L’Épouse aux cinquante sourires

L'Ave Maria de l'Annonciation a illuminé toute la vie de la Sainte Vierge. Comment les "Je vous salue Marie" répétés par les chrétiens au long des âges ne susciteraient-ils pas le sourire de notre Mère, le sourire de la Nouvelle Alliance ?

"La Vierge retrouvée" de Saint Germain des Prés (Paris)
Vierge à l’Enfant, trumeau du portail de l’église Notre-Dame, Marle (Aisne, vers 1230).

Dans l’apogée du gothique français, les sculpteurs picards ont réussi à représenter la Vierge souriante ; à cette époque aussi, a été ciselé à Reims « l’ange au sourire », qui apporte la joie de la Nouvelle Alliance.

« Ce sourire de Marie est pour tous » (Benoît XVI)

Dans le faste des noces royales, le psalmiste s’arrête sur le visage de la souveraine : « Les plus riches quêteront ton sourire » (Psaume 44, 13). Nobles et humbles, mais tous riches en amour, aspirent à sa présence.« Ce sourire de Marie est pour tous » (Benoît XVI, homélie à Lourdes, 15/09/2008) : il exprime un soutien médiateur de salut, une proximité sans faille. L’Épouse du Saint-Esprit se réjouit de nous offrir le Sauveur.

Tel geste, qui reflète la tendresse de Dieu, nourrit un lien filial. Le chrétien, dans ses prières mariales, cherche à provoquer le sourire plaisant de la Mère ; le Je vous salue, Marie, martelé dans le chapelet, fait partie des sésames de la vénération cordiale.

Pour le jeune roi, qui accède au trône, les noces étaient déjà prévues. La future mariée apporte sa prestance, la renommée du lignage et une dot généreuse fournie par son père. Sous la mousseline qui caresse ses épaules, on aperçoit un visage charmant de fraîcheur, sans besoin de maquillage, encadré par les boucles noirs de jais qui caracolent sur la neige du cou. Seuls les lèvres de feu semblent attendre la rencontre avec l’époux : « Qu’il m’embrasse avec le baiser de sa bouche » (Cantique 1, 1).

Pour l’âme fidèle, le baiser du Christ est son inspiration qui nous transforme en lui (Grégoire le Grand, Commentaire au Cantique, chap. 1). Très tôt, la tradition chrétienne avait vu aussi le parallèle entre le désir de tendresse et la soif de rédemption. « Le Père de l’époux exauce le désir de l’épouse et lui envoie son Fils » (Origène, Homélies sur le Cantique 1 §2). L’épouse figure l’humanité esseulée qui recevra le « baiser » sauveur.

Bible de Saint Louis (Paris, 1235), t. 2, f. 66 ; © Moleiro 2002).

La Bible de Saint Louis s’en fait l’écho : « Le genre humain, séparé de Dieu par le péché, désire être réconcilié avec Dieu le Père par l’incarnation du Fils ». Le médaillon attenant présente, en haut, entre deux anges, Dieu le Père qui montre le Fils, plus petit et portant le livre de la révélation, aux Juifs et aux païens qui l’attendent empressés.

Aux noces royales, parmi les invités, on compte des personnalités bien en vue dans les milieux princiers, dans l’armée ou les affaires, des chefs de clan, des savants réputés. Tous se pressent pour regarder le cortège nuptial qui rentre au palais ; les grands seigneurs ont apporté des cadeaux de marque, destinés à la nouvelle reine : des pierreries exotiques, des vases émaillés, des étoles de Phénicie empourprées, des étoffes damassées... Au son des instruments, des chœurs et des danses, l’épouse brille davantage que ses vêtements étincelants d’or, de perles et d’ivoire. En présentant le cadeau, chacun regarde le visage royal qui, ravi, répond par un geste reconnaissant ; peut-être qu’elle s’attarde davantage avec certains, qui ont mieux deviné ses goûts ou ses besoins. Un grand sourire de la reine est toujours la meilleur récompense pour l’invité.

Chacun de nos petits Ave rejoint le prélude de Gabriel

Ambassadeur de la Nouvelle Alliance, Gabriel s’incline en saluant la jeune Vierge, qu’il trouva « supérieure à lui en tout » : en dignité, en sagesse, en sainteté (Saint Thomas, Sermon sur l’Ave, Maria, §1). La « salutation angélique » est un présent divin à l’Épouse, à la Mère, qui comble son attente, en évoquant la réjouissance de Dieu. Chacun de nos petits Ave rejoint le prélude de Gabriel enrichi avec les harmoniques des prophètes : « Réjouis-toi, fille de Sion ! » (Sophonie 3, 14), « j’habiterai auprès de toi » (Zacharie 2, 14).

Le seul Ave de l’archange a secoué, caressé et éclairé la Vierge de Nazareth ; les nôtres, répétés, éveillent le tressaillement de l’Annonciation dans l’excellente mémoire de Marie (Luc 2, 19) : un plaisir inénarrable, qu’elle remercie vivement. L’Ave marial nous conduit vers le Fruit bénit de ses entrailles, pour le contempler et l’incorporer à la vie. L’ave des combattants païens, adressé à l’empereur, poussait à l’effort ; l’Ave des enfants de Dieu soutient la lutte.

Jean Courtois (vers 1640), retable du rosaire, église Saint Léger des Terres-de-Chaux (Doubs).

Cette expérience filiale est irremplaçable : « Personne ne le fera pour toi aussi bien que toi » (Saint Josémaria, Amis de Dieu §293). Dans un ostinato généreux, le chrétien égrène cinquante Ave dans son chapelet : il aura bien le droit à autant de sourires.

Abbé Fernandez