1. La communion des saints, un article de foi.
2. De la communion eucharistique à la communion des saints.
3. De la communion avec l’humanité qui peuple la terre à la communion avec les cieux.
Saint Josémaria a vécu d’une manière particulière la communion des saints et a appris à la vivre comme une source de vie – qui rend participant à l’abondance de grâce et de force que donne l’union – comme source de joie – car chacun se sent intégré dans une multitude, dans une famille, faisant partie d’une cause commune, des vers du même poème – et aussi comme source de responsabilité, sa propre lutte et sa propre vertu influençant la lutte et la vertu des autres. Dans ce cas, comme sur beaucoup d’autres points, son expérience spirituelle et sa prédication reprennent la tradition de l’Église et la transmettent avec la chaleur et la vibration avec lesquelles ce qui est personnellement assumé et vécu est communiqué. Nous commencerons donc par évoquer la foi de l’Église à cet égard, puis nous verrons comment elle se répercute dans la doctrine de saint Josémaria.
1. La communion des saints, un article de foi
La communion des saints prend place à l’article IX du Symbole des Apôtres :« Credo Sanctam Ecclesiam Catholicam, sanctorum communionem ». Le Catéchisme de l’Église Catholique souligne que ces deux vérités ne se distinguent pas puisque la communion des saints est précisément l’Église (cf. CEC, n. 946). Et suivant la tradition orientale et occidentale, il décompose son contenu en deux mots : sancta sanctis (ce qui est saint pour ceux qui sont saints), qui expriment deux significations étroitement liées : communion aux choses saintes et communion entre les personnes saintes.
Les fidèles (sancti) sont nourris du Corps et du Sang du Christ (sancta)afin de croître dans la communion (Koinônia) avec l’Esprit Saint et la communiquer au monde (cf. CEC, n. 948). D’autre part, la communion des personnes saintes englobe, du point de vue théologique et dogmatique, à la fois la fraternité des fidèles qui « sont en pèlerinage » maintenant dans l’Église (Ecclesia in terris), celle de ceux qui jouissent déjà de la vision de Dieu (Ecclesia in patria) et celle des défunts qui se purifient avant d’être reçus dans la gloire (Ecclesia purgans). C’est le fondement de la vénération des saints qui, de l’au-delà, nous aident par leur intercession et de la prière pour les âmes du Purgatoire, que nous pouvons aider sur terre.
Pour rendre explicites les biens spirituels – les choses saintes – qui sont partagés, le Catéchisme se tourne vers les premiers chrétiens, qui avaient en commun la foi transmise par les Apôtres, les sacrements, les charismes, la charité et même les biens matériels (cf. CEC, nos 949-953). D’autre part, il est significatif de noter qu’il fait allusion à la communion des personnes de manière transversale dans les principales vérités de la foi, à la fois pour se référer à l’intimité de Dieu, ou à l’image de Dieu incarnée dans la Création dans l’être humain, et pour parler de l’Église, décrite comme une communion de saints et comme la seule famille de Dieu (cf. CEC, no 959 ; voir Castilla de Cortázar, 1996, pp. 163-194).
Le mystère de la communion des personnes, en la distinguant de la simple communauté au sens sociologique du terme, a suscité un intérêt croissant tout au long du XXe siècle, tant en philosophie – phénoménologique et personnaliste – qu’en théologie. Du Concile Vatican II et des enseignements de saint Jean-Paul II abondent les études qui plongent dans le fait que Dieu est Amour, c’est-à-dire communion des personnes, ainsi que dans le fait que la plénitude de l’image de Dieu dans l’homme n’est pas dans chaque personne isolée mais dans la communion des personnes unies entre elles, à l’image de la Trinité. En consonance, on note qu’entrelacé avec sa structure hiérarchique, le plus central du mystère de l’Église est l’union – la communion – avec Dieu et avec les autres ; c’est pourquoi l’expression communion des saints est reconnue par l’ecclésiologie contemporaine comme l’une des meilleures, voire la meilleure description de l’Église.
Chez saint Josémaria, ce grand horizon théologique que nous venons de décrire se trouve, comme d’habitude, dans sa prédication et dans ses écrits, exprimé non pas de manière abstraite et conceptuelle, mais de manière vivante : « Quelle joie donne la communion des saints ! » (F 258).
2. De la communion eucharistique à la communion des saints
Situé au sein de l’Église, saint Josémaria perçoit et vit la communion des saints, générée par la « communion dans les sacrements », en particulier la « communio eucharistica ». L’Eucharistie est pour lui le cœur de l’Église, le don de soi de Jésus dans le Sacrifice, dans la Communion et dans le Tabernacle, qui génère l’union fraternelle. Il l’exprime dans Chemin : « Communion, union, communication, confidence : Parole, Pain, Amour » (C 535), ce qui signifie que le don par excellence du Christ – « Parole, Pain, Amour » – est aussi la base de la « communion, union, communication, confidence », des hommes avec Dieu et des hommes entre eux.
Dans la Sainte Messe, l’unique Église céleste et terrestre se donne rendez-vous : « Tous les chrétiens, par la communion des saints, reçoivent les grâces de chaque Messe, qu'elle soit célébrée devant des milliers de personnes ou seulement devant un enfant de chœur distrait. Dans tous les cas, la terre et le ciel s'unissent pour entonner avec les anges du Seigneur : Sanctus, Sanctus, Sanctus... J'applaudis et je m'unis à la louange des anges : cela ne m'est pas difficile, parce que je me sais entouré d'eux quand je célèbre la Sainte Messe. Ils sont en train d'adorer la Trinité. De même que je sais aussi que la Très Sainte Vierge intervient, en quelque sorte, en raison de son union intime avec la Très Sainte Trinité, et parce qu'elle est mère du Christ, de sa Chair et de son Sang : mère de Jésus-Christ, Dieu parfait et Homme parfait. Jésus-Christ, conçu dans le sein de Sainte Marie sans l'intervention d'un homme, par la seule vertu du Saint-Esprit, possède le Sang même de sa mère et c'est ce Sang qui est offert en sacrifice rédempteur au Calvaire et à la Sainte Messe » (QCP 89).
Célébrer la Messe, participer à la Messe, c’est entrer dans une réalité de communion à laquelle le chrétien vient avec ses réalités et ses problèmes, grands ou petits, en s’unissant à toute l’Église et à toute l’humanité, à la fois celle qui peuple maintenant la terre et celle qui a déjà conclu sa marche terrestre. Tous ces aspects sont présents dans l’enseignement de saint Josémaria, bien que d’ordinaire dans ses écrits l’expression « communion des saints » désigne de manière primordiale la grande fraternité des fidèles dans l’Église (Ecclesia in terris) : » “ Saluez tous les saints. Tous les saints vous saluent. À tous les saints qui vivent à Éphèse. À tous les saints dans le Christ Jésus, qui sont à Philippes. ” N’est-il pas émouvant, ce titre de “ saints ” que les premiers chrétiens utilisaient entre eux ? — Apprends à vivre avec tes frères » (C 469). Comme chez saint Paul, l’expression « saints » désigne ici simplement les fidèles, les chrétiens, les hommes et les femmes disciples du Christ dans les diverses circonstances de la vie, « vos frères ». Par conséquent, les relations entre chrétiens sont fraternelles, familiales.
Il décrit graphiquement cette « communio » : « Communion des saints. — Comment te l’expliquer ? — Tu sais ce que sont les transfusions de sang pour le corps ? Eh bien, c’est à peu près ce qu’est la communion des saints pour l’âme » ( C544). Saint Josémaria se joint à cette grande Communion dans l’Église en vivant intensément la communion avec ceux qui dépendent spécialement de lui : ses enfants, à qui il propose : « Vivez avec une intensité particulière la communion des saints, et chacun sentira, à l’heure de la lutte intérieure, aussi bien qu’à l’heure du travail professionnel, la joie et la force de ne pas être seul » (C 545). La communion se manifeste dans cette conscience d’être accompagné, aidé, sécurisé, comme à l’intérieur d’une ville fortifiée, car : « Frater qui adjuvatur a fratre quasi civitas firma » (C 460 ; Pr 18 :19). Il le soulignait ainsi dans une lettre à l’une de ses filles qui était loin des autres : « Unis-toi aux intentions du Père : n’oublie pas l’immense valeur de la Communion des Saints : de cette façon, tu ne pourras jamais dire que tu es seule, puisque tu te sentiras accompagnée de tes sœurs et de toute la famille » (AVP, II, p. 455).
La communion des saints est une communion vivifiante qui transmet l’énergie, la force, le soutien que l’on peut même éprouver au moment précis où l’aide est donnée : « Mon enfant, que tu vivais bien la communion des saints lorsque tu m’écrivais : “ Hier, j’ai “ senti ” que vous étiez en train de prier pour moi ” » (C 546). « Communion des saints : il en a bien fait l'expérience ce jeune ingénieur lorsqu'il affirmait : "Père, tel jour, à telle heure, vous étiez en train de prier pour moi" » (S 472). Cette aide est une source de joie : « Quelle belle prière, — à répéter fréquemment — que celle de cet ami qui demandait de l’aide pour un prêtre emprisonné par haine de la religion : “Mon Dieu, console-le, car il est persécuté pour toi. Combien de gens souffrent, du fait qu’ils te servent ! “ — Quelle joie donne la communion des saints ! » (F 258).
La communion des saints – inutile de le dire – est une présence et une aide qui ne dépendent pas de la proximité physique et encore moins de la matérialité de « vivre sous un même toit » : en surmontant les distances elle se place sur un plan différent de celui des lois de l’espace. C’est pourquoi on peut aider tout le monde ou être aidé par tout le monde, même si on est physiquement éloignés, comme quelqu’un l’écrivait [à saint Josémaria] : « (...) "lorsque, par nécessité, on se trouve isolé, on remarque parfaitement l'aide de ses frères. En considérant que je dois à présent tout supporter "tout seul", je pense bien souvent que, sans cette "compagnie que nous nous tenons malgré la distance" (la bienheureuse Communion des saints !), je ne pourrais garder cet optimisme qui me comble" » (S 56). Cette unité, union avec, est une source de vie et d’efficacité : « Absence, isolement : épreuves à la persévérance. — Sainte messe, oraison, sacrements, sacrifices, communion des saints ! Armes pour triompher de l’épreuve » (C 997). « Par la Communion des saints tu dois te sentir très uni à tes frères. Défends sans peur cette merveilleuse unité ! — Si tu venais à te trouver seul, tes nobles ambitions seraient vouées à l’échec : une brebis isolée est presque toujours une brebis perdue » (S 615).
S’appuyant les uns sur les autres, comme des cartes à jouer, comme des maillons d’une même chaîne, la Communion invite les chrétiens à se sentir responsables envers les autres ; une responsabilité qui s’exprime non seulement dans la prière, mais dans toute la vie : dans l’engagement de vivre de manière chrétienne, d’être fidèle à Dieu en tout temps, et même surtout dans les tâches ordinaires : « Souviens-toi sans cesse qu’à tout moment tu collabores à la formation spirituelle et humaine de ceux qui t’entourent, et de toutes les âmes — la bienheureuse communion des saints arrive en effet à ce point : quand tu travailles et quand tu te reposes ; quand on te voit joyeux ou préoccupé ; quand, à l’ouvrage, ou en pleine rue tu pries en enfant de Dieu, et que la paix de ton âme se manifeste extérieurement ; quand on remarque que tu as souffert — que tu as pleuré —, et que tu souris » (F 846).
L’appel à la responsabilité, « que ta vie ne soit pas une vie stérile », par lequel saint Josémaria commence Chemin, souligne que notre propre fidélité à Dieu, à la foi, à la condition chrétienne personnelle, avec tout ce qu’elle implique, est la meilleure aide qui puisse être donnée aux autres, car « beaucoup de grandes choses dépendent de ce que, toi et moi, nous nous comportions selon la Volonté de Dieu. Ne l’oublie pas » (C 755). Pour y parvenir, il enseigne : « Il te sera plus facile d’accomplir ton devoir si tu penses à l’aide que te prêtent tes frères, et à celle que tu cesses de leur prêter si tu n’es pas fidèle » (C 549).
3. De la communion avec l’humanité qui peuple la terre à la communion avec les cieux
La communion dans l’Église présuppose la participation aux mérites infinis de Jésus-Christ, de la Vierge et de tous les saints. Par conséquent, tout comme elle surmonte les distances, elle transcende également le temps. En ce sens, saint Josémaria écrit : » Si tu éprouves la communion des saints, si tu la vis, (…) tu te sentiras “ l’allié ” de toutes les âmes pénitentes qui ont été, sont et seront » (C 548).
Dans cette dilatation, qui s’actualise et se concentre dans la célébration de la Sainte Messe, saint Josémaria vivait avec intensité la « Communio »avec l’Église « in patria ». Le chapitre de Chemin intitulé « Dévotions » nous donne un bon témoignage de cette réalité. Pedro Rodríguez, analysant ce chapitre, a souligné que la chose la plus originale dans son approche est qu’il explique la doctrine à travers les manières de la vivre (cf. Rodriguez, 2004, p. 199 à 212). En fait, il ne procède pas à des déclarations génériques, mais indique des moyens pratiques et concrets pour que la relation personnelle avec l’Église au Ciel soit réalisée. Il suit aussi un ordre rigoureusement théologique : d’abord, la relation avec « l’homme Jésus-Christ » (1 T 2, 5) (cf. C 554-557) ; ensuite, les voies ou moyens d’établir une communion vivante avec les hommes et les femmes qui nous ont précédés dans la foi, et avec les anges : d’abord avec la Vierge Marie (cf. C 558) et avec saint Joseph (cf. C 559-561), puis avec les Anges, en particulier les Anges Gardiens (cf. C 562-570), enfin avec les âmes du purgatoire (cf. C 571).
Un exemple qui illustre avec une vivacité particulière la prédication orale de saint Josémaria sur la communion des saints a eu lieu à Buenos Aires, au Teatro Coliseo. C’était le 26 juin 1974, un an avant son départ au Ciel, lors de la dernière rencontre de son voyage en Argentine, la plus multitudinaire. Le soir précédent, il se demandait avec une certaine inquiétude s’il était possible pour des milliers de personnes de se rassembler dans un endroit pour entendre un prêtre parler de Dieu – « un prêtre qui ne dit rien d’autre que des choses archiconnues » (AVP, III, p. 707). Son inquiétude trouva une réponse à la vue du lieu bondé, ce qui l’amena immédiatement à réfléchir à la puissance de la prière, principalement de ceux qui, dans d’autres parties du monde priaient pour son voyage, c’est-à-dire à la communion des saints, à laquelle il fit allusion à plusieurs reprises tout au long de cette rencontre. Nous avons choisi ici quelques paragraphes : « Si maintenant que je suis ici, nous pouvons avoir ces conversations si affectueuses – personne ne pourrait dire que nous sommes ici au moins quatre mille personnes, mais une douzaine – si nous pouvons les avoir, c’est parce qu’ils prient partout dans le monde. (...) Nous formons une grande Communion des Saints : ils nous envoient en abondance le sang artériel plein d’oxygène, pur, propre : c’est pourquoi nous pouvons converser ainsi, c’est pourquoi nous nous trouvons bien. Sinon, vous ne le supporteriez pas, mes enfants. Vous diriez : ce petit curé peut rentrer chez lui. Et au lieu de cela, vous me dites : Père, restez » (Catéchèse en Amérique, I, 1974, pp. 606-611 : AGP, Biblioteca, P05).
Le dogme de la communion des saints nous place devant la réalité d’une Église qui vit en vertu de la communion avec les sancta, les saints rites, les sacrements. Et, par conséquent, elle est constituée comme une communion de saints (sancti),comme la participation de tous ses membres à la vie même du Christ. La communion des saints implique qu’aucun chrétien ne peut se sentir seul. Et en même temps elle implique que personne ne peut considérer qu’il grandit en tant que chrétien en vertu de sa propre force, mais plutôt grâce à l’aide qu’il reçoit du Christ et de son corps mystique. C’est donc une source de force, d’espérance et, en même temps, d’humilité.
Thèmes connexes : Dévotion, dévotions ; Saint-Esprit ; Eucharistie ; Fraternité ; Église.
Bibliographie : CEC, nn. 946-958 Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Cart. Communionis notio, 1992 ; Blanca Castilla de Cortázar, « Communion de Personnes » et dualité homme-femme », dans Études sur le Catéchisme de l’Église Catholique, Madrid, Unión Editorial, 1996, pp. 163-194 ; Paul Émile Mersch, » Communion des saints », in DSp, II, 1995, cols. 1292-1294 ; Paul O’Callaghan, « Communion des Saints », dans César Izquierdo (dir.) ; Jutta Burgraff - Félix María Arocena, Dictionnaire de Théologie, Pampelune, EUNSA, 2006, pp. 142-146 ; Joseph Ratzinger, Fraternité chrétienne, Barcelone, Taurus, 1962 ; Pedro Rodríguez L’Église. Mystère et mission, Madrid, Cristiandad, 2007 Id., « La compréhension de l’Église dans Chemin »,in GVQ, V/1, pp. 199-212.