Nous gardons tous en nous, comme quelque chose d'intime et de familier, quelques souvenirs indélébiles. Même si le temps passe et que nous n'y pensons pas, ils sont là et ressurgissent au moment le plus inattendu. Peut-être avons-nous la chance de trouver parmi ces souvenirs des moments de confidences d'une mère, d'un frère ou d'une sœur, d'une grand-mère, qui ont partagé avec nous une partie de leur propre trésor. Peut-être est-ce la scène de la première fois que, dans notre souvenir, nous nous sommes adressés à Dieu avec les mots qu'ils nous avaient prêtés. Ou peut-être était-ce des années plus tard, lorsqu'un ami, ou une circonstance fortuite, a ouvert la porte à un dialogue intime avec Dieu.
Quel que soit ce moment, n'avons-nous pas été surpris de prendre conscience, pour la première fois, qu'il était possible de parler personnellement à Dieu et, plus encore, de l'écouter ? Nous pensions sans doute à l'époque qu'une relation étroite et personnelle avec Dieu était réservée à des VIP, à des personnes d'une catégorie spéciale au sein de l'Église, même si l'on nous disait le contraire... peut-être le pensons-nous encore. Mais cette possibilité nous a attirés, sachant qu'il ne peut y avoir d'amitié semblable à la sienne, qu'il est le premier intéressé à maintenir cette relation et que seul Dieu peut combler l'aspiration de notre cœur à la plénitude.
L’Évangile nous dit que les apôtres, peut-être attirés par la manière de prier de leur maître, demandèrent une fois à Jésus : « apprends-nous à prier »[1]. On imagine facilement qu'en entendant le Notre Père pour la première fois, ils ont été enthousiasmés à l'idée de s'adresser à Dieu leur Père avec une telle confiance, alors qu'ils ne s'étaient pas jugés dignes de prononcer son nom auparavant en raison de la profonde révérence que les bons juifs avaient pour Dieu.
Partager la vie avec le Christ
Des siècles plus tard, au début de l'Œuvre, saint Josémaria a également brisé des schémas existants en rappelant, avec l'Évangile, l'appel à la vie contemplative à travers la vie ordinaire. Il ouvrait ainsi des horizons à ceux qui s'approchaient de son apostolat, remplissant d’enthousiasme les premiers de saint Raphaël en les invitant à être des âmes de prière : Sur cette Histoire de Jésus que je t’ai offerte, j’ai écrit en dédicace : « Cherche le Christ, trouve le Christ, aime le Christ. » Ce sont trois étapes très distinctes. As-tu essayé, au moins, de vivre la première ?[2] Beaucoup ont suivi cette invitation, parcourant le chemin de leur vie chrétienne au milieu du monde en essayant de rester toujours en dialogue avec le Seigneur.
Depuis lors, comme beaucoup de gens, nous nous sommes approchés de l'esprit de l'Œuvre, attirés par ce message, désireux de donner à chaque instant de notre vie son sens le plus complet, en le vivant avec Dieu. Des personnes de tous les horizons, avec un profond désir de vivre une vie pleine et authentique, souvent depuis leur jeunesse[3], viennent chercher dans les moyens de formation chrétienne offerts par l'Œuvre un guide et une nourriture pour leur vie intérieure. « En faisant le meilleur profit des moyens de l'Œuvre Saint-Raphaël, ils reçoivent une solide formation doctrinale, ils apprennent à être des âmes de prière, à vivre en présence de Dieu au milieu des tâches quotidiennes ordinaires, à donner un sens chrétien à leur travail – intellectuel ou manuel – et à avoir un esprit de sacrifice »[4].
Ainsi, tout au long de la journée, nous essayons de partager avec le Seigneur ce qui s’offre à nous, nos occupations, nos projets et nos préoccupations, en lui offrant ce que nous avons et en lui demandant d'éclairer nos actions de son inspiration et de son aide[5], afin d'être en même temps des témoins de la lumière du Christ dans notre entourage. Nous essayons d'être conscients que Dieu veille toujours sur nous et de répondre à son amour en le remerciant plusieurs fois par jour, en lui demandant pardon lorsque nous l'avons oublié ou que nous avons oublié qui nous sommes pour Lui, cultivant ainsi la présence de Dieu.
Un vrai dialogue
Cependant, comme Jésus-Christ lui-même se retirait si souvent seul pour parler avec Dieu son Père, nous aussi avons besoin de « quelques moments que nous consacrons chaque jour exclusivement à la conversation avec Dieu ; dialogue sans bruit de paroles, près du Tabernacle chaque fois que possible, pour remercier le Seigneur – il est si seul ! – de cette attente de vingt siècles »[6]. Lors de ces moments de quiétude notre amitié avec Jésus-Christ se déploie et grandit, au fil d'une simple conversation. Là, nous lui ouvrons grand nos âmes, sans crainte, sachant que nous sommes devant celui qui nous aime le plus et le mieux, et conscients qu'il est déjà en nous pour nous encourager, nous éclairer et nous infuser sa grâce à tout moment. Dans ces temps de prière, nous pouvons faire l'expérience de cette proximité de Jésus-Christ et découvrir que c'est Lui-même qui cherche à remplir de plus en plus notre cœur, à y déverser tout son amour, à l’élargir et à y faire entrer de nombreuses personnes.
Malheureusement, nous savons qu'il n'est pas facile de prier. Que nous soyons au début du voyage ou que nous ayons déjà parcouru une certaine distance, nous avons toujours le désir d’apprendre à prier. Il peut nous être utile de nous arrêter et de réfléchir à la manière dont nous le faisons, ou à ce que nous aimerions que soient ces conversations d'amitié avec Lui.
Un bon point de départ pourrait être de réfléchir à un sujet qui occupe actuellement notre cœur. C'est ainsi que nous parlons de notre vie : ce qui nous enthousiasme, ce qui nous préoccupe, ce que nous avons entre nos mains. Il peut arriver que nous ayons quelque chose qui nous ronge de l'intérieur et que, d'un autre côté, nous Lui parlions « d'oiseaux et de fleurs », peut-être parce que nous manquons de confiance dans le fait que Dieu se soucie vraiment de nous, ou parce que nous avons peur d'affronter la complexité de notre propre vie. Il se peut que nous ne sachions pas comment dialoguer avec le Seigneur sur ces sujets ou sur d'autres. Il peut nous être utile de considérer que Dieu est toujours à nos côtés et qu'Il se soucie toujours de nous. C'est pourquoi nous pouvons Lui dire simplement : « Seigneur, voici ce qui me préoccupe, que faire ? Où es-tu toi ? » Ou bien Lui raconter ce que nous avons vécu, les petites difficultés que nous avons rencontrées et comment nous les avons surmontées, en Lui demandant en même temps ce qu'Il nous dit de tout cela ou de ce qui nous attend, en essayant de voir tout cela avec le regard de Dieu ?
Le Seigneur nous parle à travers l'Écriture Sainte, à travers les enseignements des pasteurs de l'Église et des saints, mais aussi à travers les événements de chaque jour. C'est pourquoi, à chaque moment de prière, il est important que nous soyons attentifs, ouverts à l'écoute de Dieu et à la compréhension de son action dans notre vie, prêts à la "compliquer" en réfléchissant à la manière d'affronter la réalité d'une manière plus chrétienne, selon notre propre identité d'enfants de Dieu. Dans l'Évangile, le Seigneur nous invite à être audacieux et courageux, et la prière est un bon endroit pour commencer cette transformation de l'esprit et des sens. C'est pourquoi nous parlons du "combat de la prière" (Catéchisme de l'Église Catholique, no 2726) parce que dans ces moments-là – avec la grâce de Dieu – nous pouvons oser écouter, découvrir et entrer plus profondément dans le cœur de Dieu. Et nous y trouverons ses attentes pour nous et avec nous, et non pas de manière théorique ou abstraite, mais de manière réelle, en nous engageant avec Lui à lutter sur un point concret que nous savons devoir changer, quelque chose de petit qu'Il attend que nous lui donnions ou dont nous savons que cela nous fera du bien, à nous ou à nos proches. Car nous savons qu'en tant que Père Il nous accompagne, nous donne sa force et nous regarde avec compréhension et affection.
Cela peut nous aider de regarder l'exemple de notre Mère quand l'Évangile dit qu'elle « retenait tous ces évènements et les méditait dans son cœur »[7]. Il nous y est dit qu'elle avait l'habitude de se demander ce que signifiaient les choses qui lui arrivaient, comment elles pouvaient la rapprocher de Dieu, et aussi ce qu'Il lui demandait à travers les circonstances dans lesquelles elle se trouvait. Nous pouvons donc apprendre d'elle à cultiver cette disposition habituelle à écouter, à découvrir le sens des choses, à collaborer aux plans de Dieu, et tout cela avec une écoute active et un désir profond de saisir toutes les occasions d'aimer, de dire oui à Dieu avec confiance.
Le temps de l'écoute de Dieu
C’est une évidence qu'il est parfois facile de percevoir la présence de Dieu, par exemple lors d'une expérience très positive ou dans des moments de méditation. Mais, à d'autres moments, il peut être difficile d'écouter Dieu. Que faire alors ? Une première question est de se demander pourquoi nous avons du mal à L'écouter dans ces moments-là. Car il est possible que, pour d'innombrables raisons comme l’agitation, une accumulation de tâches, une certaine insouciance, etc., nous manquions de la disposition convenable pour interpeler le Seigneur. Cet état intérieur peut même se refléter dans nos relations avec les autres, avec également une difficulté à écouter. C'est pourquoi nous pouvons nous demander : comment est-ce que j'essaie d'écouter régulièrement mes proches ? Ne serais-je pas en train de prétendre écouter Dieu alors que je ne suis même pas vraiment capable d'écouter les autres ? Le Pape Léon nous conseille : « Et je pense qu’il est important que nous apprenions tous toujours plus à écouter, pour entrer en dialogue. Avant tout avec le Seigneur : écouter toujours la Parole de Dieu. Puis écouter aussi les autres, savoir construire des ponts, savoir écouter pour ne pas juger, ne pas fermer les portes en pensant que nous possédons toute la vérité et que personne d’autre ne peut rien nous dire »[8]. C'est une bonne façon d'habituer notre oreille à l'écoute : pour éviter de nous refermer sur nous-mêmes et sur nos idées, pour éviter de céder à un bruit intérieur excessif dû à l'hyperactivité dans laquelle nous vivons, ou à la saturation d'inputs que nous recevons quotidiennement par le biais des réseaux sociaux, de la musique, des jeux, etc. En ce sens, si nous aspirons à une vie de prière, il est nécessaire d'éduquer et d’entraîner nos sens internes et externes pour les éveiller et nous laisser conduire à l'union avec Dieu. Cultiver le silence intérieur par de bonnes lectures (spirituelles et littéraires), contempler la nature, découvrir la beauté dans les petites choses et ne pas chercher à remplir tout notre temps par de l’activisme, tout cela y contribue aussi. L'Esprit Saint habite en nous et nous devons donc découvrir les moyens de recevoir ses inspirations dans l'espace intérieur de notre âme et d'écouter ainsi la voix de Dieu.
Supposons que nous mettions déjà en place ces moyens... Comment pouvons-nous maintenant écouter ce que Dieu veut nous dire ? Si Dieu parle comme il veut et quand il veut, pour notre part nous pouvons nous tourner vers une ressource essentielle : la Parole de Dieu ! C'est un moyen privilégié de connaître la volonté de Dieu. Recourir au témoignage qu'Il a laissé en notre faveur par l'intermédiaire des évangélistes est le principal enseignement de l'Église, car « qu'est-ce que l'Écriture Sainte, sinon une lettre du Dieu tout-puissant à sa créature ? »[9]. Il n'y a pas de meilleur guide pour la prière et pour la vie que la Vie de Jésus-Christ. « En ouvrant le saint Évangile, conseillait saint Josémaria, songe que ce qui est rapporté là (…) tu ne dois pas seulement le savoir, mais le vivre. Tout, chacun des points relatés, a été recueilli dans le moindre détail, pour que tu l’incarnes dans les circonstances concrètes de ton existence (…) Dans ce texte saint, tu découvriras la Vie de Jésus. Mais en outre tu dois y découvrir aussi ta propre vie »[10]. Si nous allons à la prière avec le désir de cultiver notre amitié avec Jésus-Christ, rien ne nous aidera autant à Le connaître et à Le côtoyer, à nous identifier à Lui, que la lecture et la méditation de l'Évangile.
Bien sûr, selon notre état d’âme, il conviendra de changer notre façon de prier si nous la trouvons difficile, monotone, quand nous avons plus de mal à faire appel à notre imagination ou à faire entrer dans notre prière les bruits intérieurs que nous pouvons avoir. Parfois, il nous sera utile de rester dans une attitude d'adoration, de le remercier pour tant de choses, de lire un article ou un livre de spiritualité sur un sujet qui nous intéresse, de savourer une prière vocale comme le Notre Père, de Le prier pour ce qui nous préoccupe ou pour ce dont nous avons besoin, ou simplement d'être seuls avec celui dont nous savons qu'il nous aime[11] en regardant le Tabernacle – qu’Il nous voie le chercher –, lui montrant ainsi combien nous l'aimons, et que nous ne l'abandonnons pas à la première difficulté. En tout cas, le Seigneur nous invite à ne pas stagner, à ne pas nous conformer, car Il veut augmenter notre intimité avec Lui ; c'est pourquoi la prière est appelée à être quelque chose de vivant.
C'est précisément dans l'œuvre de saint Raphaël que nous avons un moyen de nous apprendre à être des âmes de prière : les méditations. Ces temps de prière accompagnés par la prédication d'un prêtre, auxquels nous pouvons assister chaque semaine, peuvent guider notre prière personnelle, nous ouvrir des horizons, nous apprendre à entrer dans les scènes de l'Évangile, etc.…, même s’ils ne remplaceront jamais l'effort que nous devons faire nous-mêmes, car la prière est en définitive un face à face dans le silence de notre âme.
La prière, un besoin vital
Dans tous les moyens de formation qui existent dans l'Œuvre, la prière personnelle est la clé pour que pénètre dans notre âme tout ce que nous recevons : c'est là que nous prenons le temps de parler au Seigneur de ce que nous avons entendu pendant le cercle afin de l'appliquer à notre vie. C'est là que nous préparons nos entretiens de direction spirituelle et que nous revenons pour faire nôtres les conseils qui nous ont été donnés. C'est là que s'enflamme notre désir de répondre aux attentes du Seigneur en étant plus généreux dans les collectes, en donnant de notre temps pour visiter les pauvres ou pour la catéchèse. C'est là que s'enflamme notre désir de rapprocher d'autres personnes de Lui, etc.
Peu à peu, la prière devient ainsi une nécessité vitale, expression de l'amitié avec Jésus-Christ, au point de se rendre compte que, lorsque nous l'abandonnons, tout le reste échoue. Car c'est dans la prière que se renouvelle la mission que le Seigneur nous a confiée, et c'est pourquoi elle est le moteur de notre vie. Lorsque nous nous laissons guider par Lui, Il nous aide à grandir jusqu'à ce que nous devenions « une lettre du Christ » (2 Co 3,3) pour les uns et les autres. Comme le dit le Pape Léon : « Et il en est ainsi : nous sommes d’autant plus capables d’annoncer l’Évangile que nous nous laissons conquérir et transformer, en permettant à la puissance de l’Esprit de nous purifier au plus profond de nous-mêmes, de rendre nos paroles simples, nos désirs honnêtes et limpides, nos actions généreuses »[12].
[1] Cf. Lc 11, 1.
[2] Saint Josémaria, Chemin, 382.
[3] Pape François, Audience générale, 13.06.2018.
[4] Saint Josémaria, Lettres II, Lettre no 7, n° 5.
[5] Prière traditionnelle incluse dans la collecte de la Messe du jeudi après les Cendres ; saint Josémaria l'a intégrée dans les prières de l'Œuvre.
[6] Saint Josémaria, Quand le Christ passe, 119.
[7] Lc 2, 19.
[8] Léon XIV, Homélie, 11.05.2025.
[9] Grégoire le Grand, Lettre à Théodore, médecin de l'empereur, Ep. V, 46 (CCL 140, 339).
[10] Saint Josémaria, Forge, 754.
[11] Cf. Sainte Thérèse d’Avila.
[12] Léon XIV, Homélie lors de la célébration de l'Eucharistie et de l'installation dans la chaire romaine comme évêque de Rome, 25.05.2025.