CÉLIBAT

1. Bref aperçu historique. 2. Célibat, amour et mission 3. Le célibat apostolique dans l’Opus Dei.


1. Bref aperçu historique. 
2. Célibat, amour et mission. 
3. Le célibat apostolique dans l’Opus Dei. 

Le mot « célibat » désigne la condition du célibataire, c’est-à-dire de la personne qui n’a pas contracté de mariage. Cette définition, linguistiquement négative, nous permet de comprendre qu’elle s’applique à des situations très différentes. Le célibat peut être la condition de ceux qui ne se sont pas mariés, mais pensent le faire et mettent les moyens d’y parvenir en fréquentant des personnes de l’autre sexe, etc. C’est également celle de ceux qui, au moins au début, ont pensé à se marier, mais en raison de diverses circonstances (dévouement absorbant à certaines tâches, besoin de s’occuper des membres de leur propre famille, etc.), ne se marient pas en fait. Et, enfin, celle de ceux qui assument consciemment et volontairement – pour une raison ou une autre, ordinairement liée à la pratique de la religion – une option et un engagement de célibataires. Tel est le célibat dont nous parlons ici. Plus précisément, le célibat qui, à partir des textes du Nouveau Testament, a été vécu et est vécu dans la tradition chrétienne. Et c’est bien celui dont ce thème du Dictionnaire traite ici pour exposer l’enseignement de saint Josémaria à cet égard.

Saint Josémaria prêche et écrit sur la vocation au célibat pour le royaume des cieux (c’est l’expression utilisée par l’Evangile), en tant que pasteur : plutôt que de proposer une théorie du célibat, il la vit et enseigne à la vivre. Et il le fait aussi en tant que fondateur et, par conséquent, en s’adressant aux fidèles de l’Opus Dei, des chrétiens ordinaires qui vivent et se sanctifient au milieu du monde, bien que, évidemment, beaucoup de ses orientations aient une portée plus large.

Avant d’exposer cet enseignement, il est utile de proposer un aperçu historique qui aide à en tracer les contours.

1. Bref aperçu historique

Il y a principalement deux textes du Nouveau Testament où l’on parle du célibat et où il apparaît comme recommandé. Le passage de l’Évangile selon saint Matthieu dans lequel Jésus-Christ loue ceux qui ont décidé de ne pas se marier « pour le Royaume des cieux », propter Regnum coelorum (Mt 19, 12). Et le texte de la Première Lettre aux Corinthiens dans laquelle saint Paul parle du célibat et du mariage comme des dons ou vocations divins, signalant en même temps l’excellence du premier (1 Co 7, 3-7, 25-35).

Déjà à cette même époque apostolique, il y avait des chrétiens, hommes et femmes, qui acceptaient cette invitation et assumaient l’engagement du célibat ; les premiers étaient autrefois désignés comme ascètes ou continents ; les secondes comme vierges. Parmi ces dernières – plus nombreuses – il y avait dans de nombreux cas à une configuration de type consécratoire, donnant même lieu à un rite liturgique. Cependant, il ne manquait pas de femmes qui continuaient à assumer le célibat sans changer leur condition canonique ou ecclésiale.

Avec l’apparition et la diffusion du monachisme au début du IVe siècle, les ascètes et les vierges, consacrées comme non consacrées, s’intégrèrent dans les différentes communautés monastiques qui se constituaient. La réalité – et même l’idée – d’un engagement en faveur du célibat pris par des chrétiens ordinaires qui continuaient à vivre au milieu du monde disparut. Sauf dans des cas exceptionnels, il n’y a eu que deux figures du célibat dans l’Église pendant de nombreux siècles : le célibat sacerdotal et le célibat monastique ou, en termes plus génériques, religieux ou consacré.

La situation changea dans la première moitié du XXe siècle, quand il y eut un mouvement général de retour aux sources et donc à la condition des premiers chrétiens, également en ce qui concerne le célibat assumé par ceux qui maintenaient leur vocation laïque et, par conséquent, au milieu du monde et afin de sanctifier le monde. C’est le cas du célibat vécu par certains membres de l’Opus Dei et c’est celui que saint Josémaria avait à l’esprit dans sa prédication.

2. Célibat, amour et mission

Les mots propter Regnum coelorum avec lesquels, à la suite du discours du Christ, le célibat chrétien est habituellement défini, évoquent le sens large et riche que l’expression « royaume des cieux » a dans l’Écriture Sainte : la domination qui, en conformité avec sa condition de Créateur, est exercée par Dieu sur tout l’univers ; l’action puissante, amoureuse et salvatrice avec laquelle Dieu choisit Israël et le dirige à travers l’histoire en préparant la venue du Messie ; le Christ qui, par sa mort et sa résurrection, accomplit le plan du salut, afin que le Royaume devienne présent en Lui et, de Lui, s’étende à toute l’humanité et à la création toute entière, telle qu’elle sera renouvelée à la fin des temps.

Assumer l’engagement du célibat en répondant à l’appel divin – c’est Dieu, en effet, qui accorde ce don – implique donc de rester entièrement dans la sphère d’action de la grâce, en participant à l’amour et à la mission du Christ. Dans sa prédication, saint Josémaria a toujours insisté sur l’amour, sur l’amour que Dieu a pour nous et nous a manifesté dans le Christ, et sur l’amour avec lequel l’homme doit correspondre. « Savoir que tu m’aimes tant, mon Dieu, et… je n’en suis pas devenu fou ? » (C 425) ; « Jésus, que je sois le dernier en tout… et le premier en amour » (C 430) ; « Quel est le secret de la persévérance ? L’Amour. — Éprends-toi de lui et tu ne l’abandonneras point » (C 999).

Les passages ci-dessus – auxquels beaucoup d’autres pourraient être ajoutés – se réfèrent à la totalité des chrétiens, quels que soient leur statut ou leur condition. Ils ont pourtant une application, toute spéciale, pour ceux qui sont appelés au célibat. Ceux qui suivent ce chemin vocationnel ne sont pas des gens qui « ne comprennent rien à l'amour ou n'y attachent aucun prix ; leurs vies s'expliquent, au contraire, par la réalité de cet Amour divin — j'aime l'écrire avec une majuscule — qui est l'essence même de toute vocation chrétienne » (Entretiens 92). Celui qui est appelé par Dieu au célibat est quelqu’un qui sait aimer et, parce qu’il le sait, est capable, avec l’aide de la grâce divine, de s’engager sur un chemin dans lequel l’amour pour Dieu doit imprégner toutes les couches de sa personnalité. Cette compréhension profonde de la relation entre l’amour et le célibat reflète par ailleurs la propre expérience de saint Josémaria, puisque, comme il l’a dit lui-même, il s’est tourné vers le sacerdoce quand, à l’âge de seize ou dix-sept ans : « j’ai commencé à pressentir l’Amour, à réaliser que le cœur me demandait quelque chose de grand et que c’était l’amour » (Méditation, 19-III-1975 : AVP, I, p. 97).

Dans la réponse à l’interview d’Entretiens dont nous venons de reproduire quelques mots, saint Josémaria ajoute une deuxième raison qui fonde le célibat en soulignant son importance pour la vie de l’Église. C’est un passage dans lequel, après avoir rappelé que dans l’Église, les évêques et les prêtres sont appelés au célibat, il dit : « les célibataires ont, en fait, plus de liberté de cœur et de mouvement pour se dédier de façon stable à diriger et à soutenir les entreprises d'apostolat, jusque dans l'apostolat laïc » (Entretiens 92). Cette raison peut sembler moins importante, et même simplement fonctionnelle et pragmatique, mais seulement si elle est séparée de son contexte, car en réalité elle ne fait que rappeler que l’appel au célibat est, en même temps, appel à participer à la mission du Christ.

Le célibat chrétien est choisi et vécu dans l’amour. Mais l’amour pour qui ? Pour Dieu et pour nos frères et sœurs, que la mission appelle à servir. « L’amour de Dieu et l’apostolat, comme motif du célibat, sont non seulement inséparables, mais intrinsèques l’un à l’autre. La raison d’être du célibat est l’amour pour Jésus-Christ et cet amour du Seigneur implique nécessairement la participation à sa mission » (Burkhart - López, I, 2010, p. 221).

L’inséparabilité des deux motifs du célibat chrétien souligne la valeur et la grandeur de cette condition de vie qui implique d’avoir Dieu et son Église comme horizon radical et total. D’où les déclarations constantes de la Tradition et du Magistère à cet égard. Dès l’époque patristique, où les écrits sur la virginité et le célibat sont nombreux, jusqu’au Concile de Trente (cf. Concile de Trente, session XXIV, canon 10 : DS, 1810) et au Concile Vatican II (cf. LG, 41 ; PO, 16, etc.), sans parler des multiples références dans les documents, allocutions, etc., des pontifes récents.

Soulignons, en outre, que l’inséparabilité entre ces deux motifs remplit toute la vie de célibataire. Le célibataire qui s’ouvre au don de Dieu reçoit une impulsion à « se livrer corps et âme au Seigneur, à lui offrir un cœur sans partage, sans la médiation de l'amour terrestre » (Entretiens 122). Cet élan, cet amour, soutiendra toute sa vie et sera la raison de la persévérance : la charité authentique engendre une forte tendresse pour le Christ, qui conduit à orienter entièrement et toujours plus profondément les affections du cœur (Cf. C 164). Et à son tour, ce cœur, délicatement dirigé vers Dieu, s’ouvrira de plus en plus sincèrement et authentiquement à l’amour pour les hommes. C’est pourquoi saint Josémaria aimait joindre l’adjectif « apostolique » au substantif « célibat », soulignant l’unité entre les deux motifs que le célibat chrétien implique.

S’efforcer de vivre la chasteté, la pureté du cœur et des affections, est une condition indispensable pour grandir dans l’amour de Dieu et dans le don de soi et le service de ses frères et sœurs. « La pureté rend plus vigoureux, virilise le caractère » (C 144), « agit cependant dans la vie chrétienne comme le sel qui préserve de la corruption et constitue la pierre de touche pour l’âme apostolique » (AD 175), pour l’ouverture vers la transmission du don de la vie, également de la vie spirituelle. Le chrétien fidèle à son engagement pour le célibat peut ainsi recevoir une fécondité avec laquelle il participe à la paternité divine : Dieu « donne le centuple, et ceci est vrai jusque dans les enfants. — Beaucoup s’en privent pour sa gloire, qui ont des milliers d’enfants spirituels… Enfants, comme nous le sommes de notre Père qui est aux cieux » (C 779).

Pour cette raison, saint Josémaria s’est toujours opposé à toute tentative de présenter l’option du célibat comme la conséquence d’un manque d’énergie ou d’une incapacité à vivre une vie affective. Le chrétien, tout chrétien, doit avoir un cœur et, avec ce seul cœur, aimer Dieu et les hommes : « Nous, les chrétiens, nous sommes épris de l’Amour : le Seigneur ne nous veut pas secs, raides, semblables à de la matière inerte. Il nous veut tout imprégnés de sa tendresse ! Celui qui renonce à un amour humain pour Dieu, ne reste pas célibataire, comme ces gens tristes, infortunés et abattus, qui ont méprisé la générosité d’un amour rempli de pureté » (AD 183).

Cette réalité s’applique à tout célibat chrétien. Au célibat propre à la vie consacrée, pour lequel saint Josémaria a toujours exprimé une grande appréciation, même si c’était un chemin très différent de celui auquel Dieu l’avait appelé. Cette appréciation s’étendait au célibat sacerdotal, qu’il vivait lui-même et dont il a toujours souligné la richesse spirituelle et humaine : « Ils mentent, ou ils se trompent, ceux qui affirment que nous sommes seuls, nous autres, prêtres. Nous sommes plus accompagnés que qui que ce soit, parce que nous pouvons compter sur la compagnie continuelle du Seigneur, Lui avec qui nous ne devons pas cesser de nous entretenir » (F 38). Et elle s’étendait au célibat de ceux qui, acceptant l’appel divin, décident de rester célibataires au milieu du monde, précisément pour sanctifier de l’intérieur ce monde dans lequel ils vivent ; c’est-à-dire au célibat apostolique, pour reprendre l’expression à laquelle il recourrait fréquemment, lui donnant parfois un sens générique, mais, dans de nombreux autres moments, le réservant au célibat vécu au milieu du monde et en étant du monde, auquel nous nous référerons à la section suivante.

Ajoutons maintenant que l’affirmation déterminée de la centralité de l’amour dans la vie de célibat ne conduit pas saint Josémaria à oublier que l’amour est essentiel pour toutes les vocations dans l’Église. Ici se manifeste le sens de la communion dans le sein de l’Église, qui est – avec l’amour – l’une des clés fondamentales de sa prédication sur le célibat et en général sur la diversité des vocations ou des conditions chrétiennes. Dans ses œuvres, il y a des passages fréquents dans lesquels il recourt au procédé d’énumération de différents états ou conditions – célibataires, mariés, veufs, prêtres, hommes, femmes, jeunes, personnes âgées, etc. – précisément pour souligner que tous sont également appelés à la sainteté et à l’amour divin « qui est l’essence même de toute vocation chrétienne » (Entretiens 92) : « chacun, à la place qu’il occupe et avec la vocation que Dieu lui a inspirée — célibataire, marié, veuf, prêtre — doit s’efforcer de vivre la chasteté avec délicatesse ; c’est une vertu accessible à tous, et qui exige de tous lutte, sensibilité, tact, vigueur, cette finesse que l’on ne comprend que lorsqu’on se place aux côtés du Cœur rempli d’amour du Christ sur la Croix » (AD 184 ; cf. QCP 25).

C’est pourquoi saint Josémaria réitère et fait sienne la prédication chrétienne constante sur « l’excellence et la valeur du célibat » (Entretiens 45 ; cf. Entretiens 92 et 122 ; AD 184). En même temps, il proclame que le mariage n’est pas une simple institution sociale, ni la condition dans laquelle les chrétiens qui ne reçoivent pas l’appel au célibat sont laissés, mais une vocation chrétienne au sens fort et complet de l’expression : « Voilà près de quarante ans – affirmait-il en 1968 – que je prêche le sens du mariage en tant que vocation. Plus d'une fois, j'ai vu des hommes et des femmes, dont les yeux s'illuminaient à m'entendre dire que le mariage est un chemin divin sur la terre, alors qu'ils croyaient incompatibles, dans leur vie, le don de soi à Dieu et un amour humain, noble et pur » (Entretiens 91).

3. Le célibat apostolique dans l’Opus Dei

Dès le début, à partir du 2 octobre 1928, le message de l’Opus Dei s’adresse à toutes sortes de personnes, de toute profession ou métier, célibataires ou mariées. Saint Josémaria vit tout de suite que dans l’Opus Dei il devait y avoir « des personnes [...] qui, pour assurer la continuité des tâches apostoliques, s’engagent à vivre dans le célibat, et auxquelles, entre autres raisons pour leur plus grande disponibilité de fait, on réserve certaines fonctions de direction ou de formation » (IJC, pp. 43-44). Il avait aussi compris qu’il devrait commencer par incorporer dans l’Opus Dei ceux qui s’engageaient dans le célibat : de cette façon, l’Œuvre serait solide, et les fondations seraient posées pour que, lorsque le moment opportun viendrait, les portes puissent être ouvertes à toutes sortes de personnes. « Par conséquent, il orienta ainsi son œuvre de fondation, en invitant à s’engager dans le célibat apostolique – selon l’expression qu’il aimait utiliser – ceux qu’il voyait pouvoir avoir cette vocation, en même temps qu’il prêchait avec force et clarté la valeur chrétienne du mariage. À la suite de ce travail, l’Opus Dei s’est développée en affirmant, dès le début, la possibilité que des personnes célibataires et mariées en fassent partie, bien que le mode d’appartenance des deux reçoive des configurations différentes, conformément à ce que le droit canonique de l’époque permettait, jusqu’à atteindre la reconnaissance complète que les deux pouvaient être membres de l’Opus Dei de plein droit » (Ocáriz, « La vocation à l’Opus Dei comme vocation dans l’Église », dans OIG, p. 184).

En même temps, il se rendit compte, également dès le début, que le contexte auquel nous avons fait référence précédemment, c’est-à-dire la tendance à unir le célibat uniquement à la condition sacerdotale ou à la vie religieuse, exigeait de mettre en évidence la nature de l’engagement au célibat qu’il promouvait. Plus précisément, la nécessité de souligner que cet engagement au célibat « n’impliquait pas la moindre référence à une consécration ou un renoncement aux activités séculières. Au contraire : il se situe dans un contexte d’affirmation pleine et radicale de la valeur du séculier » (Illanes « Église dans le monde : la sécularité des membres de l’Opus Dei » in OIG, p. 293). Cela présuppose la reconnaissance de la pleine valeur chrétienne des réalités séculières et la conscience que le chrétien ordinaire doit se sanctifier dans et à travers celles-ci. Et cet engagement surgit donc au sein de cette conscience, et à son service, correspondant à l’invitation divine à se sanctifier dans et à travers la vie ordinaire, non seulement avec plénitude de don de soi, mais avec la disponibilité, à la fois factuelle ou matérielle, que le célibat implique, à la diffusion par la parole et par l’exemple de l’appel universel à la sainteté et à l’apostolat au milieu du monde. Le célibat dans l’Opus Dei est séculier et laïc, parce qu’il est assumé pour la sanctification personnelle au milieu du monde et au service d’une mission qui se réfère à cette sanctification.

Dans la même veine d’explication des caractéristiques et de la signification de l’engagement en faveur du célibat dans l’Opus Dei, se trouve l’utilisation (documentée déjà au début des années trente – cf. Casas Rabasa, 2009, pp. 371-411 – bien qu’elle soit peut-être antérieure) de l’expression « célibat apostolique » comprise non seulement dans un sens générique – tout célibat chrétien implique, comme dit précédemment, référence à la mission – mais aussi spécifique. Le célibat des membres de l’Opus Dei n’a pas seulement une dimension apostolique, mais cette dimension le qualifie et le conditionne : sa raison d’être réside dans l’orientation de l’existence à la lumière d’un appel divin qui conduit à montrer avec la totalité de sa propre vie que toutes les situations humaines séculières sont source et occasion de sainteté.

Pour expliquer la réalité de l’esprit et de la vie de l’Opus Dei, saint Josémaria s’est fréquemment tourné vers l’exemple des premiers chrétiens. « Si l'on tient absolument à faire une comparaison pour comprendre l'Opus Dei, - affirmait-il dans un de ses entretiens - le plus simple est de songer à la vie des premiers chrétiens. Ils vivaient à fond leur vocation chrétienne ; ils recherchaient sérieusement la sainteté à laquelle ils étaient appelés par le fait, simple et sublime, du baptême. Ils ne se distinguaient pas extérieurement des autres citoyens. Les membres de l'Opus Dei sont des citoyens ordinaires ; ils accomplissent un travail ordinaire ; ils vivent au milieu du monde, y étant ce qu'ils sont : des citoyens chrétiens qui entendent satisfaire pleinement aux exigences de leur foi » (Entretiens 24). Cette comparaison, faite dans cette interview, dans laquelle il parlait en termes généraux, il l’a répétée à plusieurs reprises au sujet du célibat, faisant allusion à « ces ascètes et ces vierges, qui dédiaient personnellement leur vie au service de l’Église – ils ne s’enfermaient pas dans un couvent : ils restaient au milieu de la rue, parmi leurs égaux » (Instruction,8-XII-1941, n. 81 : AGP, série A.3, 90-1-2).

Comme on l’a dit plus haut, depuis 1928 Saint Josémaria a perçu que l’esprit de l’Opus Dei s’adressait aux personnes de toutes les conditions. La décision de commencer son apostolat en promouvant l’incorporation dans l’Œuvre avec un engagement au célibat, était donc connotée, dès le début, avec l’intention de préparer le moment où les personnes mariées pourraient faire partie de l’Opus Dei. Ce moment arriva dans les années 1948 et 1949, peu de temps après que l’Opus Dei eut reçu, le 24 février 1947, la première approbation pontificale : deux documents du Saint-Siège, et l’approbation définitive ultérieure accordée le 16 juin 1950, l’ont rendu possible. Au cours des années suivantes, l’Opus Dei s’est largement développée, de sorte qu’en 1967, son fondateur a pu prononcer les mots suivants : « Voici ceux qui ont suivi Jésus-Christ — avec moi, qui ne suis qu'un pauvre pécheur — : un tout petit pourcentage de prêtres qui, avant leur ordination, exerçaient une profession ou un métier laïc ; un grand nombre de prêtres séculiers issus de multiples diocèses répartis dans le monde — qui confirment ainsi leur obéissance envers leurs évêques respectifs ainsi que leur amour et leur efficacité dans le travail diocésain — toujours les bras ouverts en croix, pour accueillir les âmes dans leur cœur, et qui vont, comme moi, par la rue et par le monde qu'ils aiment ; la grande foule enfin, composée d'hommes et de femmes — de diverses nations, de diverses langues, de diverses races — qui vivent de leur travail professionnel ; des gens mariés pour la plupart, mais aussi de nombreux célibataires, qui travaillent avec leurs concitoyens à la tâche sérieuse de rendre la société temporelle plus humaine et plus juste ; qui participent à la noble bataille des activités quotidiennes, en assumant — je le répète — leurs responsabilités personnelles et qui connaissent, dans le coude à coude avec les autres hommes, les succès et les échecs en essayant d'accomplir leur devoir et d'exercer leurs droits sociaux et civiques » (Entretiens 119). À l’heure actuelle, un langage similaire pourrait être utilisé, soulignant que le nombre de fidèles de l’Œuvre a augmenté pour atteindre 89 000, la plupart d’entre eux unis par les liens du mariage.

Il faut ajouter que dans l’Opus Dei il n’y a pas seulement des célibataires et des gens mariés, mais que ces deux situations sont, en ce qui concerne la configuration de l’Opus Dei, complémentaires. C’est-à-dire qu’ils contribuent à révéler et à accomplir la mission propre de la Prélature : répandre la conscience de la possibilité de sanctifier toutes les réalités terrestres, et le faire de l’intérieur même de celles-ci, chacun s’efforçant de sanctifier la condition à laquelle Dieu l’a appelé et dans laquelle, à travers les circonstances historiques, Il le place. C’est pourquoi il est connaturel pour l’Opus Dei d’être intégré par des personnes de races et de pays différents, hommes et femmes, célibataires et mariés, jeunes et vieux, professionnels dédiés aux tâches et métiers les plus divers.

Et tout cela en tenant compte d’une affirmation décisive que saint Josémaria a répétée d’innombrables fois : l’unité de la vocation ; le fait que dans l’Opus Dei il n’y ait pas de catégories ou de degrés d’appartenance, car chez tous les fidèles de l’Opus Dei, quelle que soit leur position dans la société, il y a la même réalité spirituelle – l’appel à sanctifier son propre état ou condition – et que chacun a l’entière responsabilité de contribuer à la mission propre à la Prélature. « Tous les membres de l'Opus Dei éprouvent ce même besoin de sainteté et d'apostolat. C'est aussi pourquoi, dans l'Œuvre, il n'y a ni grades ni catégories entre les membres. Ce qu'il y a, c'est une multiplicité de situations personnelles — la situation que chacun occupe dans le monde — auxquelles s'accommode une seule et même vocation spécifique et divine : l'appel à se donner, à s'engager personnellement, en toute liberté et sous sa propre responsabilité, dans l'accomplissement de la volonté de Dieu manifestée à chacun d'entre nous » (Entretiens 62).

En d’autres termes, la grande variété de fidèles chrétiens qui font partie de l’Opus Dei, « reflet de celle qui existe dans tout le Peuple de Dieu, porte en elle une diversité de façons d’être membre de l’Opus Dei ; des modes, cependant, qui ne sont pas des degrés d’appartenance plus ou moins grande à l’Œuvre, ni n’impliquent une diversité de vocation particulière » (Ocáriz, « La vocation à l’Opus Dei comme vocation dans l’Église », dans OIG, p. 179). Par conséquent, il serait erroné de considérer les fidèles mariés de la Prélature comme une catégorie de quasi-membres de l’Opus Dei, dont les célibataires représenteraient la perfection ; tout comme il serait erroné, d’un autre point de vue, de considérer le mariage comme un élément déterminant de la sécularité. Tous, célibataires et mariés, sont également membres de l’Opus Dei et tous sont pleinement laïcs.

On peut donc dire que la façon de penser et de s’exprimer de saint Josémaria « obéissait en tout temps à une approche équivalente à celle que nous appelons habituellement aujourd’hui « ecclésiologie de la communion » : il a toujours parlé, en effet, d’une multiplicité de situations, de fonctions et de tâches, toutes dotées d’une dignité intrinsèque, qui, précisément dans leur diversité, se complètent en contribuant à la perfection et à l’efficacité apostolique de l’ensemble » (Illanes « L’Église dans le monde : la laïcité des membres de l’Opus Dei », dans OIG, p. 292). En bref, « l’appel universel à la sainteté et à l’apostolat, avec tout ce qu’il implique – la reconnaissance de l’ouverture à la même plénitude de la vie chrétienne dans et à travers toutes les situations et conditions humaines – se trouve recueilli dans la configuration structurelle de l’Opus Dei elle-même, permettant à la Prélature de remplir efficacement la mission de l’annoncer et de le diffuser de l’intérieur des réalités temporelles les plus diverses » (ibid.).

Thèmes connexes : Chasteté ; Fidèles de l’Opus Dei ; Mariage.

Bibliographie : Ernst Burkhart - Javier López Vie quotidienne et sainteté dans l’enseignement de saint Josémaria. Étude de théologie spirituelle, Madrid, Rialp, 2010 ; Santiago Casas Rabasa, » Les récits écrits de saint Josémaria sur ses visites à Francisco Moran (1934-1938) », SetD, 3 (2009), pp. 371-411 ; José Luis Gutiérrez, « Le laïc et le célibat apostolique » Ius Canonicum,26 (1986), pp. 209-240 ; José Luis Illanes, « L’Église dans le monde : la laïcité des membres de l’Opus Dei », dans OIG, pp. 289-295 Id. La sanctification du travail. Le travail dans l’histoire de la spiritualité, Madrid, Palabra, 2001 rev y act. ; Mauro Leonardi Come Gesù. L’amicizia e il dono del cellibato apostolico,Milano, Ares, 2011 ; Fernando Ocáriz, » La vocation à l’Opus Dei comme vocation dans l’Église », dans OIG, p. 179-188 ; Álvaro del Portillo, « Célibat », dans GER V, cols. 450-454 (recueilli dans Álvaro del Portillo Rendere amabile la verità. Raccolta di scritti di Mons. Alvaro del Portillo, pastorali, teologici, canonistici, vari, Città del Vaticano, Libreria Editrice Vaticana, 1995, pp. 311-321).

Laurent Touze