AMITIÉ

1. Idée d'amitié. 2. L'amitié entre Dieu et l'homme. 3. L'amitié entre les hommes.

1. Idée d'amitié.
2. L'amitié entre Dieu et l'homme.

3. L'amitié entre les hommes.

L'amitié avec Dieu et l'amitié avec les hommes sont des catégories et des réalités que saint Josémaria a éminemment cultivées dans sa vie et enseignées à vivre. Conformément à la tradition philosophique et théologique, il voyait l'amitié comme le canal approprié pour exprimer l'ouverture aux autres.

1. Idée d'amitié.

    Dans la culture classique, l'amitié est la relation humaine par excellence, car elle fournit les conditions d'une relation libre et pleinement réciproque entre les personnes. Pour cette raison, elle est considérée comme une condition sine qua non pour une vie heureuse. Selon Aristote, l'amitié est la chose la plus nécessaire à la vie ; ainsi, « l'homme heureux a besoin d'amis » (Aristote, Éthique à Nicomaque, IX, 1170 b 15-19). Personne ne voudrait vivre sans amis, même s'il possédait les autres biens, car la prospérité est inutile si l'on est privé de la possibilité de faire le bien, possibilité qui s'exerce sur la base de l’amitié : « le propre de l'ami est de faire le bien » (Ibidem, IX, 1171 b 14-25). Mais, en plus d'être nécessaire, l'amitié est belle ; ceux qui aiment leurs amis sont loués, et on assimile même les hommes bons aux bons amis. Il en résulte que l'amitié requiert la réciprocité ; sans une sorte de réciprocité, l'amitié est impossible. La réciprocité propre de l'amitié parfaite réside dans l'amour. La vertu de l'ami est d'aimer. C'est pourquoi Aristote pense que l'amitié s'accompagne de vertus ; sans elles, elle n'existe pas à proprement parler.

    Dans les Évangiles, Jésus-Christ parle d'amitié et d'expressions d'amitié. Dans ces mêmes Évangiles et dans les Actes des Apôtres, nous trouvons de nombreux exemples de l'amour et de l'amitié avec lesquels les premiers chrétiens se traitaient ; les disciples parlent à leurs amis de Jésus-Christ, la prédication de l'Évangile se fait parmi les amis des premiers chrétiens. À travers les Pères de l'Église, les enseignements sur l'amitié des penseurs grecs et romains sont assumés dans l'idée chrétienne de l'homme et de la société. Mais ce qui constitue une nouveauté, même pour le judaïsme, c'est la relation d'amitié entre Dieu et l'homme, que Jésus-Christ incarne dans sa vie terrestre et à laquelle Il fait participer tous les chrétiens. Les auteurs classiques s'accordent à souligner que la note qui distingue l'amitié des autres formes d'amour est une ressemblance dans la vertu et les qualités des amis. Sans aucun doute, entre Dieu et l'homme, il y a la plus grande dissemblance. Alors comment cet amour d'amitié est-il possible si la distance est incommensurable ?

    La clé se trouve dans les paroles et les actions de Jésus-Christ. Dieu fait Homme, Dieu qui aime avec un cœur humain, Homme qui manifeste l'amour infini de Dieu. Dans l'Évangile de Saint Jean, il y a des affirmations très explicites de Jésus-Christ : « Je vous ai appelés amis » (Jn 15, 15) et se référant à lui-même : « il n'y a pas de plus grand amour que celui de donner sa vie pour ses amis » (Jn 15, 13). Les pleurs à la mort de son ami Lazare, la tristesse devant la désertion du jeune homme riche, le dialogue avec Judas au jardin des oliviers, sont des preuves de l'amitié de Jésus, de l'intimité avec ses amis.

    Le christianisme donne à l'amitié un sens jusque-là inconnu dans la culture juive et gréco-romaine : l'homme est capable d'entrer en relation avec Dieu sur la base de l'amitié. De par sa nature, l'amour d'amitié implique la bienveillance et l'amour mutuel. La vie des saints offre un témoignage clair de la nouveauté de l'expérience de la foi qui va avec le fait de se savoir ami de Dieu.

    Saint Thomas d'Aquin jugeait que l'amitié avait quelque chose de divin : « La charité est l'amitié de l'homme principalement avec Dieu et avec les êtres qui lui appartiennent » (S.Th., II-II, q. 23, a. 1). Dans la mystique espagnole, il existe de magnifiques exemples de cette amitié avec la personne de Dieu-le-Fils. Ils présentent un modèle de relation avec Dieu qui, d'une part, suit fidèlement Jésus-Christ, le seul modèle, et, d'autre part, répond aux aspirations les plus intimes du cœur humain. La littérature mystique révèle des facettes de l'amour qui ont transcendé le domaine de l'expérience religieuse ; ses textes figurent dans des anthologies poétiques. De cette distance et avec cette dissemblance radicale, l'amitié entre Dieu et l'homme inspire des mots qui, jouant avec la contradiction et le paradoxe, parviennent à mieux saisir l'ineffable de l'union amoureuse, plus que ne le font les grands poèmes d'amour.

    Dans cette tradition purement chrétienne - entretenue avant tout par l'expérience des mystiques - se trouve la compréhension et l'expérience de l'amitié chez saint Josémaria. En commentant les Évangiles, il découvre Jésus, modèle de l'ami et de l'amitié sincère. L'amitié – avec la filiation – sont les relations qui encadrent l'ouverture personnelle du chrétien, non seulement envers les autres, mais principalement envers Dieu. Monseigneur Álvaro Del Portillo affirme dans la Présentation de Amis de Dieu : « Enfants de Dieu, Amis de Dieu : c'est la vérité que Monseigneur Escrivá de Balaguer a voulu graver au fer rouge sur ceux qui l'ont fréquenté (…). La filiation et l'amitié sont deux réalités inséparables pour ceux qui aiment Dieu ». Saint Josémaria a fait en sorte de pousser les âmes à ne pas penser « à l'amitié divine seulement « en dernier recours » (AD 247). Le but de la vie chrétienne, affirme-t-il, est « l'union d'amitié avec Dieu » (S 665).

    2. L'amitié entre Dieu et l'homme.

    Pour saint Josémaria, conscient que tout amour vient de Dieu, puisqu'Il nous a aimés le premier (cf. 1 Jn 4, 19), l'amitié de l'homme avec Dieu n'est qu'une réponse à l'initiative de Dieu, à la première amitié qui est celle de Dieu avec l'homme. Comme l'affirme Benoît XVI, aimer Dieu « n'est plus seulement un "commandement", mais la réponse au don d'amour, avec lequel Il vient à notre rencontre » (Deus Caritas est, 1). Mais Dieu n'impose pas son amour ; la réponse à cette initiative de l'amitié divine reste entre les mains de chaque homme, de sa liberté : « ... dans son pouvoir de se résoudre à vivre comme son ami ou comme son ennemi. Ainsi commence le cheminement » (AD 36). C'est avant tout un voyage intérieur, dans lequel l'homme se retrouve en répondant avec amour à Dieu : « L'amour de Dieu pour nous est une question fondamentale pour la vie et pose des questions décisives sur qui est Dieu et qui nous sommes » (Deus Caritas est, 2). Pour saint Josémaria, cette vérité simplifie la vie du chrétien : « Et la principale condition qui nous est demandée, et qui est tout à fait conforme à notre nature, consiste à aimer (...) sans rien garder pour nous. C’est en cela que consiste la sainteté » (AD 6).

    Sans liberté, nous ne pouvons pas aimer, mais « c’est seulement en aimant que nous parvenons à la liberté la plus pleine » (AD 38). La liberté et l'amour se réclament mutuellement, c'est-à-dire que l'amitié entre Dieu et l'homme suppose la condition humaine libre. Pour cette raison, puisqu’on ne peut répondre à l’amour de Dieu qu'avec l'amour, saint Josémaria ne voit aucune contradiction entre la liberté et une réponse inconditionnelle à Dieu. La liberté et l'amour se fécondent mutuellement : « on ne donne sa liberté que par amour » et « la liberté renouvelle l'amour » (AD 31). On peut dire que saint Josémaria fait pleinement confiance à la liberté, car seule la liberté, et non les qualités personnelles, nous rend capable d'amitié avec Dieu. Sans vertus, l'amitié entre les êtres humains n'est pas possible, celui qui aspire à établir une amitié doit grandir en vertus pour le mériter ; dans la relation avec Dieu, c’est l’inverse : Dieu offre son amitié et si l'homme, ouvrant son cœur, l'accueille, il y a un processus de croissance progressive de la vertu.

    Ici aussi, saint Josémaria voit en Jésus-Christ le modèle à suivre. « Nous ne comprendrons jamais assez cette liberté de Jésus-Christ, immense, infinie, comme son amour » (AD 26). Le Christ « s'abandonne à la mort avec la pleine liberté de l'amour » (Chemin de Croix, 10e station). Chez le chrétien qui suit ses traces, l'amitié avec Dieu implique une identification croissante à la volonté divine. Jouant avec le paradoxe, saint Josémaria affirme qu’« il n’est rien de meilleur que de se savoir, par Amour, esclaves de Dieu. Car, dès lors, nous perdons la condition d’esclaves ; nous devenons des amis, des fils » (AD 35). Pour saint Josémaria, l'amitié est le chemin, le seul chemin vers Dieu. Si nous recherchons Jésus, « Nous participerons au bonheur de l’amitié divine » (AD 300). Cela constitue la raison authentique de la vie chrétienne : « Je ne comprends pas comment l'on peut vivre chrétiennement sans ressentir le besoin d'une amitié constante avec Jésus dans la Parole et dans le Pain, dans la prière et dans l'Eucharistie » (QCP154).

    Les Évangiles nous présentent Jésus, le Verbe incarné, Fils de Dieu fait homme, entretenant une relation d'amitié avec les apôtres, avec des disciples comme Lazare, Marthe et Marie, qu'il qualifie clairement d'amis. C'est un thème très fréquent de la prédication de saint Josémaria, qui décompose les différentes manières dont Jésus-Christ nous a donné un exemple de son amitié. Lorsqu'il présente l'Humanité de Jésus-Christ, entre autres caractéristiques, il mentionne l’amitié : « le Verbe de Dieu a (...) travaillé de ses mains, (...) a connu l'amitié et l'obéissance, (...) a éprouvé la douleur » (QCP 112). Il rappelle qu’« Il est Ami ; l'Ami : vos autem dixi amicos, dit-Il. Il nous appelle amis et c'est Lui qui a fait le premier pas ; Il nous a aimés le premier. Cependant, Il n'impose pas son affection ; Il l'offre. Il la montre par le signe le plus clair de l’amitié : personne n'a de plus grand amour que celui qui donne sa vie pour ses amis. Il était l'ami de Lazare, Il a pleuré quand Il l'a vu mort, et Il l’a ressuscité. S'Il nous voit froids, sans désir, peut-être avec la dureté d'une vie intérieure qui s'éteint, son appel nous donnera la vie : je te l'ordonne, mon ami, lève-toi et marche, sors de cette vie étroite qui n'est pas une vie » (QCP 93).

    Saint Josémaria est ému par l'amour d'amitié de Jésus. Il se réfère à l'Eucharistie comme le signe de son amour infini, le signe le plus clair de son amitié (cf. QCP 83). Conscient de la mauvaise réponse que le chrétien peut donner à la preuve d'amitié de Jésus-Christ que suppose l'Eucharistie, il L'appelle, révélant les mouvements de son propre cœur, « le grand Solitaire ». Du Tabernacle, il dit que c'est Béthanie : « Il est vrai que notre tabernacle, je l’appelle toujours Béthanie… — Deviens l’ami des amis du Maître : Lazare, Marthe, Marie. — Après quoi tu ne me demanderas plus pourquoi j’appelle notre tabernacle Béthanie » (C 322).

    La fermeté avec laquelle saint Josémaria affirme : « Il n'y a pas d'autre amour que l’Amour ! » (C 417) a pour conséquence que l'effort de correspondre à l'amitié amoureuse de Dieu manifestée en Jésus-Christ nécessite une relation intime et confiante, qu'il décrit avec des images claires : « le Seigneur ne sera pas un Juge pour nous, mais un ami » (QCP 187). Il se réfère à Dieu comme « l'Ami » (C 422 ; QCP 93) ; Il l'appelle aussi « mon Ami » (F913), « le grand Ami » (C 88), « un grand et bon Ami de l'enfant simple » (F346). Il invite à s'adresser à Jésus-Christ dans la prière, « comme on fait confiance à un frère, à un ami, à un père » (AD 245 ; cf. QCP 116), et ainsi de suite « jusqu’à ce qu'il devienne ton Ami, ton Confident, ton Guide » (S 680). Un ami à qui tout est donné : « Un ami est un trésor. — Mais un Ami ? … Là où est ton trésor, là est ton cœur » (C 421).

    Si on voit la vie chrétienne comme une amitié avec Dieu, il n'est pas surprenant que pour grandir dans la relation avec le Saint-Esprit, saint Josémaria parle de Le fréquenter dans l'amitié. « Une résolution : rechercher, “fréquenter” si possible sans relâche, l’amitié et la relation aimante et docile de l’Esprit Saint. “Veni, Sancte Spiritus… !” Viens, Esprit Saint, demeurer dans mon âme !» (F 514)

    La relation d'amitié convient également pour fréquenter les saints ; Dans Amis de Dieu, parlant de la façon de prier, il propose : « pour suivre les traces de Jésus-Christ, échangez des mots d’amitié avec ceux qui ont vécu à ses côtés » (AD 252). De même, il recommande ce type de relation pour fréquenter les anges gardiens et les âmes du purgatoire (cf. AD 315 ; C 571).

    3. L'amitié entre les hommes.

    Si Jésus-Christ devient homme par amour et veut une amitié avec les hommes, les chrétiens doivent aussi rapprocher les âmes de Jésus-Christ, le rendre présent aux autres par l'amour et l'amitié envers eux : « La charité avec le prochain est une manifestation de l'amour de Dieu » (AD 232). Les deux formes d'amitié, avec Dieu et avec les hommes, reflètent la double dimension de l'amour, ascendant et descendant, que Saint Josémaria présente comme une unité. Comme l'affirme Benoît XVI, l'homme « ne peut pas seulement et toujours donner, il doit aussi recevoir. Celui qui veut donner de l'amour doit à son tour le recevoir en cadeau. Il est vrai - comme le Seigneur nous le dit - que l'homme peut devenir une source d'où jaillissent des fleuves d'eau vive (cf. Jn 7, 37-38). Cependant, pour devenir une telle source, lui-même doit toujours boire à nouveau à la source première et originale qui est Jésus-Christ, du cœur transpercé duquel jaillit l'amour de Dieu » (Deus Caritas est, 7).

    Précisément, l'amour universel de Dieu pour les hommes implique un apostolat également universel : « l'universalité de la charité signifie donc l'universalité de l'apostolat » (AD 230). La certitude que chaque chrétien par le baptême reçoit la condition de fils de Dieu se reflète dans une formule de renouvellement de la mission apostolique de chaque chrétien : « Il n'y a donc qu'une seule race : la race des enfants de Dieu » (QCP 106). L'égalité acquise par le statut d'enfants de Dieu fait également de nous des frères : « Tous les baptisés — hommes et femmes — participent également à la dignité commune, à la liberté et à la responsabilité des enfants de Dieu. Il y a, dans l'Église, une unité radicale et foncière, que saint Paul enseignait déjà » (Entretiens 14). Cette égalité rend singulière la communion de l'Église et, par conséquent, ouvre la voie à une manière de vivre sa mission apostolique dont le point de départ est précisément l'égalité de dignité entre les hommes. Saint Josémaria l'appelle « l'apostolat d'amitié et de confidence ».

    Il présente l'amitié de Jésus-Christ avec les hommes comme modèle de l'apostolat chrétien. Il précise ainsi : « Quand je te parle "d'apostolat d'amitié", je me réfère à une amitié "personnelle", sacrifiée, sincère : être à tu et à toi, parler à cœur ouvert. » (S 191). Les paroles et les actions de Jésus-Christ sont le contenu du message apostolique des premiers chrétiens, de chaque chrétien. L'amitié, en tant que moyen caractéristique de relation avec les autres, place la charité à un niveau d'égalité dans lequel, comme nous l'avons vu, la réciprocité est une exigence inaliénable. Saint Josémaria distingue clairement l'apostolat d'amitié des autres formes de service et de relation dans lesquelles une inégalité est acceptée entre celui qui offre et celui qui reçoit. La charité d'un enfant de Dieu ne se confond pas « avec l’intention quelque peu ambiguë d’aider les autres pour nous prouver à nous-mêmes que nous leur sommes supérieurs » (AD 230). L'apostolat d'amitié tire sa spécificité d’une amitié réelle et vraie.

    En Jésus-Christ, l'amitié se révèle dans sa plénitude avec des conséquences sur l'amitié entre les êtres humains. Jésus-Christ règne en servant, aimant, donnant sa vie pour ses amis ; Il apporte la loi de l'amour, la justice du double commandement qui fait des derniers les premiers et de tous les hommes des enfants de Dieu. Le chrétien doit vivre les relations amicales avec cette même radicalité. Faisant appel à cette forme supérieure de justice, saint Josémaria conseille : « N’aie pas d’ennemis, n’aie que des amis : des amis… à droite — s’ils t’ont fait ou ont voulu te faire du bien — et… à gauche — s’ils t’ont nui ou ont tenté de te nuire » (C 838). Le christianisme donne tout son sens à cette tendance à « faire le bien », typique de l'amitié. « Grâce à ton amitié et à ta doctrine — je corrige : grâce à la charité et au message du Christ — tu pousseras beaucoup de gens qui ne sont pas catholiques à collaborer sérieusement avec toi, pour faire du bien à tous les hommes. » (S 753).

    Saint Josémaria comprend que l'amitié est la chaîne sur laquelle s'amarre un ordre social juste. Seule cette relation laisse place à une véritable justice : « Chez un chrétien, chez un enfant de Dieu, l’amitié et la charité ne font qu’un » (F 565), car la charité chrétienne rassemble et élève toutes les caractéristiques de l'amitié.

    Les exigences de la justice ne sont pas moindres entre amis, mais la vertu de l'amitié est déjà l'exercice d'une forme de justice plus complète que celle présente dans toute autre forme de société humaine. C'est une justice qui reconnaît et apprécie l'autre non seulement pour ses qualités et malgré ses défauts, mais qui exige d'aimer les autres avec leurs défauts (cf. F 954). L'harmonie et l'intelligence qui existent entre amis créent un espace de justice, de compréhension mutuelle et d'aide, où aucune autre loi que celle de l'amour n'est proprement requise. Cette classe supérieure de justice est celle que Jésus-Christ inaugure avec tous ses disciples, c'est celle qui doit régner parmi les chrétiens et dans toute véritable amitié humaine. « Tu te considères comme un ami parce que tu ne dis rien de mal. — C'est vrai ; mais je ne vois pas non plus chez toi une bonne action qui soit un exemple, un service... — Ces amis-là sont les pires de tous ! » (S 740)

    Saint Josémaria prêche la sanctification du monde dans les entrailles mêmes de la société civile. Il sait bien qu'une société se forge, entre autres, à travers des relations amicales. C'est une expérience universelle que l'amitié est capable de dissoudre le scepticisme le plus radical sur la vérité et la justice. Pour saint Josémaria, une amitié sincère et loyale est capable de surmonter tous les obstacles, toutes les difficultés qui empêchent une juste coexistence et, surtout, qui éloignent l'homme de Dieu ; là où il y a une amitié sincère, il y a de la joie, de l'amour, du dévouement, de la fidélité (cf. S 733, 746 ; QCP 49). S'agissant d'une relation naturelle, il encourage cette vie d'amitié précisément en raison de son importance dans la construction d'une société plus digne et plus humaine. En raison de sa centralité, elle constitue le véritable foyer de toutes les relations humaines. « Pour que notre monde suive une orientation chrétienne — la seule qui en vaille la peine —, nous devons vivre avec les hommes dans une amitié loyale, fondée en premier lieu sur une loyale amitié envers Dieu » (F 943). Car pour le chrétien ordinaire, c'est dans la vie sociale que se déploient les vertus humaines et chrétiennes. Saint Josémaria se réfère à cette unité vitale lorsqu'il affirme qu « en vivant la charité — l'Amour —, on vit toutes les vertus humaines et surnaturelles du chrétien, qui forment une unité et qu'on ne saurait réduire à des énumérations exhaustives. La charité exige que l'on vive la justice, la solidarité, la responsabilité familiale et sociale, la pauvreté, la joie, la chasteté, l'amitié… ». Et il conclut : « On voit aussitôt que la pratique de ces vertus porte à l'apostolat. Mieux encore : elle est déjà apostolat » (Entretiens 62).

    Pour saint Josémaria, aucun aspect de l'existence humaine – aussi insignifiant qu'il puisse paraître – n'est indifférent sur le chemin de la rencontre avec Dieu. L'amitié ne peut pas être laissée de côté dans la lutte pour la sainteté ; l'amitié chrétienne est une relation basée sur la vertu et accompagnée de vertus. Il a également enseigné que les vertus humaines sont la base des vertus chrétiennes, que nous ne pouvons aimer Dieu qu'avec le même cœur avec lequel nous aimons les êtres humains et les bonnes choses de ce monde. Saint Josémaria présente l'amitié comme une pièce maîtresse de la formation humaine et de la pratique ascétique chrétienne : une manière de vivre et d'entrer en relation dans laquelle on peut et doit grandir. Parmi les conseils qu'il donne pour améliorer la vie chrétienne, ceux qui concernent l'amitié et l’ascétisme traditionnel apparaissent côte à côte. « Il n'est pas compatible d'aimer Dieu à la perfection et de nous laisser dominer par l'égoïsme, ou par l'apathie, dans nos rapports avec notre prochain » (S 745). La véritable amitié implique également un effort pour comprendre, aider et servir l'ami (cf. S 730,731, 740, 746). Suivant le modèle de l'Ami et comme Lui, il rappelle qu'être ami implique « de donner joyeusement [notre] vie les uns pour les autres aux heures héroïques et dans la vie courante » (S 750).

    Lorsque saint Josémaria énumère les vertus sur lesquelles repose la vie spirituelle, il place l'amitié entre pauvreté, joie et chasteté (cf. Entretiens 62). Pour cette promotion continue de l'amitié, il choisit des mots qui dénotent leur poids particulier dans la pleine existence du chrétien : cultiver, soigner, semer (cf. QCP 36). L'amitié doit être loyale, sincère (cf. F 454 ; S 747 ; QCP 149). L’homme, libre, par sa conduite, peut choisir l’amitié qui croît, mais aussi la perversion due à la déloyauté, au manque de force, etc. L'amitié avec Dieu tout comme avec les hommes peut être perdue et gâchée (cf. F 1043). Saint Josémaria mentionne des vertus qui sont aussi des dimensions de l'amitié. Ainsi, grâce à l’amour et l’amitié réunis, se manifeste l'action unitive de l'être humain tout entier. L’amitié avec Dieu configure pleinement l'existence du chrétien.


    Thèmes connexes : Apostolat ; Exemple, apostolat de l’ ; Fraternité.

    Bibliographie : Chemin 960-982 Sillon 727-768 ARISTOTE L'éthique à Nicomaque, Madrid, Institut d'études politiques, 1970 ; Somme Théologique, II-II, q. 23.

    Lourdes Flamarique