Combat, proximité, mission (11) : « Chez soi et en chemin, couché et levé » : le plan de vie (I)

Le plan de vie spirituelle, plus qu’un « système », est l’engagement dans une relation : celle d’un fils avec son Père. Et cette relation est le cœur de la sainteté. Article de la série « Combat, proximité, mission ».

« Écoute » : ainsi commence l’une des grandes prières de l’Ancien Testament, connue sous le nom de Shéma Israël. Elle est rapportée dans le livre du Deutéronome, et Jésus la cite en réponse à la question sur le premier et le plus grand commandement : « Écoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est l’Unique. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force ». (Dt 6, 4-5 ; Mc 12, 29-30). Mais cette prière ne se limite pas à ce commandement ; elle insiste aussi sur l’importance des actions concrètes quotidiennes, pour garder le cœur et l’esprit en harmonie avec Dieu :

« Ces paroles que je te donne aujourd’hui resteront dans ton cœur. Tu les rediras à tes fils, tu les répéteras sans cesse, à la maison ou en voyage, que tu sois couché ou que tu sois levé ; tu les attacheras à ton poignet comme un signe, elles seront un bandeau sur ton front, tu les inscriras à l’entrée de ta maison et aux portes de ta ville » (Dt 6, 6-9).

Pour un chrétien, il s’agit d’un appel fort à vivre avec un cœur en dialogue constant avec Dieu le Père, le Fils et l’Esprit Saint. Les saints et les auteurs spirituels ont toujours proposé des moyens concrets pour nourrir ce dialogue, comme consacrer du temps à la prière et à la lecture spirituelle, fréquenter l’Eucharistie, prier le chapelet et terminer la journée par un examen de conscience. Avec ce même sens pratique, saint Josémaria a commencé très tôt à parler d’un plan de vie spirituelle, ou plus simplement, comme on avait l’habitude de l’appeler à l’époque, d’un « plan de vie » [1]

Buts, objectifs et processus

Dans une de ses lettres à Timothée, saint Paul encourage son jeune disciple à vivre une vie de piété et de sainteté avec un esprit sportif : « Exerce-toi, au contraire, à la piété. En effet, l’exercice physique n’a qu’une utilité partielle, mais la religion concerne tout, car elle est promesse de vie, de vie présente et de vie future » (1 Tm 4, 7-8). Dans d’autres lettres, il rappelle que Dieu veut que nous collaborions à sa grâce ; et, encore une fois, compare notre réponse à un sport : « Vous savez bien que, dans le stade, tous les coureurs participent à la course, mais un seul reçoit le prix. Alors, vous, courez de manière à l’emporter » (1 Co 9, 24) [2].

Dans le sport, comme dans bien d’autres domaines de la vie, il est important de se fixer des objectifs. Si quelqu’un va à la salle de sport sans but précis et se contente d’essayer ce qui lui vient à l’esprit, il risque de perdre son temps, de s’ennuyer rapidement ou, pire, de se blesser. Il en va de même pour l’apprentissage d’une compétence, l’élaboration d’un projet ou le lancement d’une entreprise. Sans but ni plan, il est facile de se disperser et gaspiller ses efforts. Ainsi, lorsque nous regardons notre vie comme Dieu la regarde, c’est-à-dire avec toutes les petites choses qui la composent, mais aussi dans toute son ampleur et sa profondeur, nous avons également besoin d’un objectif clair : devenir saints, guidés et « inondés » par la grâce [3], et aider beaucoup d’autres à trouver et à goûter la joie de la vie en Dieu.

Cependant, s’il est important d’avoir des objectifs clairs, cela ne suffit pas. Par exemple, pour gagner un championnat, développer une entreprise florissante ou réussir ses études, il ne suffit pas de savoir ce que l’on veut. Les bons résultats exigent non seulement d’avoir une vision claire de ses objectifs, mais aussi d’adopter une bonne stratégie. Pour un entraîneur, par exemple, cette bonne stratégie concerne la manière dont les joueurs sont recrutés et dont les séances d’entraînement sont organisées. Pour un entrepreneur, il s’agit de la stratégie de recrutement, du développement des produits et du déploiement des campagnes de marketing. Pour un étudiant, cela renvoie à la façon de prendre des notes, à suivre un plan de révision et à se préparer aux examens.

Dans la vie spirituelle, avoir un plan de vie concret est un moyen de faciliter (ne serait-ce qu’en éliminant les obstacles) l’action de l’Esprit Saint, qui nous guide et nous transforme [4]. « L’invitation à la sainteté, que Jésus-Christ adresse à tous les hommes sans exception, exige de chacun de nous qu’il cultive la vie intérieure, et qu’il s’exerce quotidiennement aux vertus chrétiennes » [5]. Avoir pour objectif clair de vivre et de grandir dans la sainteté est une condition essentielle pour avancer sur ce chemin. Mais si nous nous concentrons uniquement sur le but, nous risquons de nous décourager rapidement. Face à notre inconstance et à notre faiblesse, nous pourrions facilement devenir impatients avec nous-mêmes, voire avec Dieu, en pensant que nous ne sommes pas assez bons ou que Dieu n’a jamais voulu que nous visions si haut. Saint Paul, par exemple, nous exhorte à prier sans cesse (cf. 1 Th 5, 17). Mais encore faut-il se demander comment rendre cela réaliste et durable. Il serait difficile, voire mauvais pour la santé (physique ou spirituelle), de prier toujours de la même manière, tout comme il serait malsain de se nourrir d’un seul aliment.

Saint Josémaria nous a donc encouragés à être fidèles au plan de vie, conçu comme un « régime spirituel » équilibré et adapté aux gens ordinaires : « Celui qui suit nos normes de vie, celui qui s’efforce de les observer, en temps de santé comme en temps de maladie, dans la jeunesse et dans la vieillesse, au soleil et dans la tempête, quand cela lui est facile comme quand cela lui coûte, ce fils-là est prédestiné, s’il persévère jusqu’à la fin : je suis sûr de sa sainteté » [6].

Cette fidélité n’est cependant pas comparable à l’application de l’étudiant qui obtient de bonnes notes parce qu’il consacre du temps à l’étude. Dans le domaine de la grâce, bien que l’effort personnel compte, les choses sont différentes de celles du monde naturel. La sainteté, la grandeur à laquelle Dieu nous appelle, nous est déjà donnée en abondance comme un don et elle nous est encore offerte comme un don gratuit, en particulier à travers les sacrements. C’est pourquoi, plus qu’une force héroïque, elle requiert beaucoup d’humilité : une pauvreté d’esprit et une profonde gratitude pour tout ce que Dieu nous donne. Il désire entretenir avec nous une intimité toujours plus grande, que nous nous appuyions sur lui avant tout et que nous nous laissions transformer par sa grâce. C’est cet effort pour maintenir un dialogue constant avec un Dieu qui habite déjà en nous, qui est l’essence même de la sainteté. Dans cette perspective, le plan de vie spirituelle n’est pas du tout un système, mais l’engagement, profondément enraciné en nous, d’une relation : celle d’un fils avec son Père. Et cette relation est le cœur même de la sainteté.

Guidés par l’Esprit

L’inévitable effort requis pour suivre un plan de vie comporte certains risques contre lesquels il convient de se prémunir. L’un de ces risques consiste à accorder trop d’attention à l’accomplissement du plan lui-même et pas assez à la relation que ce plan est censé favoriser. En d’autres termes, il peut nous arriver d’oublier que la sainteté personnelle n’est pas le résultat d’une série de choses accomplies, mais bien une transformation que seul l’Esprit Saint peut opérer en chacun de nous : « Dialogue assidûment avec le Saint-Esprit, ce Grand Inconnu : c’est lui qui doit te sanctifier. N’oublie pas que tu es temple de Dieu. — Le Paraclet est au centre de ton âme : écoute-le et suis docilement ses inspirations » [7]

Le rôle de l’Esprit Saint ne se limite pas simplement à nous aider dans nos efforts pour devenir saint, penser ainsi reviendrait à voir les choses à l’envers. Il est le premier moteur, le guide, l’architecte même de notre sainteté [8]. Nous pourrions même dire qu’il est impossible de grandir en sainteté simplement en élaborant un plan. Non seulement parce que l’entreprise est au-dessus de nos forces, mais aussi parce que nous ne savons pas très bien en quoi elle consiste, ni quelle forme elle doit prendre : il arrive qu’au fur et à mesure que nous avançons dans la vie (parfois même dans la journée !), elle finisse par se révéler très différente, bien meilleure et plus belle, que ce que nous avions imaginé au départ. C’est pourquoi s’attacher à une idée trop étroite de « notre sainteté » pourrait même devenir un obstacle à l’œuvre de l’Esprit Saint dans notre âme.

Bien sûr, il existe nombre d’éléments communs dans la vie des saints, car la sainteté est l’œuvre de l’Esprit Saint, qui façonne le Christ en nous et nous conduit vers le Père [9]. En outre, le même Esprit a inspiré divers charismes et spiritualités dans l’Église, offrant des chemins concrets à suivre. Cependant, même une vocation spécifique dans l’Église — qu’il s’agisse de la vocation à l’Opus Dei ou de l’appartenance à toute autre famille spirituelle — n’épuise pas la créativité de l’Esprit Saint, ni n’efface l’unicité de chaque personne. Au contraire, chacun de ces chemins offre les moyens d’épanouir et d’élever ces caractéristiques uniques. C’est pourquoi notre Prélat nous a écrit que « tout comme l’Évangile, l’esprit de l’Œuvre ne se superpose pas à ce que nous sommes ; au contraire, il vivifie notre être : c’est une semence destinée à croître dans le terreau de chacun. » [10]

Saint Josémaria en était bien conscient lorsqu’il a conçu le plan de vie spirituelle pour ses enfants dans l’Opus Dei. Sans minimiser l’importance des pratiques concrètes de piété, il écrivait : « Elles ne doivent pas devenir des normes rigides, tels des compartiments étanches ; elles indiquent un itinéraire souple, adapté à ta condition d’homme qui vit en pleine rue, accomplissant un travail professionnel intense, et ayant des obligations et des relations sociales que tu ne dois pas négliger, car c’est dans ces occupations-là que se poursuit ta rencontre avec Dieu. Ton plan de vie sera comme ce gant élastique qui s’adapte parfaitement à la main qui l’enfile » [11]. Dans le même ordre d’idées, il avait l’habitude de dire que dans l’Œuvre on peut parcourir la route de plusieurs manières. On peut marcher à droite, à gauche, faire des zig-zag, à pieds, à cheval. Il y a cent mille façons de parcourir le chemin divin : selon les circonstances, chacun sera obligé, de suivre l’une ou l’autre selon ce que lui dicte sa conscience. La seule chose nécessaire est de ne pas s’égarer » [12]

Mais précisément parce que notre sainteté est quelque chose de plus beau et de plus personnel que n’importe quel protocole générique, un plan de vie spirituelle demeure précisément un moyen de parvenir à la sainteté. Les moments quotidiens de prière et de lecture spirituelle, la réception fréquente des sacrements, l’accompagnement et la formation spirituels constants — tout cela revêt une grande importance, même si la sainteté ne se limite pas seulement à ces pratiques. Ce sont des moyens qui nous permettent de rester en dialogue constant avec Dieu, de nous familiariser avec sa présence invisible dans notre vie, de l’écouter et d’être prêts à suivre ses inspirations avec docilité ; des moyens qui, en fin de compte, nous conduisent à « demeurer dans son amour » (cf. Jn 15, 9).

La distinction entre ces moyens et la primauté de l’action de l’Esprit Saint doivent également se refléter dans l’accompagnement spirituel que nous recevons et offrons aux autres. En particulier lorsque nous commençons à avancer sur le chemin, nous devons nous efforcer d’acquérir des habitudes solides pour structurer notre plan de vie spirituelle. Mais dès le début, et de plus en plus avec le temps, nous devons également prêter attention à des aspects plus personnels et relationnels : Que me dit l’Esprit Saint ? Ma prière est-elle un véritable dialogue empreint d’amour ? Est-ce que je cherche vraiment le Seigneur ? Où était mon cœur pendant la Sainte Messe ou lorsque je récite le Saint Rosaire ? Ma lecture quotidienne de l’Évangile est-elle une rencontre avec Jésus ? Ma visite au Saint-Sacrement a-t-elle été une visite à quelqu’un que j’aime ? Ai-je essayé de répondre aux inspirations de l’Esprit Saint ?

Plus nous sommes dociles à l’action douce de l’Esprit Saint dans notre cœur, plus nous trouverons la paix et la joie dans la réalisation de notre plan de vie. Pour illustrer cela de manière imagée, nous comprendrons que Dieu veut que nous soyons comme des entraîneurs qui visent haut, mais qui aiment aussi le jeu et aiment leurs joueurs ; comme des entrepreneurs qui se réjouissent dans l’aventure et souhaitent servir les autres et faire prospérer leurs employés ; ou comme des étudiants qui aiment apprendre et découvrir de nouveaux domaines de connaissance. C’est dans cette direction que saint Josémaria a toujours voulu nous guider : « Laisse ton cœur se laisser emporter par la grâce, laisse-le s’envoler ! Car s’il est vrai que le cœur de l’homme est attiré vers les choses basses, il a aussi des ailes pour s’envoler haut, jusqu’au Cœur de Dieu» [13]


[1]. Cf. saint Josémaria, Amis de Dieu, n° 149-153 ; E. Álvarez, « Plan de vie », in Diccionario de San Josemaría Escrivá de Balaguer, Burgos, Monte Carmelo, 2013 (disponible sur opusdei.org/fr/article/plan-de-vida-opus-dei-diccionario-san-josemaria).

[2].Cf. aussi Ph 3, 13-14 ; 2 Tm 4, 7-8.

[3]. « Tu te verras très souvent inondé, ivre de la grâce de Dieu : quel grand péché si tu n’y répondais pas ! » (Saint Josémaria, Forge n° 1007).

[4]. Cf. Rm 8, 14-17 ; 2 Co 3, 18.

[5].Amis de Dieu, n° 3.

[6].Saint Josémaria, Lettre 2, n° 59.

[7]. Saint Josémaria, Chemin, n° 57.

[8].Cf. J. Philippe, À l’école de l’Esprit Saint, Madrid, Rialp, 2017, chap. 1.

[9].Cf. Rm 8, 9-16 ; Ep 2 ,18.

[10]. Mgr F. Ocariz, Lettre pastorale, 9 janvier 2018, n° 11.

[11]Amis de Dieu, n° 149.

[12].Saint Josémaria, Lettre 10, n° 19.

[13].Saint Josémaria, Notes prises lors d’une réunion de famille à Santiago du Chili, 29 juin 1974, cité dans Catéchèse en Amérique (1974), vol II, p. 45 (AGP, bibliothèque, P04).

Oskari Juurikkala