1. Mise en évidence du concept.
2. La doctrine de saint Josémaria.
Le langage commun identifie le terme « contemplation » avec l’opération physique de concentrer son regard sur un objet ou un espace matériel, et aussi avec son dérivé spirituel de fixer l’attention sur une question. Dans la sphère religieuse, « la contemplation est l’acte par lequel l’esprit du croyant pénètre et savoure la sphère lumineuse des vérités divines » (Álvarez - Ancilli,1983 p. 472).
1. Mise en évidence du concept
Le langage chrétien a repris le terme de « contemplation » de la réflexion philosophique de la pensée gréco-romaine et l’a doté d’éléments nouveaux : d’une part, le passage de la contemplation des idées ou de la beauté à la connaissance de soi-même en communion vitale avec la Trinité ; d’autre part, l’exclusion de tout panthéisme et l’affirmation d’un Dieu créateur et transcendant qui appelle l’homme à participer à sa vie divine, et qui place la contemplation comme une réalité nouvelle, d’où découle l’influence mutuelle entre la connaissance et l’amour dans le processus d’approche de Dieu ; enfin le débouché de la contemplation dans l’action, dans l’amour de Dieu et du prochain manifesté dans les œuvres (cf. Illanes 2003, pp. 308-309).
Dans l’histoire de la spiritualité, la contemplation a fait l’objet d’études par les théologiens et, dans le cas particulier de la contemplation mystique, de descriptions phénoménologiques par les mystiques, offrant une grande richesse de réflexions, mais sans parvenir, comme il est logique avec un sujet aussi profond, à donner une réponse complète à toutes les questions que sa notion soulève. L’ampleur de ces contributions est attestée par les plus de cinq cents colonnes serrées que le Dictionnaire de Spiritualité consacre au sujet. Cette même ampleur nous dispense d’essayer d’offrir ici une synthèse même très brève. Nous pouvons donc nous limiter à souligner, pour notre époque, que dans les quatre premières décennies du XXe siècle – et à l’époque où la théologie spirituelle s’est affirmée comme une discipline scientifique – divers auteurs ont donné vie au débat sur ce qu’on a appelé la » question mystique » : « les problèmes posés par la controverse se circonscrivent essentiellement à l’appel universel à la contemplation et aux relations entre l’ascétique et le mystique dans la vie chrétienne » (Bosch, 2007, p. 477). Ce débat et la doctrine de l’appel universel à la sainteté, rappelée et soulignée par le Concile Vatican II, ont conduit à ce que se généralise l’acceptation de la contemplation comme dimension connaturelle de la vocation chrétienne : tout baptisé doit aspirer à être contemplatif, à réaliser une union intime de connaissance et d’amour avec Dieu qui imprègne toutes ses actions. Le Catéchisme de l’Église catholique s’inscrit dans cette ligne, comme on peut le voir au point 2014 et aux points relatifs à la prière contemplative (nos 2709-2719). Et ce même principe est au cœur de la doctrine spirituelle de saint Josémaria.
2. La doctrine de saint Josémaria
Dans les œuvres publiées de saint Josémaria, le substantif « contemplation » (15 fois) et l’adjectif « contemplatif » (25 fois) apparaissent avec une certaine fréquence, ainsi que, plus souvent encore, le verbe « contempler » (116 fois). L’utilisation répétée du verbe par rapport à celle du nom et de l’adjectif est frappante. Cela peut s’expliquer, en partie, par son utilisation avec le sens générique de « regarder », « voir », « témoigner » ; une étude récente souligne cependant que dans quatre-vingts passages le verbe « contempler » est utilisé précisément pour indiquer que dans la prière ou la méditation « les scènes de l’Évangile sont considérées et revécues en présence de Dieu » (Illanes, 2003, p. 313), ce qui expliquerait aussi cette différence numérique. Dans de tels cas, saint Josémaria a fréquemment utilisé l’expression « contemplatifs au milieu du monde » pour indiquer que le chrétien grandit dans une vie de prière, s’ouvre aussi à la contemplation « dans les activités de la vie ordinaire et à travers elle, constituant, par conséquent, une manière séculière spécifique de vivre la prière contemplative » (Belda, 2007, p. 175). Laissant une étude plus détaillée du sujet à d’autres thèmes du présent Dictionnaire, soulignons cependant, à partir de maintenant, que pour saint Josémaria, la conscience de la filiation divine, c’est-à-dire se savoir enfant de Dieu, conduit le chrétien à « contempler avec amour et admiration toutes les choses qui ont jailli des mains de Dieu, le Père Créateur » (QCP 65). Et aussi, par conséquent, à voir Dieu en toutes choses, avec des implications pratiques. Il écrit, par exemple : « Attache-toi à voir le Seigneur derrière chaque événement, chaque circonstance. Ainsi tu sauras tirer de tout ce qui t’arrive davantage d’amour de Dieu, davantage de désir de le payer de retour » (F 96). Et, dans le même sens, comme quelque chose de propre aux enfants de Dieu, il fait allusion à un art de parler » la langue des âmes contemplatives, celle des hommes qui ont une vie spirituelle, parce qu'ils se sont rendu compte de leur filiation divine » (QCP 13).
La sainteté chrétienne, qui repose nécessairement sur la prière, cherche à se traduire en vie contemplative. Puisque l’appel des baptisés à la sainteté est universel, on peut aussi dire que, pour la même raison, ils sont tous appelés à la contemplation aimante de Dieu, quelles que soient les circonstances dans lesquelles leur existence se déroule. Saint Josémaria, qui adresse son enseignement à tous les chrétiens, et en particulier au fidèle chrétien qu’il appelle « chrétien ordinaire », écrit : « La prière est le fondement de toute œuvre surnaturelle ; avec la prière nous sommes tout-puissants et, s’il nous arrivait de négliger ce moyen, nous n’obtiendrions rien » (AD 238).
Saint Josémaria enseigne aussi – en tant que personne qui l’a bien expérimenté – qu’à la base de cette attitude contemplative ou de cette prière continue doivent se trouver des moments spécialement consacrés quotidiennement à l’oraison mentale. Il s’unit ainsi la Tradition chrétienne, dont fait également écho le Catéchisme de l’Église catholique : « on ne peut pas prier "en tout temps" si l’on ne prie pas à certains moments en le voulant : ce sont les temps forts de la prière chrétienne, en intensité et en durée » (CEC, no 2697). La plus haute expression de la prière est, en effet, la prière de contemplation (cf. CEC, no 2699), dont le commencement se trouve, avec l’aide de la grâce, dans la recherche constante de la présence de Dieu. Saint Josémaria reflète cela, par exemple, dans l’itinéraire spirituel qu’il présente dans son homélie Vers la sainteté : « Nous commençons par des prières vocales que beaucoup d’entre nous ont répétées lorsque nous étions enfants : des phrases ferventes et simples, adressées à Dieu et à sa Mère, (...) N’est-ce pas là, en quelque sorte, un début de contemplation, la preuve manifeste d’un abandon confiant ? » (AD 296).
La prière progresse à travers des actes de foi, d’espérance et d’amour, qui informent notre existence propre ; et la méditation – deuxième expression de la prière (cf. CEC, no 2699) – trouve dans l’Évangile, mis à jour et revécu, sa nourriture préférée : « Veux-tu apprendre quelque chose du Christ et prendre exemple sur sa vie ? — Ouvre le saint Évangile, écoute le dialogue de Dieu avec les hommes..., avec toi » (F 322). C’est dans ce contexte que saint Josémaria utilise le plus souvent la notion de contemplation, avec le sens de revivre et de rendre présentes les scènes de la vie de Jésus et de Marie : » L’Église nous invite à en contempler les mystères : pour qu’avec la joie, la douleur, et la gloire de Sainte Marie, s’imprime dans notre tête et dans notre imagination l’exemple admirable du Seigneur, dans ses trente années d’obscurité, dans ses trois ans de prédication, dans sa Passion ignominieuse et dans sa glorieuse Résurrection » (AD 299).
Et de la fréquentation de la Très Sainte Humanité de Jésus, avec Marie et Joseph, on passe à celle des Personnes divines : » de la trinité de la terre à la Trinité du ciel », selon une expression que saint Josémaria aimait à répéter. « Notre cœur a besoin alors de distinguer et d’adorer chacune des Personnes divines. L’âme fait en quelque sorte une découverte dans la vie surnaturelle, comme une créature qui ouvre peu à peu les yeux à l’existence » (AD 306). Saint Josémaria était parfaitement conscient de la gratuité de la contemplation et, en même temps, il la considérait comme le but et l’horizon de tout chrétien, car elle implique l’union avec Dieu : « Si tu t’efforces de méditer, le Seigneur ne te refusera pas son assistance. Foi et œuvres de foi : des œuvres, parce que le Seigneur (…) est de plus en plus exigeant. C’est déjà de la contemplation et c’est l’union : telle doit être la vie de beaucoup de chrétiens (...) » (AD 308).
Thèmes connexes : Contemplatifs au milieu du monde ; Filiation divine ; Oraison mystique ; Présence de Dieu ; Sainteté ; Vocation.
Bibliographie : AD 238-366, AD 294-316 ; CEC, nos 2697-2699 ; Tomás Álvarez - Ermanno Ancilli, » Contemplation », in Ermanno Ancilli (dir.) Dictionnaire de Spiritualité, I, Barcelona, Herder, 1983, pp. 472-480 ; Manuel Belda, « La contemplazione in mezzo al mondo nella vita e nella doctrina di San Josemaría Escrivá de Balaguer », en Laurent Touze (a cura di) La contemplazione cristiana. Esperienza e dottrina, Città del Vaticano, Libreria Editrice Vaticana, 2007, pp. 151-176 ; Vicente Bosch, « La notion de contemplation dans le Catéchisme de l’Église catholique », dans Laurent Touze (a cura di) La contemplazione, op. cit., pp. 477-49 ; José Luis Illanes, » Contemplation et action chrétienne dans le monde », dans Id. Existence chrétienne et monde. Jalons pour une réflexion théologique sur l’Opus Dei, Pampelune, EUNSA, 2003, pp. 301-331 ; Jean-Hervé Nicolas Contemplation et vie contemplative en christianisme, Fribourg-Paris, Éditions Universitaires de Fribourg-Beauchesne, 1980.