- Le Seigneur est de plus en plus proche
- Jésus commence à faire partie de la famille humaine
« ALLONS AU-DEVANT de celui qui vient » [1]. L’intensité de notre attente grandit jour après jour, heure après heure, notre cœur étant très attentif à l’arrivée de l’Emmanuel. L’évangile d’aujourd’hui nous montre la longue chaîne des générations qui ont attendu le Messie : d’Abraham à David et jusqu’à saint Joseph. Nous, nous sommes nés bien plus tard mais nous n’en sommes pas moins les héritiers de la même promesse. Il n’est pas facile d’imaginer les sentiments de tant de générations du peuple juif qui attendaient le Messie promis. La liturgie nous en offre un échantillon, en évoquant l’intensité d’une joyeuse explosion à la pensée de l’arrivée imminente de Jésus : « Cieux, criez de joie ! Terre, exulte ! » (Is 49, 13)
Abraham est le premier maillon de cette longue chaîne, le premier d’une famille qui durera à tout jamais. Il a fait confiance au Seigneur dont la promesse s’est accomplie : « Regarde le ciel, et compte les étoiles, si tu le peux… » (Gn 15, 5). Dieu s’est servi de sa fidélité et de celle de tant d’autres pour nous envoyer son Fils et rendre de nouveau possible son intimité avec les hommes. Notre dignité a été restaurée et élevée à un degré inimaginable. « Ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas venu à l’esprit de l’homme, ce que Dieu a préparé pour ceux dont il est aimé » (1 Co 2, 9). Notre âme se remplit de joie en nous sachant sauvés, rachetés et guéris : « C’est pourquoi, avec les anges et tous les saints, nous proclamons ta gloire, en chantant d’une seule voix : Saint ! » [2]
Il se peut que notre chant ne sonne pas toujours juste, mais l’Esprit Saint nous enveloppe de « gémissements inexprimables » (Rm 8, 26). Nous constatons jour après jour combien nous aimerions répondre à Dieu avec une mesure équivalente. Aucune phrase ne peut exprimer le désir divin de nous rencontrer, pas plus que son insistance : quatorze générations d’Abraham à David, quatorze jusqu’à la déportation à Babylone et encore quatorze jusqu’au Christ (cf. Mt 1, 17). Le cri divin pour nous porter secours arrive sans tarder : « N’aie pas peur. C’est Dieu lui-même qui se réjouira et rendra grâce à votre place ».
NOUS POSSÉDONS tous notre arbre généalogique. Jésus-Christ a voulu avoir le sien. En Marie, sa Mère, Dieu en personne croise le chemin des hommes et s’unit pour toujours avec nous. Il assume la nécessité d’espérer, que l’humanité tout entière éprouve de tout temps. Par l’Incarnation, Dieu ne rejette rien de ce qui est humain mais se charge de l’histoire de chaque personne, pour offrir à tous une place dans la vie éternelle. Le Créateur du ciel et de la terre a voulu appartenir à la famille humaine.
« Dans l’étable de Bethléem, le ciel et la terre se rejoignent. […] Le ciel n’appartient pas à la géographie de l’espace, mais à la géographie du cœur. Et le cœur de Dieu, dans cette Nuit très sainte, s’est penché jusque dans l’étable : l’humilité de Dieu est le ciel. Et si nous entrons dans cette humilité, alors, nous toucherons le ciel. Alors, la terre aussi deviendra nouvelle » [3]. Combien de fois n’avons-nous pas pensé que Dieu ne peut se trouver là où il y a faiblesse, fragilité ou médiocrité. Si nous ne nous contentons pas du péché mais nous sommes attirés par les vrais bien de la vie, alors l’humilité de Dieu ne rejette pas la mangeoire de notre cœur ; il apporte le ciel à notre vie ordinaire, à notre maison, à chaque instant.
Cette longue liste de noms a suscité à travers plusieurs générations un désir que seule l’arrivée du nouveau-né de Bethléem a pu apaiser. Probablement, certains n’ont pas très bien compris l’objet de cette attente. D’autres, confus, ont cherché des idoles apparemment plus proches et accessibles. Le même désir de salut bat de nos jours chez tout le monde, même si la plupart n’arrivent pas à l’exprimer ou à le comprendre clairement. Nous, nous avons la chance de bien connaître la bonne nouvelle de Noël, nous attendons Jésus et nous aimerions bien qu’il parvienne jusqu’au cœur qui en a le plus besoin, au dernier recoin de la terre.
« NOUS TE BÉNISSONS, Seigneur Dieu Très-Haut, qui t’es abaissé pour nous. Tu es immense, et tu t’es fait petit ; tu es riche, et tu t’es fait pauvre ; tu es le tout-puissant, et tu t’es fait faible » [4]. Il arrive parfois que nous faisons exactement le contraire de ce mouvement divin : nous nous estimons grands et puissants. Saint Augustin le savait bien qui a écrit : « Toi, un homme, tu voulais être Dieu et tu as péri. Lui, Dieu, voulait être un homme et il t’a sauvé. L’orgueil humain était si fort qu’il avait besoin de l’humilité divine pour être guéri ! » [5]
Le Christ nous élève sur ses épaules jusqu’au ciel. L’orgueil accorde une gloire fort éphémère ; elle ne dure qu’à peine quelques minutes et passe aussitôt la facture. Elle a vite fait de nous perturber et de nous inquiéter. Elle a constamment besoin de nouveaux motifs pour dépasser les autres. Elle n’accorde jamais la paix ni ne rassasie. Saint Josémaria était conscient de cette faiblesse : « Je connais un petit âne d’une si mauvaise condition que, s’il s’était trouvé à Bethléem tout près du bœuf, au lieu d’adorer, tout soumis, le Créateur, il aurait mangé la paille de la mangeoire… » [6]
En revanche, l’amour de Dieu est capable de combler notre cœur comme nul ne l’a jamais fait jusqu’à présent. En évoquant son affection, nous resterons toujours bien en-deçà de la réalité. Ce que nous ne savons pas sur son immense amour est bien plus important que ce que nous parvenons à comprendre sur lui. Sainte Marie qui, comme la préface de la messe d’aujourd’hui le dit, « l’attendait avec amour », nous dévoilera dans l’intimité de notre prière ces secrets qu’elle connaît de première main. Une mère sait toujours, par un geste ou un câlin, expliquer ce que les mots ont du mal à exprimer.
[1] Liturgie des Heures, antienne Invitatoire, 17 décembre.
[2] Préface de l’Avent II.
[3] Benoît XVI, Homélie, 24 décembre 2007.
[4] Pape François, Homélie, 24 décembre 2013.
[5] Saint Augustin, Sermon 183.
[6] Saint Josémaria, Notes intimes, n° 181 (25 mars 1931).