1. La conscience, un lieu de rencontre avec Dieu.
2. La liberté des consciences, une recherche de la vérité de Dieu.
3. Sur un chemin de sainteté : la plénitude d’une vie.
4. La formation de la conscience et les réalités séculières.
« Personne ne se sauve sans la grâce du Christ. Mais si l’individu conserve et cultive un début de droiture, Dieu lui aplanira le chemin ; et il pourra être saint parce qu’il aura su vivre en homme de bien » (AD 75). Un chemin vers Dieu : c’est ainsi que saint Josémaria comprenait la vie de l’homme, un chemin tracé par Dieu Lui-même, sur lequel Il vient à notre rencontre pour nous conduire à la maison du Père. Si l’initiative est divine, car elle procède de la grâce du Christ tel que l’explique le texte, la réponse humaine révèle toute une vérité intérieure de l’homme qui a été décisive dans l’enseignement de saint Josémaria.
La grande importance accordée par le fondateur de l’Opus Dei à la « vie intérieure » est une façon de souligner la résonance de la présence de Dieu dans la vie de chaque homme en tant que « Maître intérieur » qui lui enseigne la vérité définitive de sa vie, une vie de sainteté. C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre sa façon de se référer à la conscience et aussi aux caractéristiques qu’elle présente, lesquelles vont se refléter dans ses écrits.
1. La conscience, lieu de rencontre avec Dieu
Ce qui est le plus frappant, c’est que, lorsqu’il se réfère à la conscience, saint Josémaria la considère toujours d’un point de vue théologal, c’est-à-dire comme une façon d’être en lien avec Dieu. Ce n’était pas une façon courante de la concevoir à l’époque de ses études : l’approche alors retenue par les manuels [de théologie morale] était axée presque exclusivement sur la relation entre la loi (pôle objectif) et la conscience (pôle subjectif), et elle ne comprenait cette dernière que comme une façon rationnelle d’appliquer a loi générale à un cas concret, selon le modèle du syllogisme pratique rationaliste qui était alors enseigné. C’était une façon simple de se référer à la conscience pour résoudre les problèmes moraux liés à la confession, mais elle cachait deux questions fondamentales, précisément celles que nous voyons mises en évidence dans l’enseignement de saint Josémaria.
La première question est que l’application de la loi se comprenait presque exclusivement de manière déductive, sans tenir compte adéquatement de l’intimité de l’homme au sens propre, qui est toujours essentielle pour que ce dernier puisse percevoir la question du sens de l’action, qui est à son tour la clé de la moralité. L’acte humain n’est pas un simple « cas » relevant d’une norme, mais l’expression réelle d’une personne. La perspective adoptée par les manuels de théologie tendait vers une certaine vision « négative » de la conscience, qui ne souligne que les minimums de la loi dans le comportement humain, et perd la considération de la conscience comme guide d’un chemin qui mène à la plénitude de Dieu.
Le second problème est que, du fait de la vision "mécanique" de la conscience comme mode d’application de la loi, la question de la conscience en tant que voix de Dieu, et sa valeur authentiquement religieuse, était éludée. Newman avait déjà indiqué avec précision que c’était le plus grand problème d’une culture moderne sécularisée, et aussi une façon de placer la conscience sur un plan émotif, ce qui conduisait en définitive à y placer aussi la foi, réduite ainsi au mode romantique de « ressentir Dieu ». Pour éviter cela, le cardinal anglais défendait la valeur d’une conscience en dialogue avec Dieu, puisqu’il ne s’agit pas d’une simple croyance privée.
Ces deux questions sont devenues flagrantes dans le débat sur la « morale de situation », si importante dans la période précédant le Concile Vatican II (cf. Fernández, 1997, pp. 69-101) et qui marquera plus tard les disputes morales de l’après-Concile. Saint Josémaria, qui, s’agissant de la conscience, maintient une position constante dans son enseignement, a pu, au milieu de ces confusions, offrir une doctrine claire sur ce sujet. S’il parle de conscience, c’est en ce sens que « chaque homme doit librement répondre à Dieu » (Entretiens 59).
Il s’éloigne de cette vision de la conscience comme étant une simple opinion privée et met plutôt en évidence la clé de l’implication de la personne humaine dans sa relation avec Dieu. Newman l’explique en la définissant : « non pas comme un caprice ou une opinion, mais comme une obéissance due à la Voix Divine qui parle en nous » (Newman,1996,p. 79). À l’intérieur de l’homme, la conscience est le « lieu de rencontre avec Dieu », comme l’a décrit Pie XII : « La conscience est comme un noyau caché, comme un tabernacle dans l’homme, où il a ses rendez-vous seul à seul avec Dieu dont la voix résonne dans la partie la plus intime de celle-ci » (Pie XII, 1952, p. 271 ; cf. GS, 16). C’est sans aucun doute le cadre dans lequel s’insère la pensée de saint Josémaria et c’est ce qui permet de comprendre les points sur lesquels il insiste particulièrement.
2. La liberté des consciences, une recherche de la vérité de Dieu
Un point central sur lequel saint Josémaria revient encore et encore est celui de la « liberté des consciences ». Par une telle expression, il se réfère à la façon dont l’homme entre en relation avec Dieu, qui est incompréhensible sans liberté. Pour cela, il souligne – en se fondant, selon les données disponibles, sur des textes de Pie XI de 1931 – sa différence radicale avec une prétendue « liberté de conscience », expression qu’il utilise en lui donnant le sens qu’elle a dans les textes pontificaux auxquels il est fait allusion et dans d’autres écrits de l’époque, c’est-à-dire comme si l’homme n’était pas appelé à chercher et à trouver Dieu selon la vérité. C’est ainsi qu’il explique : « C’est pourquoi il n’est pas exact de parler de liberté de conscience, car cela revient à juger comme moralement bon le fait que l’homme repousse Dieu. (…) Nous pouvons nous opposer aux desseins rédempteurs du Seigneur, nous pouvons le faire, mais nous ne le devons pas. Si quelqu’un adoptait délibérément cette attitude, il pécherait, car il transgresserait le premier et le plus fondamental des commandements : Tu aimeras Yahvé de tout ton cœur » (AD 32). Et saint Josémaria poursuit immédiatement : « je défends de toutes mes forces la liberté des consciences, selon laquelle il n’est permis à personne d’empêcher que la créature rende à Dieu le culte qui lui est dû. Il faut respecter la soif légitime de vérité : l’homme a l’obligation grave de chercher le Seigneur, de le connaître et de l’adorer, mais personne sur la terre ne doit se permettre d’imposer au prochain la pratique d’une foi qu’il n’a pas ; de même que personne ne peut s’arroger le droit de faire du tort à celui qui l’a reçue de Dieu » (Ibidem). La référence à la « liberté des consciences » est une constante dans ses écrits (cf. Entretiens 44, 59, 73 ; S 389).
Il parle de la liberté comme d’une dimension de l’agir humain et non comme un simple choix d’objet. L’homme doit librement chercher la vérité de Dieu et cela suppose qu’il s’implique lui-même dans un tel chemin. C’est quelque chose de très différent que de choisir n’importe quoi sans autre référence que sa propre opinion. Le fondateur de l’Opus Dei intègre résolument le mouvement de la liberté comme étant la reconnaissance de la présence de Dieu dans sa propre vie et le véritable début de cette recherche. Cela implique la nécessité d’un discernement dans lequel on perçoit l’absolu de Dieu dans l’existence quotidienne. Ce n’est que par cette relation libre avec Dieu que l’on peut comprendre la valeur absolue que le christianisme attache à la conscience et que saint Josémaria a défendue de toutes ses forces dès le début de son œuvre de fondation : « Dès la fondation de l'Œuvre (…) nous avons tenté de vivre un catholicisme ouvert, qui défend la légitime liberté des consciences, qui incline à traiter charitablement et fraternellement tous les hommes, catholiques ou non, et à collaborer avec tous, en participant aux nobles aspirations qui animent l'humanité » (Entretiens 29).
La conscience se définit par son mouvement de recherche de la vérité ; c’est pourquoi elle a toujours une valeur cognitive [c’est-à-dire orientée vers la connaissance] qui se distingue, comme le précise Jean-Paul II dans la lettre encyclique Veritatis splendor (n. 55), de la simple décision subjective dans un sens volontariste. On doit suivre sa conscience, et on doit exiger pour elle le respect de sa liberté, pour sa relation dynamique avec la vérité qu’elle recherche. Les grands droits de la conscience se fondent sur le grave devoir de former la conscience. « Par ailleurs, personne n'a le droit de violer la liberté des consciences : l'enseignement de la religion doit être libre, ce qui n'empêche pas le chrétien de savoir que, s'il veut être en accord avec sa foi, il a la grave obligation de bien se former en cette matière » (Entretiens 73).
3. Sur un chemin de sainteté : la plénitude d’une vie
Si la conscience n’est pas seulement une application de la loi, mais un guide vers Dieu auquel elle vise, former la conscience et la suivre est d’abord et avant tout un chemin de sainteté, bien au-dessus de la sécurité ressentie dans l’accomplissement d’une norme de conduite. Si saint Josémaria insiste sur une grande finesse de conscience, c’est parce qu’il y voit la meilleure connaissance de la volonté de Dieu dans une exigence d’amour qui est l’essence de la sainteté. C’est ainsi qu’il exhorte les fidèles : « Essayons de faire naître au fond de notre cœur un désir ardent, un grand souci d’atteindre la sainteté, bien que nous nous voyions pleins de misères. N’en ayez pas peur ; au fur et à mesure qu’on avance dans la vie intérieure, on perçoit ses défauts personnels avec plus de netteté. Ce qui arrive, c’est que l’aide de la grâce produit l’effet de verres grossissants : le plus petit tas de poussière, le petit grain de sable quasi imperceptible prend des dimensions gigantesques, parce que l’âme acquiert la finesse divine ; la plus petite ombre en vient même à déranger la conscience, qui n’apprécie que la pureté de Dieu » (AD 20).
Il distingue clairement la réponse à Dieu dans les petits détails, des scrupules qui enferment l’homme dans la recherche de sa propre sécurité. Cela est clairement indiqué dans Chemin dans le chapitre qui leur est dédié et qui peut se résumer ainsi : « Les scrupules sont une épreuve que Dieu peut envoyer à celui qui Le cherche. L’auteur en a fait l’expérience, et transmet au lecteur un critère clair : « Ce qui enlève la paix de l’âme ne vient pas de Dieu » (C 258) » (CECH, p. 439). Cette paix qui nous apparaît comme un critère de rectitude de la conscience doit être vue comme le moyen de faire l’expérience d’une authentique concorde avec Dieu ; l’homme se repose dans la rencontre avec Dieu, car « tu perds la paix, tu le sais bien, quand tu cèdes sur des points qui t’amènent à faire fausse route » (F 166).
La conscience nous ouvre ainsi à la considération des exigences propres à chaque vocation, dans laquelle l’immense variété des circonstances de chaque existence et de chaque jour est intégrée, dans un chemin de sainteté, et unie à la pratique de l’examen de conscience quotidien. On comprend alors comment le grand guide de la conscience est l’Esprit Saint, le Maître intérieur, parce que c’est Lui qui nous attire au Christ et nous conforme à Lui (cf. C 27). Saint Josémaria a souvent rappelé que « la tradition chrétienne a résumé l'attitude que nous devons adopter envers le Saint-Esprit en un seul mot : docilité. C'est-à-dire, être sensibles à ce que l'Esprit divin réalise autour de nous et en nous, aux charismes qu'Il distribue, aux mouvements et aux institutions qu'Il suscite, aux résolutions et aux décisions qu'Il fait naître en notre cœur » (QCP 130).
4. La formation de la conscience et les réalités laïques
La règle interne de « former la conscience » développe toute la potentialité propre à la recherche de la vérité. C’est un aspect essentiellement opératoire et caractéristique d’une vérité qui « agit » ; le fait qu’on l’appelle « formation » a à voir avec « donner forme », c’est-à-dire que l’homme est configuré dans le plus intime à partir d’une vérité initiale qui est sa « forme ». En ce sens, la formation exige une bonne connaissance des principes moraux de l’Église catholique dans l’obéissance fidèle au Magistère ; mais cela ne suffit pas, l’expérience de l’action concrète, éclairée par la prudence, est également nécessaire. Dans ce domaine, le fondateur de l’Opus Dei était particulièrement exigeant : « En premier lieu, nous nous efforcerons d’affiner notre conscience en approfondissant suffisamment pour être sûrs d’avoir acquis une bonne formation » (AD 185).
Dans un chemin de sainteté, l’impératif de formation affecte toutes les réalités de la vie que cette sainteté illumine. La véritable formation exige, en plus de la prudence personnelle, la demande de conseils de personnes instruites ; mais le fondateur de l’Opus Dei était très clair sur le fait qu’il fallait tendre vers une formation stable et suffisante pour que chaque personne sache répondre par elle-même aux conditions ordinaires de son travail et soit capable d’aider les autres dans une telle formation de la conscience. C’est ce que saint Josémaria désigne comme un « homme à l’esprit juste » (C 33), qui n’a pas peur d’ « aller au fond de la vérité » (ibidem) ni peur de savoir agir en tant que chrétien.
C’est une recherche de la vérité qui, en outre, unit le chrétien aux hommes de bonne volonté et constitue une contribution très remarquable à la vie sociale. L’exhortation du Concile peut s’appliquer exactement à saint Josémaria : « Par fidélité à la conscience, les chrétiens, unis aux autres hommes, doivent chercher ensemble la vérité et la solution juste de tant de problèmes moraux que soulèvent aussi bien la vie privée que la vie sociale » (GS, n. 16).
On peut ici apprécier la profondeur de la valeur théologale de la conscience. C’est le plan de Dieu qui éclaire la vérité propre au séculier et permet une meilleure communication entre les hommes, en respectant toujours leur propre autonomie personnelle dans la recherche de la vérité, dans un sain pluralisme au plan social (cf. Rodríguez Luño,1997, pp. 162-181). L’approche du fondateur de l’Opus Dei est, par là même, l’expression de ce que la lettre encyclique Veritatis splendor appelle « juste autonomie » (n. 40), très différente de ce que d’autres appelèrent « l’autonomie théonomique » qui séparait Dieu d’un domaine mondain entièrement sécularisé (cf. Trigo,2003, p. 631 à 689). La conscience guide l’homme pour qu’il sache rendre l’amour de Dieu présent dans le monde dans toutes les implications que l’amour humain sait découvrir.
Thèmes connexes : Charité ; Examen de conscience ; Formation : Considération générale ; Liberté ; Morale chrétienne ; Sainteté ; Laïcité.
Bibliographie : Concile Vatican II, Const. Past. Gaudium et spes et Décl. Dignitatis humanae, 1965 Jean-Paul II, Cart. Enc. Veritatis splendor,1993 Pius XII Radio message sur la droite formation de la conscience chrétienne de la jeunesse (23-III-1952), AAS, 44 (1952), pp. 270-278 ; Evencio Cófreces - Ramón García de Haro Théologie morale fondamentale Pamplona, EUNSA, 1998, p. 356-410 ; Enrique Colom - Ángel Rodríguez Luño Choisis en Christ pour être saints Madrid, Palabra, 2000, pp. 397-437 ; Aurelio Fernández Compendium de théologie morale, Madrid, Word, 1995, pp. 163-183 Id. La réforme de la théologie morale. Un demi-siècle d’histoire, Burgos, Aldecoa, 1997 ; Livio Melina - José Noriega - Juan José Pérez-Soba Marcher dans la lumière de l’amour. Fondements de la morale chrétienne Madrid, Palabra, 2010, pp. 815-860 ; Livio Melina « Conscience et vérité dans l’encyclique « Veritatis splendor » », in Gerardo del Pozo Abejón (ed.) Commentaires de « Veritatis splendor » Madrid, BAC, 1994, pp. 619-650 ; John Henry Newman Lettre au duc de Norfolk, Madrid, Rialp, 1996 ; Joseph Ratzinger Éloge de la conscience, Madrid, Palabra, 2010 ; Ángel Rodríguez Luño, « La formation de la conscience en matière sociale et politique selon les enseignements du bienheureux Josemaría Escrivá » Romana. Bulletin de la Prélature de la Sainte-Croix et de l’Opus Dei, 24 (1997), pp. 162-181 ; Tomás Trigo Le débat sur la spécificité de la morale chrétienne, Pampelune, EUNSA, 2003.