CHASTETÉ

1. La vertu de chasteté. 2. Importance pour la vie humaine et chrétienne. 3. La chasteté, chacun selon son propre état.

1. La vertu de chasteté. 
2. Importance pour la vie humaine et chrétienne. 
3. La chasteté, chacun selon son propre état.

« Car ils verront Dieu » est le titre de l’homélie que saint Josémaria consacre à traiter de la vertu de chasteté ou de pureté (cf. AD 175-189), à laquelle, comme il le disait lui-même, « j'ai l'habitude (…) d'ajouter le qualificatif de sainte » (QCP 5). Ce titre, qui fait référence aux paroles du Seigneur dans l’Évangile – « heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu » (Mt 5, 8) – indique précisément la clé pour découvrir la perspective à partir de laquelle saint Josémaria considère toujours cette vertu, « qui, sans être la seule, ni la première, agit cependant dans la vie chrétienne comme le sel qui préserve de la corruption et constitue la pierre de touche pour l’âme apostolique » (AD 175). Cette doctrine est claire si on considère que la vie éternelle consistera à « voir Dieu face à face » (1 Co 13, 12) ; et que la vie chrétienne, en tant que participation et développement de la grâce sanctifiante, est comme le commencement de la vie éternelle sur terre. C’est pourquoi saint Josémaria, qui parle de l’existence des chrétiens comme d’une marche en « présence de Dieu » (C 278) ou d’être « contemplatifs au milieu du monde » (QCP 174), souligne avec force que, bien que « la sainte pureté [ne soit] ni la seule, ni la principale vertu chrétienne, elle nous est cependant indispensable pour persévérer dans notre effort quotidien de sanctification ; et, si nous ne la conservons pas, notre engagement apostolique n'a pas de sens » (QCP 5).

1. La vertu de chasteté

Créée « à l’image de Dieu » (Gn 1, 27), qui « est Amour » (1 Jn 4, 16), la personne humaine est appelée à donner par son existence une réponse d’amour qui, dans le cas du chrétien, se résume à la charité – « le lien le plus parfait » (Col 3, 14) ; et, par conséquent, à « convertir, par amour, le travail humain de notre journée habituelle, en une œuvre de Dieu d’une transcendance éternelle » (F 742). Par conséquent, comme « Il n'y a pas d'amour humain net, franc et joyeux (…), si l'on ne vit pas cette vertu de chasteté » (QCP 25), « traiter ce sujet revient à s’entretenir de l’Amour » (AD 178). Ce qui implique, entre autres, qu’il faut « parler de la sainte pureté en utilisant des raisonnements positifs, limpides, avec des mots mesurés et clairs » (ibid.).

Saint Josémaria a dit et écrit dans les contextes les plus variés que la chasteté est « une couronne triomphale » (C 123), » une affirmation triomphante de l’amour »(S831 ; PCE 25). Elle est au service de l’amour et en est aussi le fruit ou le résultat. Elle crée dans le cœur la disposition nécessaire pour que l’homme puisse « répondre oui à son amour, avec une affection sans tache, ardente et bien ordonnée » (AD 178). En même temps, « la pureté est la conséquence de l'amour avec lequel nous avons fait don au Seigneur de notre âme et de notre corps, de nos facultés et de nos sens » (QCP 5), permettant de « vivre avec délicatesse (…), cette finesse que l’on ne comprend que lorsqu’on se place aux côtés du Cœur rempli d’amour du Christ sur la Croix » (AD 184). « Mais séparée de la charité, elle n’est ni sainte, ni agréable à Dieu. La charité est la semence qui germera et donnera des fruits très savoureux, grâce à l’eau limpide de la pureté. Sans charité, la pureté reste inféconde, et ses eaux stériles transforment les âmes en un bourbier, en un marécage immonde qui exhale des miasmes d’orgueil » (C 119).

« La chasteté — non pas la simple continence mais l'affirmation décidée d'une volonté pleine d'amour est une vertu qui maintient la jeunesse de l'amour dans n'importe quel état de vie » (QCP 25). Et, comme saint Josémaria lui-même l’explique dans une synthèse travaillée, cela implique que « la volonté, la maîtrise, la victoire sur soi-même, ce n’est pas la chair qui les donne, ce n’est pas de l’instinct qu’elles procèdent, mais de la volonté, à plus forte raison si celle-ci est unie à la volonté de Dieu. Pour être chastes, pas simplement continents ou fidèles, nous devons soumettre nos passions au contrôle de la raison, mais pour un motif élevé, en suivant l’élan de l’Amour » (AD 177). Saint Josémaria proclamera de bien des façons que la chasteté n’est pas « une négation » sans plus (Cf. QCP 5 ; F 92 ; AD 177), son importance n’est pas non plus due à l’abstention de l’activité sexuelle (qui sera nécessaire chez ceux qui n’ont pas été choisis par Dieu pour vivre dans le mariage).

C’est une « affirmation ». Tout être humain doit « être continent, chacun selon son état [... Mais] cette attitude s’accompagne d’un geste positif, qui nous fait accepter de bonne grâce la requête divine » (AD 182). A cause du péché originel, il y a un désordre dans le cœur, qui provoque la rébellion - « une écharde dans ma chair » (cf. 2 Co 12, 7) - ou la « concupiscence de la chair » (1 Jn 2, 16). Cela se manifeste d’une manière particulière dans « l’appétit sexuel, qui doit [donc] être ordonné » (QCP 5). Sinon, lorsque « les passions » ne sont pas ordonnées et se mettent au service de la « convoitise de la chair », les hommes deviennent « esclaves de la sensualité » (cf. QCP 5). Cela se produit, commente saint Josémaria, en référence au plaisir et à la satisfaction que « Dieu a joint aux diverses fonctions de la vie humaine », chaque fois que « l’homme, inversant l'ordre des choses, recherche cette émotion comme une fin en soi et, en méprisant le bien et la fin auxquels elle doit être liée et ordonnée, la pervertit et la dénature, la transforme en péché ou en occasion de péché » (QCP 25).

Cette « ordination » – pour saint Josémaria, comme pour la grande théologie – s’identifie à l’intégration du bien de la sexualité dans le bien de la personne. C’est le fruit de la maîtrise de la personne sur elle-même, sachant que « le sexe n'est pas une réalité honteuse, mais un don divin dont la juste finalité est la vie, l'amour, la fécondité » (QCP 24), que « l'appétit sexuel (…) n'est pas un mal en soi, car c'est une réalité humaine noble et sanctifiable » (QCP 5). Par conséquent, la « victoire » sur soi, nécessaire pour « soumettre les passions » (AD 177), ne doit pas être comprise comme un déni ou une réduction des valeurs de la corporalité et de la sensibilité. « C’est un combat, non un renoncement (…) [qui] ne doit en aucune façon se limiter à un refus froid et calculé » (AD 182). Ce n’est que la subordination de l’instinct à la rationalité exigée par la condition même de la personne humaine créée à l’image et à la ressemblance de Dieu. La « violence » de la chasteté combat l’esclavage que le « vieil homme » ou la « chair », dont parle saint Paul, veulent imposer aux enfants de Dieu. Rien de ce qui appartient à « l’être » d’une personne ne peut être considéré comme moins bon ou infrahumain.

C’est une « affirmation déterminée de la volonté ». La volonté et la maîtrise qu’exige cette « ordination » « ce n’est pas la chair qui les donne, ce n’est pas de l’instinct qu’elles procèdent » (AD 177), car, en tant que tels, ils ne sont capables que de percevoir la dimension utile et agréable de la sexualité. L’action de la volonté rationnelle est nécessaire, car seule la raison est capable de percevoir le bien de la sexualité comme bien de la personne ; et seule la volonté rationnelle est capable de l’intégrer dans le bien de la personne, de l’imprégner de rationalité.

Mais cette intégration sera « vertueuse » si la décision de la volonté, en supposant comme toujours l’action de la grâce, est au service de l’amour. Elle doit donc être prise à l’intérieur de « notre cœur [qui] a été fait pour aimer. (...) Nous, les chrétiens, nous sommes épris de l’Amour : le Seigneur ne nous veut pas secs, raides, semblables à de la matière inerte. Il nous veut tout imprégnés de sa tendresse ! » (AD 183). C’est pourquoi « répondre oui à son amour, avec une affection sans tache, ardente et bien ordonnée, voilà en quoi consiste la vertu de chasteté »(AD 178) ; cela implique l’engagement de la volonté de porter Dieu dans nos corps, puisque, ayant été « achetés à grand prix » (1 Co 6, 20) et faits « temples de Dieu » (1 Co 3, 16), « nous appartenons totalement à Dieu, corps et âme, avec notre chair et avec nos os, avec nos sens et avec nos puissances » (AD 177). C’est la collaboration de la liberté humaine avec le don de la grâce, qui, se déroulant à l’intérieur du cœur, se manifeste à l’extérieur à travers le langage de la corporalité, qui est nécessaire. « La Sainte Écriture nous révèle que cette œuvre grandiose de la sanctification, travail occulte et magnifique du Paraclet, produit ses effets dans l’âme et dans le corps » (AD 178).

Comme arrière-plan doctrinal de l’enseignement sur la chasteté se trouve, entre autres principes de l’anthropologie chrétienne, une idée de l’homme qui conduit à le voir avec ce que nous pourrions qualifier de « totalité unifiée » (« unité substantielle » corps-âme, dont parle l’explication hylémorphique qui associe matière et forme) et une appréciation de la sexualité en tant que dimension constitutive de la personne humaine.

2. Importance pour la vie humaine et chrétienne

Le rôle décisif de la chasteté dans la vie humaine et chrétienne est déterminé par sa nécessité. Si on ne vit pas cette vertu, l’existence de l’homme ne se déroule pas en accord avec sa dignité, et il n’est pas possible de correspondre à la grâce que le Seigneur demande et qui « exige de chacun, en accord avec sa situation personnelle, qu’il pratique les vertus propres aux enfants de Dieu » (AD 177). De l’homélie « Car ils verront Dieu » sont tirés ces mots qui, d’une certaine manière, résument la pensée de saint Josémaria sur cette fonction et son importance : « Certes, la charité théologale nous apparaît comme la vertu la plus haute ; cependant la chasteté est le moyen sine qua non, une condition indispensable pour nouer ce dialogue intime avec Dieu. Si on ne la conserve pas, si on ne lutte pas, l’on devient aveugle, l’on ne voit rien, car l’homme animal ne perçoit pas les choses qui sont de l’Esprit de Dieu (1 Co 2, 14) » (AD 175).

Spirituellement parlant, ceux qui « se sont lâchement abandonnés à la luxure (…) ne voient, n’entendent, ne comprennent rien » (AD 181). Ils ont abdiqué ce qui est le plus propre à l’être humain, en tant qu’image de Dieu : « l'intelligence [qui] est comme une étincelle de l'entendement divin et nous permet, avec notre volonté libre — autre don de Dieu —, de connaître et d'aimer » (QCP 24 ; cf. AD 179). Et quand « les aspirations de la vie spirituelle » ne prédominent plus, mais que cet horizon est présidé par la sensibilité, le plaisir ou la satisfaction, la lumière de l’intelligence s’assombrit et la volonté s’affaiblit. Si on ne se bat pas pour rejeter les délires de l’impureté, on peut finir, comme le prévenait un « confesseur un peu rude mais expérimenté (…) : "tu marches maintenant sur le chemin des vaches ; tu te contenteras ensuite d'emprunter celui des chèvres ; et ensuite... tu resteras toujours comme un animal qui ne sait pas regarder vers le ciel" » (S 843).

La nécessité de contrer ces conséquences explique pourquoi saint Josémaria nous encourage fortement à aimer et à vivre personnellement cette vertu : « N’oublie pas que la pureté rend plus vigoureux, virilise le caractère » (C 144). Et cela explique aussi qu’en la valorisant, on contribue à humaniser la société : « Il faut entreprendre une croisade de virilité et de pureté qui contrecarre et anéantisse le travail destructeur de ceux qui tiennent l’homme pour une bête » (C 121). Cette affirmation de la chasteté prend une vigueur et une vibration particulières lorsqu’on la met en relation avec la vie chrétienne. Après avoir énuméré les ressources (formation de la conscience, garde des sens, fréquence des sacrements, etc.) « sur lesquelles nous pouvons toujours compter, nous autres chrétiens, pour l’emporter dans ce combat pour protéger la chasteté » (AD 185), il ajoute : « vous allez me dire qu’il s’agit là purement et simplement du résumé de toute vie chrétienne. À vrai dire, il n’est pas possible de séparer la pureté, qui est amour, de l’essence de notre foi, qui est charité, sursaut d’amour sans cesse renouvelé pour Dieu, qui nous a créés, nous a rachetés et nous prend continuellement par la main, même si maintes et maintes fois, nous ne nous en rendons pas compte » (AD 186 ; cf. S 836, S 837).

Une vie chrétienne authentique ne peut être séparée de l’effort pour garder la chasteté, puisque, comme le soutient cette même homélie, « Jésus-Christ [est] notre modèle, le modèle de tous les chrétiens » (AD 175). « [Et] Il veut qu’aucune ombre n’obscurcisse cet exemple : un modèle merveilleux de pureté, de limpidité, de lumière, d’amour qui sait embraser le monde entier pour le purifier » (AD 176). Pour refléter ce modèle ou « se revêtir du Christ », c’est-à-dire pour « cette œuvre grandiose de la sanctification », nous avons besoin du « travail occulte et magnifique du Paraclet » (AD 178) ; c’est pourquoi le chrétien doit s’efforcer d’être docile à cette action de l’Esprit Saint. Ce n’est qu’ainsi que l’âme aura cet instinct surnaturel de découvrir « Jésus qui passe quasi in occulto (Jn, 7, 10), aux carrefours apparemment les plus ordinaires » (AD 4). Cette motivation résonne dans Chemin : « Ôte-moi, Jésus, cette gangue repoussante de pourriture sensuelle qui recouvre mon cœur, pour que j’entende et suive facilement les appels du Paraclet dans mon âme » (C 130). Et aussi dans l’invitation à mettre les moyens de gagner dans le combat de chasteté. « Quel amour pour la vertu merveilleuse de la sainte pureté, qui nous aide à être plus forts, plus solides, plus féconds, plus aptes à travailler pour Dieu, plus aptes à entreprendre de grandes choses ! » (AD 176).

La relation entre vie chrétienne vibrante et cœurs purs, donnés à l’Amour, est aussi la raison pour laquelle la chasteté est nécessaire dans l’apostolat. « Sans la sainte pureté, on ne peut persévérer dans l’apostolat » (C 129). Ce n’est pas possible, car « ton apostolat doit être un débordement de ta vie “ en dedans ” » (C 961 ; cf. F 708 ; AD 5) : d’une « vie intérieure intense », qui consiste à « être des hommes et des femmes qui font de leur journée réellement et efficacement un dialogue ininterrompu avec Dieu » (F 572). Cette perspective montre qu’entre autres choses, il vaut la peine de s’efforcer de surmonter les difficultés qui peuvent survenir et qui, parfois, peuvent sembler dures et lourdes. C’est une exigence de l’amour de Dieu et une exigence pour l’aide qui peut et doit être donnée aux autres. « Je compare cette vertu à des ailes qui nous permettent de transmettre les commandements, la doctrine de Dieu sur toute l’étendue de la terre, sans craindre de rester embourbés. Les ailes — comme celles de ces oiseaux majestueux qui s’élèvent là où les nuages n’arrivent pas — sont lourdes, très lourdes ; mais sans elles, voler serait impossible. Mettez-vous cela dans la tête, et soyez bien décidés à ne pas céder si vous remarquez le coup de griffe de la tentation qui s’insinue en présentant la pureté comme un fardeau insupportable. Courage ! Toujours plus haut, jusqu’au soleil, à la poursuite de l’Amour » (AD 177). Il ne faut jamais oublier que le « fardeau » de l’Évangile est « doux et léger » (Mt 11, 30).

3. La chasteté dans son propre état

Évaluer l’importance de la chasteté telle qu’elle doit être appréciée exige, avec d’autres choses, de noter que, comme le rappelle saint Josémaria, « votre vocation humaine est une partie, et une partie importante, de votre vocation divine » (QCP 46). Par conséquent, la chasteté est nécessaire pour tout le monde. L’exercice de cette vertu ne se « réduit » pas à la lutte contre le désordre de la concupiscence, qui accompagne l’homme dans tout son pèlerinage sur terre. De plus, cela doit être fait dans tous les états et à toutes les étapes de la vie « en fonction de sa situation personnelle » (cf. AD 177), c’est-à-dire comme l’exige sa vocation.

« Par vocation divine, certains auront à vivre cette pureté dans le mariage et d'autres en renonçant à l'amour humain pour répondre uniquement et passionnément à l'amour de Dieu. Ni les uns ni les autres ne sont les esclaves de la sensualité ; ils règnent en maîtres sur leur corps et sur leur cœur, afin de pouvoir les donner aux autres en se sacrifiant pour eux » (QCP 5). « Quoi qu’il en soit, chacun, à la place qu’il occupe et avec la vocation que Dieu lui a inspirée — célibataire, marié, veuf, prêtre — doit s’efforcer de vivre la chasteté avec délicatesse ; c’est une vertu accessible à tous, et qui exige de tous lutte, sensibilité, tact, vigueur, cette finesse que l’on ne comprend que lorsqu’on se place aux côtés du Cœur rempli d’amour du Christ sur la Croix » (AD 184).

À partir de cette évaluation positive de la vie conjugale, saint Josémaria encourage ceux qui se préparent au mariage à comprendre « ce qu'est l'amour, l'Amour divin autant que le noble amour humain ; et ils connaîtront la paix, la joie, la fécondité » (Entretiens 105). Dans cette perspective, il leur rappelle que « les fiançailles doivent être une occasion d'approfondir l'affection et la connaissance mutuelles. Et comme tout apprentissage d'amour, elles doivent être inspirées non par le désir de possession, mais par l'esprit de dévouement, de compréhension, de respect, de délicatesse » (ibid.). Le Concile Vatican II s’exprime dans le même sens lorsqu’il invite « les fiancés à entretenir et soutenir leurs fiançailles par une affection chaste » (GS, 49) et le Catéchisme de l’Église catholique, leur dit que dans la chasteté propre à ce stade, « ils verront (…) une découverte du respect mutuel, un apprentissage de la fidélité et de l’espérance de se recevoir l’un et l’autre de Dieu » (CEC, n. 2350).

Avec cette conviction, saint Josémaria assure « aux époux qu'ils ne doivent pas avoir peur de manifester leur amour ; au contraire, puisque cette inclination est la base de leur vie familiale. Ce que le Seigneur leur demande c'est de se respecter mutuellement, d'être loyaux l'un envers l'autre et d'agir avec délicatesse, avec naturel, avec modestie »(QCP 25). « Je leur dirai aussi que les relations conjugales sont dignes quand elles sont la preuve d'un véritable amour et, par conséquent, quand elles sont ouvertes à la fécondité, à la procréation » (ibid.). Avec une cohérence logique, saint Josémaria a rappelé à maintes reprises que « le véritable amour mutuel dépasse la communauté du mari et de la femme et s'étend à ses fruits naturels : les enfants » (Entretiens 94) : l’amour conjugal est une partie inaliénable de la réponse des personnes mariées à leur vocation à la plénitude de la vie chrétienne, et l’ouverture à la fécondité est une dimension constitutive de cet amour.

En ce sens, saint Josémaria mettait en garde contre les conséquences auxquelles la dénaturation de l’amour conjugal peut conduire : « Tarir les sources de la vie est un crime contre les dons que Dieu a concédés à l'humanité, la manifestation d'une conduite inspirée par l'égoïsme et non par l'amour. C'est alors que tout devient trouble entre des conjoints, qui en arrivent à se considérer comme des complices. Il se produit alors des dissensions qui, à la longue, deviennent presque toujours incurables » (QCP 25 ; cf. Entretiens 94). Ne pas « tarir les sources de la vie » exprime la générosité et la fidélité à la vocation reçue qui doivent guider les manifestations de leur amour. C’est pourquoi saint Josémaria souligne avec force en paroles et par écrit : « je bénis les parents qui accueillent avec joie la mission que Dieu leur a confiée et ont beaucoup d'enfants. Et j'invite les couples à ne pas tarir les sources de la vie, à avoir le sens du surnaturel et le courage qu'il faut pour bien élever une nombreuse famille, si Dieu la leur envoie » (Entretiens 94).

La famille nombreuse n’est donc pas simplement celle qui a beaucoup d’enfants, mais celle qui est généreuse avec le plan de Dieu : « Lorsque je loue la famille nombreuse, je ne me réfère pas à celle qui est la conséquence de relations purement physiologiques, mais à celle qui naît de l'exercice des vertus chrétiennes, à celle qui possède un sens élevé de la dignité de la personne, à celle qui sait que donner des enfants à Dieu ne consiste pas seulement à les engendrer à la vie naturelle, mais exige aussi toute une longue tâche d'éducation : leur donner la vie est le premier pas, mais ce n'est pas tout. Il peut y avoir des cas concrets où la volonté de Dieu — manifestée par des moyens ordinaires — réside précisément en ce que la famille soit peu nombreuse. (…) Le nombre d'enfants n'est pas à lui seul décisif : avoir beaucoup ou peu d'enfants ne suffit pas pour qu'une famille soit plus ou moins chrétienne. L'important, c'est la droiture avec laquelle on vit la vie conjugale » (ibid.). C’est pourquoi les époux à qui « le Seigneur ne (…) donne pas d'enfants, qu'ils n'en conçoivent aucune frustration ; qu'ils soient contents et découvrent dans ce fait précisément la volonté de Dieu à leur égard. (...) Il n'y a donc pas lieu de croire à un échec ni de s'abandonner à la tristesse » (Entretiens 96).

L’amour conjugal et l’ouverture à la vie constituent une même réalité. Cela revient à dire que la relation conjugale est une véritable expression de l’amour lorsqu’on vit la chasteté : « Quand la chasteté conjugale est présente dans l'amour, la vie matrimoniale est l'expression d'une conduite authentique : mari et femme se comprennent et se sentent unis. Quand le bien divin de la sexualité se pervertit, l'intimité est détruite et le mari et la femme ne peuvent plus se regarder en face loyalement » (QCP 25).

En proclamant la grandeur de la vocation au mariage, saint Josémaria enseigne en même temps que Dieu demande plus à certains : « se livrer pour l’amour du Royaume des cieux à Jésus seul et, pour l’amour de Jésus, à tous les hommes » (AD 184). C’est le don de ceux qui, suivant l’appel du Seigneur, vivent la virginité ou le célibat pour le Royaume des cieux, qui exige certainement la continence ; mais elle ne sera l’expression de la vertu de chasteté que si elle est au service de l’Amour de Dieu et des autres. Et c’est donc quelque chose de « plus sublime encore que l’amour matrimonial, même si le mariage est un sacrement, sacramentum magnum (Ep 5, 32) » (ibid.).

Cette sublimité du célibat est due à son lien particulier avec le Royaume des cieux. Objectivement, le célibat exprime de manière plus complète la rédemption du corps, telle qu’elle sera dans la résurrection. Le mariage exprime cette même rédemption par le sacrement, selon la condition de ce monde. Mais du point de vue des existences concrètes, « ce qui compte par-dessus tout, c'est que chacun réponde à sa propre vocation : et pour chacun, le plus parfait est de faire — toujours et seulement — la volonté de Dieu » (Entretiens 92). Le don du célibat et le mariage sont deux types d’appel vocationnel qui sont nécessaires : ni l’un ni l’autre n’exprime pleinement à lui seul le mystère de l’amour du Christ pour l’Église. Et ils se complètent : le célibat « rappelle » que la chasteté propre au mariage doit être vécue dans la perspective du Royaume des cieux ; le mariage, que la chasteté du célibat ne peut rester dans une universalité abstraite, puisque seules les personnes singulières peuvent être aimées. C’est pourquoi « il n'y a aucune contradiction entre faire cas de la vocation au mariage et comprendre l'excellence majeure de la vocation au célibat » (ibid.). En fin de compte, c’est parce que les deux sont des façons qui expriment que « la vie du chrétien, la tienne et la mienne, est faite d’Amour » (AD 183).

Thèmes connexes : Célibat ; Mariage.

Bibliographie :AD 175-189 ; C 118-145 ; QCP 24-26 ; S 831-849 ; Josef Pieper Les vertus fondamentales, Madrid, Rialp, 1980 ; Augusto Sarmiento, » La chasteté, intégration du bien de la sexualité dans le bien de la personne », dans Id. - Tomás Trigo - Enrique Molina Moral de la persona, Pampelune, EUNSA, 2006, pp. 197-211 ; Karol Wojtyla Amour et responsabilité,Madrid, Raison et foi, 1978.

Augusto Sarmiento