheureusement, les actes de réparation ne vont pas au même rythme. C'est pourquoi je n'ai jamais cessé de le redire : les actes de contrition, plus on en fait, mieux cela vaut ! Fais écho à mes paroles, par ta vie et par tes conseils » (S 480). Cette solidarité avec le genre humain est une conséquence de l’union intime avec le Christ qui s’offre pour tous les hommes sur la Croix. Ainsi le fondateur de l’Opus Dei conseille : « Achève toujours ton examen par un acte d’amour — douleur d’amour — pour toi, pour tous les péchés des hommes… — Et considère avec quel soin paternel Dieu a écarté les obstacles de ton chemin pour que tu ne trébuches pas » (C 246).

Enfin, voici un texte qui nous place devant l’horizon marial de la contrition : « Adresse-toi à la Sainte Vierge, et demande-lui de te donner, en gage de son amour pour toi, la contrition, la componction de tes péchés et des péchés de tous les hommes et de toutes les femmes de tous les temps, le tout accompagné d’une douleur d’Amour.Ainsi disposé, enhardis-toi et ajoute : Ô Mère, ma Vie, mon Espérance, conduisez-moi par la main... et si en ce moment-même quelque chose déplaît en moi à Dieu mon Père, obtenez-moi la grâce de le découvrir, afin qu’à nous deux nous l’extirpions. Et poursuis, sans crainte : — Ô très clémente, ô pieuse, ô douce Vierge Marie, priez pour moi, afin qu’en accomplissant la très aimable Volonté de votre Fils, je sois digne d’obtenir les promesses de Notre-Seigneur Jésus-Christ et d’en jouir » (F 161).


Thèmes connexes : Amour de Dieu ; Conversion ; Réparation ; Filiation divine ; Lutte ascétique ; Péché ; Pénitence, Vertu et sacrement de la.

Bibliographie : F 158-215, F 377-474 ; Jean-Paul II, Exhort. Ap. Reconciliatio et paenitentia, 1984 ; Salvador Bernal Mgr Josemaría Escrivá de Balaguer. Portrait du fondateur de l’Opus Dei, Madrid, Rialp, 1976 ; Leo Scheffczyk, « Die spezifische Heilswirkung des Bußsakraments », dans Klaus M. Becker (dir.) Sinn und Sendung, III Erneuerung durch Buße, St. Augustin, Wort und Werk, 1978, pp. 17-45.

Klaus M. Becker