Exemple de foi (6) : En parcourant le chemin de la foi

L'apôtre Pierre est un exemple de disciple du Christ qui demande, doute, se bat et obtient la foi.

Nous avons considéré récemment comment la Très Sainte Vierge est un modèle de foi pour tous les chrétiens, car son existence a toujours été orientée vers Dieu et l’accomplissement de sa Volonté. En plus, « conservant chaque souvenir dans son cœur (cf. Lc 2, 19.51), elle les transmit aux Douze réunis avec elle au Cénacle pour recevoir l’Esprit Saint (cf. Ac 1, 14 ; 2, 1-4) » [1]. Encouragés par l’exemple et la proximité de la Vierge Marie, les apôtres ont su rendre un témoignage courageux et fructueux de leur foi, en diffusant l’Évangile dans le monde entier.

Cependant, avant ce moment, les apôtres ont dû parcourir un long chemin et mûrir dans leur foi. Tandis qu’ils ont accompagné le Seigneur sur cette terre, leur générosité — ils avaient tout quitté pour suivre Jésus — était compatible avec une foi faible ou parfois excessivement humaine, comme le Seigneur lui-même leur en fit le reproche à plusieurs reprises [2]. Portons maintenant notre regard sur les apôtres et, en particulier, sur saint Pierre, tête du collège apostolique, pour l’accompagner sur son chemin vers la maturité de la foi. Ce sera une nouvelle occasion d’accueillir l’invitation à « une conversion authentique et renouvelée au Seigneur, unique Sauveur du monde » [3].

Le chemin de la foi

Nous lisons dans l’Évangile qu’après la multiplication des pains, le Seigneur ordonne aux apôtres de le devancer sur l’autre rive, pendant qu’il renverrait les foules [4]. Les apôtres montent dans une barque et commencent à traverser la mer de Tibériade, laissant derrière le Seigneur en prière. Le récit évangélique emphatise sur cette séparation entre Jésus et les disciples : La barque, elle, se trouvait déjà éloignée de la terre de plusieurs stades, harcelée par les vagues, car le vent était contraire [5].

Il n’est pas difficile d’imaginer les sentiments confus du cœur des apôtres. Ils venaient d’assister à un grand prodige : donner à manger à plus de cinq mille personnes avec seulement cinq pains et deux poissons. D’autant que le miracle s’était réalisé par leurs mains, alors qu’ils distribuaient le peu de nourriture qu’ils avaient. Il leur avait suffit d’obéir à Jésus. Or, la joie et l’euphorie qui avaient suivi l’événement s’étaient évanouies. Quelques heures plus tard à peine, les apôtres se retrouvent sans Jésus et aux prises avec une tempête.

Jésus est apparemment loin. Commentant ce passage, saint Jean Chrysostome relève qu’en leur demandant de le devancer, Jésus veut que « ses disciples le désirent plus ardemment et que ce péril demeure mieux imprimé dans leur mémoire » [6]. Il veut leur faire comprendre que l’éloignement physique n’est qu’apparent puisqu’il veut toujours être près de ses disciple et qu’il le peut. C’est pourquoi à la quatrième veille de la nuit, il vint vers eux en marchant sur la mer [7]. Comment était-ce possible ? « Qui peut marcher sur la mer si ce n’est le créateur de l’univers ? Celui dont l’Esprit Saint avait jadis prédit par la bouche du bienheureux Job : “Lui seul a déployé les Cieux et foulé le dos de la Mer”. [8] » Ceux qui se trouvaient sur la barque prennent peur et commencent à crier : C’est un fantôme ! [9] Ils ne s’attendaient pas à son apparition ; ils ignorent encore qu’il veut et peut être avec eux, où qu’ils se trouvent. Jésus les rassure : Ayez confiance, c’est moi, soyez sans crainte [10].

Le caractère de Pierre se manifeste clairement à ce moment précis. Entendant ces mots, il demande à faire quelque chose qui dépasse ses forces naturelles : Seigneur, si c’est bien toi, donne-moi l’ordre de venir à toi sur les eaux [11]. La demande contraste avec la panique qui s’était emparée d’eux quelques instants plus tôt, tout en montrant l’amour et la foi du Prince des Apôtres. Il veut aller vers le Seigneur le plus tôt possible. S’appuyant sur ce désir, Jésus l’appelle : Viens [12]. Voilà ce que Dieu attend de nous : un cœur prêt, plein de désirs. Même s’il est faible. Ainsi en est-il de toutes les choses merveilleuses que Dieu fait pour les hommes, il a besoin de notre petitesse, comme dans le cas des pains et des poissons.

Le reniement de Saint Pierre (Caravage, 1610)

L’apôtre veut arriver au plus tôt près du Seigneur, se sentir en sécurité avec lui, mais il ne sait pas très bien ce qu’il demande. Son amour le pousse à se lancer à l’eau et il commence à marcher, mais aussitôt il laisse la crainte saisir son cœur et commence à couler [13]. Quelle est la raison de ce changement d’attitude ? Pourquoi a-t-il peur alors que Jésus a accepté sa proposition et qu’il est en train de marcher sur la mer ? L’Évangile dit qu’il prit peur voyant la violence du vent [14], assez violent pour douter qu’il pût rester debout sur une mer houleuse. Pierre craint de tomber et de se noyer, une crainte qui peut sembler absurde étant donné qu’il était en train de faire quelque chose d’impossible. C’est comme s’il avait perdu de vue que la seule explication du miracle était que Jésus l’avait appelé, qu’il le soutenait et lui permettait de marcher sur les eaux. Il a besoin d’autres assurances, y compris celle de savoir qu’il sera capable de rester debout et que ses forces naturelles lui suffiront pour résister au vent. Lorsqu’il prend conscience que cette confiance est infondée, il cesse de croire à la parole de Jésus et commence à couler.

Dans la vie du chrétien, une partie importante du chemin vers la maturité dans la foi consiste à se fier uniquement à la parole de Jésus, sans se laisser rapetisser par la conscience de ses limites. Tu vois ? avec lui, tu y es arrivé ! De quoi t’étonnes-tu donc ? — Il faut t’en convaincre : il n’y a là rien de surprenant. Si l’on a confiance en Dieu — une confiance véritable ! — les choses deviennent si faciles. Et, en plus, on dépasse toujours la limite de ce que l’on avait imaginé [15], parce que c’est lui qui fait les choses plus tôt, davantage et mieux [16].

Cependant, malgré ses doutes, Pierre nous donne une leçon : sa foi et sa confiance sont peut-être ternies par la crainte des circonstances environnantes, mais il fait un ultime effort pour se lancer dans les bras du Seigneur : Seigneur, sauve-moi ! [17] Jésus répond à l’instant, le saisit et le conduit à la barque [18], « il calme la mer et tous furent remplis de stupeur » [19]. C’est la stupeur que l’on ressent face aux merveilles de Dieu ; la joyeuse stupeur d’expérimenter l’action de la grâce et de l’Esprit Saint. Par conséquent, comme le pape nous le dit, devant le péché, la nostalgie et la peur, il faut «regarder le Seigneur, contempler le Seigneur»: « Nous sommes faibles mais nous devons avoir du courage dans notre faiblesse » [20], parce que le Seigneur nous attend toujours. Il suffit à Jésus d’un sourire, d’un mot, d’un geste, d’un peu d’amour, pour qu’il déverse en abondance sa grâce dans l’âme de l’ami [21]. En expérimentant notre faiblesse, adressons-nous au Seigneur : D’en haut tends la main, sauve-moi, tire-moi des grandes eaux [22].

Sans nous décourager

Pierre a reçu une leçon. Il a douté et découvert que son amour et sa foi n’étaient pas aussi forts qu’il le pensait. Cependant ces leçons vont lui permettre de mieux se connaître et de se rendre compte que son amour est imparfait et qu’il pense encore trop en lui-même : Laisse tout tomber, tout : tes pensées personnelles, tes petites folies d’imagination, tes ambitions humaines qui ne te conduisent pas au Christ, ton orgueil, ces attentes humaines… Voilà ta barque et elle coulera à moins que tu ne la donnes à Dieu [23].

Quel est celui-ci, que même les vents et la mer lui obéissent ? [24] Par sa présence, sa parole et ses œuvres, le Christ stimule l’amour et la foi de ceux qu’il va plus tard envoyer dans le monde entier. À Césarée de Philippe, Pierre confesse clairement que Jésus est le Messie promis et qu’il est le Fils de Dieu : Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant [25]. Or, il convient de se rappeler que « lorsqu’il a confessé sa foi en Jésus, il ne l’a pas fait en vertu de ses capacités humaines, mais parce qu’il avait été conquis par la grâce qui émanait de Jésus, par l’amour qu’il percevait dans ses paroles et qu’il voyait dans ses gestes : Jésus était l’amour de Dieu en personne ! » [26]

Cependant, la confession de Pierre ne signifie pas que sa foi fût déjà parfaite. De fait, peu de temps après, nous le voyons voulant écarter Jésus de sa Passion [27], ce qui lui a valu d’être réprimandé par le Maître. La vie de foi peut toujours se développer. Pierre continuera de lutter contre la peur, contre une vision excessivement humaine de sa mission, contre une certaine méconnaissance de la valeur de la croix et de la souffrance. Il ira même jusqu’à s’interroger sur une éventuelle récompense pour ceux qui, comme lui, ont tout abandonné pour suivre le Seigneur [28], il aura peur sur le Thabor et il reniera le Seigneur [29].

Néanmoins, le prince des Apôtres sera capable dans tous les cas de revenir à Jésus. Il acceptera ses reproches, cherchera son regard, aura confiance en sa miséricorde. La foi est un chemin fait d’humilité qui implique de « s’en remettre à un amour miséricordieux qui accueille toujours et pardonne, soutient et oriente l’existence, et qui se montre puissant dans sa capacité de redresser les déformations de notre histoire » [30]. La foi est une connaissance vraie, une lumière qui nous fait aussi prendre conscience de notre petitesse et démolit les fausses idées et la tendance à s’abuser soi-même. La foi nous rend humbles et simples : elle prépare la matière première dont Dieu a besoin pour faire de nous des saints afin que nous l’aidions à changer le monde. C’est pourquoi « Pierre doit apprendre lui aussi à être faible et à avoir besoin de pardon. Lorsque finalement son masque tombe et qu’il comprend la vérité de son cœur faible de pécheur croyant, il éclate en sanglots de repentir libérateurs. Après ces pleurs, il est désormais prêt pour sa mission » [31].

Constater notre faiblesse personnelle et être conscient que notre foi n’est pas aussi forte que nous le souhaiterions ne doit pas nous inquiéter. Le Seigneur veut notre cœur entier et peu lui importe qu’il soit faible. Dieu est satisfait si nous lui donnons tout ce que nous pouvons donner. D’une certaine façon, nous pourrions penser que telle est la dernière leçon que Jésus donne à Pierre. Après la résurrection, le Seigneur va à la rencontre des apôtres près de la mer de Tibériade. Et là, à trois reprises, il pose à Pierre cette question : Fils de Jean, m’aimes-tu plus que ceux-ci ? [32] Ces questions ont sans doute rappelé à Pierre ses trois reniements et il s’est attristé de l’insistance de Jésus, comme si celui-ci ne lui faisait plus confiance. Mais finalement il comprend : Jésus se contente de l’amour que Pierre est capable de lui donner. Un amour peut-être imparfait, bien qu’il dût être plus fort que ce que nous pouvons imaginer, compte tenu de la grandeur de cœur et d’esprit du pêcheur de Galilée. Cela dit, Dieu s’adapte pour ainsi dire à la capacité d’amour de chacun, c’est pourquoi nous sommes capables de suivre le Christ jusqu’au bout.

« À partir de ce jour, Pierre a “suivi” le Maître avec la conscience précise de sa propre fragilité ; mais cette conscience ne l’a pas découragé. Il savait en effet pouvoir compter sur la présence du Ressuscité à ses côtés. De l’enthousiasme naïf de l’adhésion initiale, en passant à travers l’expérience douloureuse du reniement et des pleurs de la conversion, Pierre est arrivé à mettre sa confiance en ce Jésus qui s’est adapté à sa pauvre capacité d’amour. Et il nous montre ainsi le chemin à nous aussi, malgré toute notre faiblesse. Nous savons que Jésus s’adapte à notre faiblesse. Nous le suivons, avec notre pauvre capacité d’amour et nous savons que Jésus est bon et nous accepte. Cela a été pour Pierre un long chemin qui a fait de lui un témoin fiable, “pierre” de l’Église, car constamment ouvert à l’action de l'Esprit de Jésus. [33] » Ayons recours chaque jour à saint Pierre, avec plus de foi et d’admiration, pour qu’il intercède pour nous : Sancte Petre, ora pro nobis !

Javier Yániz


[1]. Benoît XVI, Motu proprio Porta fidei, 11 octobre 2011, n° 13.

[2]. Cf. Mt 6, 30 ; 8, 26 ; 16, 8 ; 17, 20 ; Lc 12 , 28.

[3]. Benoît XVI, Motu proprio Porta fidei, 11 octobre 2011, n° 6.

[4]. Mt 14, 22-23.

[5]. Mt 14, 24.

[6]. Saint Jean Chrysostome, In Matthæum homiliæ, 50, 1.

[7]. Mt 14, 25.

[8]. Chromace d’Aquilée, In Matthæi Evangelium tractatus, 52, 2.

[9]. Mt 14, 26.

[10]. Mt 14, 27.

[11]. Mt 14, 28.

[12]. Mt 14, 29.

[13]. Cf. Mt 14, 30.

[14]. Mt 14, 30.

[15]. Sillon, n° 123.

[16]. Ibid., n° 462.

[17]. Mt 14, 30.

[18]. Cf. MT 14, 31-32.

[19]. Pape François, Homélie, 2 juillet 2013.

[20]. Ibid.

[21]. Chemin de Croix, Ve station.

[22]. Ps 144 (143), 7.

[23]. Saint Josémaria, notes prises lors de sa prédication orale, 19 mars 1960.

[24]. Mt 8, 27.

[25]. Mt 16, 16.

[26]. Pape François, Angélus, 29 juin 2013.

[27]. Cf. Mt 16, 22.

[28]. Cf. Mt 19, 27.

[29]. Cf. Mt 26, 33-35.

[30]. Pape François, Litt. enc. Lumen fidei, 29 juin 2013, n° 13.

[31]. Benoît XVI, Audience générale, 24 mai 2006.

[32]. Jn 21, 15.

[33]. Benoît XVI, Audience générale, 24 mai 2006.