Exemple de foi (7) : la foi du centurion

Dans ce nouvel article de la série de textes spirituels consacrés à la vertu de la foi, regardons la figure de ce centurion qui, à Capharnaüm, a plaidé la cause de son serviteur auprès de Jésus.

Saint Luc nous rapporte qu’après le sermon sur la montagne notre Seigneur est entré dans Capharnaüm. Or un centurion avait, malade et sur le point de mourir, un serviteur qui lui était cher. Ayant entendu parler de Jésus, il envoya vers lui quelques-uns des anciens des Juifs, pour le prier de venir sauver son serviteur [1]. La scène est charmante : au début de la vie publique du Seigneur, pendant son ministère en Galilée, voici qu’une ambassade se présente pour lui demander un miracle, envoyée par un centurion, une personne importante dans la ville, qui a un serviteur gravement malade et dont il sollicite la guérison.

L’envoi de ces messagers est l’expression d’un sentiment d’indignité de la part du centurion : il ne s’estimait pas digne de se présenter devant Jésus, ni de l’accueillir chez lui, un gentil. Tout laisse à penser que cet officier s’était fait une haute idée de la dignité de Jésus et qu’il connaissait bien les coutumes et les lois du peuple juif en ce qui concerne les rapports avec les gentils. C’est pourquoi, apprenant que Jésus venait chez lui, il envoie une ambassade pour lui demander de ne pas se déranger. Les envoyés transmettent le message avec des mots que l’Église évoque chaque jour dans la liturgie de la sainte messe : « Domine, non sum dignus ut intres sub tectum meum, sed tantum dic verbo… » [2] Seigneur, […] je ne mérite pas que tu entres sous mon toit. Mais dis un mot et que mon enfant soit guéri [3]. Le Seigneur loue cette attitude et s’exclame devant la foule qui l’accompagne : Je vous le dis : pas même en Israël je n’ai trouvé une telle foi [4]. Lorsque les envoyés sont de retour à la maison, le serviteur était déjà guéri. Saint Luc souligne que Jésus admira l’humilité et la foi du centurion. Cette fois-ci, c’est un gentil, c’est-à-dire quelqu’un qui n’appartenait pas au peuple élu, qui a donné un exemple de foi, comblant le Seigneur de joie. Sa foi nous est montrée comme un modèle à imiter, spécialement pendant cette Année de la foi.

Une obéissance raisonnable

Jésus a qualifié d’expression de la foi le comportement du centurion, qui présente un bon nombre de facettes : une confiance totale dans le pouvoir du Seigneur, une manifestation d’humilité pleine de simplicité, la reconnaissance de la dignité du Christ. Tout cela est arrivé devant la foule qui entoure le Seigneur, sans que l’officier soit gêné pour confesser son indignité et montrer sa foi. Jésus loue la décision du centurion, où la certitude qu’il vient de la part de Dieu se joint à l’humilité et à la confiance en sa Personne. Telles sont les dispositions que l’Église souhaite susciter en nous quand elle nous demande de nous adresser au Seigneur avec les mêmes mots, juste avant de nous approcher de la table de communion, pour faire grandir ainsi notre foi, notre humilité et notre confiance.

Le centurion a entendu parler de Jésus et de son pouvoir de guérison ; peut-être a-t-il eu connaissance de certains de ses propos lors du sermon sur la montagne ou quelqu’un lui a-t-il rapporté un miracle. Quoi qu’il en soit, il n’a pas pu avoir beaucoup d’autres nouvelles, puisque nous en sommes au début de la vie publique. Cependant, ces quelques nouvelles lui suffisent pour croire et pour avoir confiance en Jésus. Quelque chose a fourni à son cœur des motifs suffisants pour qu’il croie en son pouvoir et même pour entrevoir la dignité du Seigneur.

La foi est une obéissance raisonnable à Dieu, parce qu’elle s’appuie sur des motifs rendant raisonnable l’acte de croire. Qui plus est, ces motifs nous disent que nous devons croire, ayant reçu en plus de la grâce de Dieu des signes suffisants pour nous fier à lui. Nous ne croyons pas à quelque chose d’absurde, mais à quelque chose qui est au-dessus de notre intelligence. Nous y croyons parce que nous recevons des raisons suffisantes pour faire de manière raisonnable et honnête ce pas vers la foi. La foi ne serait pas une obéissance de l’homme à Dieu si elle n’avait pas ces deux caractéristiques : Dieu veut l’adhésion de notre intelligence à sa parole, mais non la négation de la raison ; il veut son ouverture à la vérité et non qu’elle reste aveugle devant elle en adhérant à l’absurde. Saint Irénée a écrit qu’« étant donné que l’homme a été doté du libre arbitre, Dieu, à l’image de qui il a été fait, lui a toujours conseillé de persévérer dans la pratique du bien qui se perfectionne par l’obéissance à Dieu. Et le Seigneur a respecté la liberté et le libre arbitre de l’homme, non seulement pour les œuvres mais aussi pour la foi, comme le montrent les mots que Jésus a adressés au centurion : Va ! Qu’il t’advienne selon ta foi. [5] »

La foi est un acte humain qui perfectionne l’homme en tant que tel, ce qui ne serait pas possible si elle l’amenait à agir contre sa raison. La foi n’est pas une involution de l’intelligence mais une ouverture à la vérité par la voie de la confiance en celui qui nous la propose. Cette confiance est essentielle pour que la foi soit raisonnable. Dans le cas de la foi théologale, il s’agit d’une adhésion qui n’est due qu’à Dieu et à lui tout seul. « La foi est d’abord une adhésion personnelle de l’homme à Dieu ; elle est en même temps, et inséparablement, l’assentiment libre à toute la vérité que Dieu a révélée. En tant qu’adhésion personnelle à Dieu et assentiment à la vérité qu’il a révélée, la foi chrétienne diffère de la foi en une personne humaine. Il est juste et bon de se confier totalement en Dieu et de croire absolument ce qu’il dit. [6] » : « Il est raisonnable d’avoir foi en lui, de construire sa propre sécurité sur sa Parole » [7].

Manuscrit byzantin. Bibliothèque Nationale de France, 879-882..

Un cœur simple

La foi est une obéissance raisonnable à Dieu, mais la rationalité de la foi ne justifie pas un cœur méfiant, un cœur dur, ayant besoin de beaucoup de motifs pour croire. Nous le voyons bien à l’attitude du Seigneur face à ceux qui n’arrivent pas à accepter sa résurrection malgré les témoignages fiables qui leur étaient parvenus. Saint Marc nous dit que le Seigneur est apparu aux Onze alors qu’ils étaient à table et qu’il leur reprocha leur incrédulité et leur dureté de cœur, parce qu’ils n’avaient pas cru ceux qui l’avaient vu ressuscité [8], autrement dit parce qu’ils n’avaient pas ajouté foi au témoignage de ceux qui avaient vu le Seigneur avant eux. Le reproche pour l’incrédulité et l’obstination de ces disciples montre bien à quel point il est important d’avoir un cœur ouvert à la foi, tout en étant un contrepoint exemplaire qui met en valeur la figure du centurion dans son ouverture sans complication à la foi.

Pour croire, l’humilité et la simplicité de cœur sont d’une grande importance, parce que le cœur est le lieu « où nous nous ouvrons à la vérité et à l’amour, et où nous nous laissons toucher et transformer profondément par eux » [9]. La foi engage la personne tout entière, étant avant tout confiance en Dieu qui se révèle et confiance aussi en Celui qui a rendu le témoignage de sa parole et de sa vie et continue de le rendre par l’intermédiaire de l’Église : Jésus-Christ. Cette confiance, essentielle à la foi, implique non seulement l’intelligence mais aussi le cœur, « dans la mesure où la foi s’ouvre à l’amour » [10]. Nous lisons ceci dans l’épître aux Romains : En effet, si tes lèvres confessent que Jésus est Seigneur et si ton cœur croit que Dieu l’a ressuscité des morts, tu seras sauvé. Car la foi du cœur obtient la justice, et la confession des lèvres, le salut [11].

La foi est obéissance à Dieu, parce qu’elle consiste à se fier à lui. L’attachement démesuré à nos certitudes, qui vient d’une prédisposition intérieure à la méfiance, est un grave obstacle pour la foi, qui est un don à double titre. Avant tout, un don de Dieu à l’homme, une grâce ; ensuite, elle est aussi une réponse de l’homme à Dieu, don de soi-même dans une ouverture pleine de confiance : « Pour exister, cette foi requiert la grâce prévenante et adjuvante de Dieu, ainsi que les secours intérieurs du Saint-Esprit qui touche le cœur et le tourne vers Dieu, ouvre les yeux de l’esprit et donne “à tous la douce joie de consentir et de croire à la vérité”. Afin de rendre toujours plus profonde l’intelligence de cette Révélation, l’on ne cesse, par ses dons, de rendre la foi plus parfaite. [12] »

Tout est possible à celui qui croit

Seule une foi pleine de confiance rend possible les miracles, spécialement dans l’apostolat. Saint Josémaria l’a bien noté dans Chemin : Omnia possibilia sunt credenti, tout est possible à celui qui croit. — Ce sont des paroles du Christ. — Pourquoi ne lui dis-tu pas, avec les apôtres : Adauge nobis fidem !fortifie en moi la foi ? [13]

Devant les difficultés dans l’apostolat, Saint Josémaria avait l’habitude de répéter : « Ecce non est abbreviata manus Domini – le bras de Dieu – sa puissance – ne s’est pas raccourci» [14]. À d’autres occasions, il écrivait : Bien sûr…, tu n’es rien. — Il est vrai que d’autres ont mis et mettent encore sur pied des merveilles d’organisation, de presse, de propagande. — Ils disposent de tous les moyens, alors que tu n’en as aucun ?… Bon, mais souviens-toi d’Ignace : Ignorant, parmi les docteurs d’Alcala. — Pauvre, très pauvre, parmi les étudiants de Paris. — Poursuivi, calomnié… C’est le chemin : aime, crois et souffre ! Ton Amour, ta Foi et ta Croix sont les moyens infaillibles pour réaliser et rendre éternels les désirs d’apostolat que tu portes dans ton cœur [15].

Ces mots ont été écrit au tout début, lorsque rien encore ne se voyait, et ils devraient toucher notre cœur, si souvent si dur pour croire. Nous, nous avons sous nos yeux tant de choses pour croire, pour espérer, pour nos remplir de foi et d’optimisme devant le travail ! C’est pourquoi il faut prendre soin de notre cœur et demander au Seigneur un cœur simple, qui n’exige pas des garanties humaines, un cœur comme celui du centurion de Capharnaüm. Un cœur qui, étant ouvert à Dieu, soit capable de s’investir généreusement dans le travail apostolique avec la certitude que donne la foi et l’assurance que donne l’espérance.

Lucas Francisco Mateo-Seco (janvier 2013)


[1]. Lc 7, 2-3.

[2]. Missel Romain, rite de la communion. Cf. Mt 8, 8.

[3]. Lc 7, 6-7.

[4]. Lc 7, 9.

[5]. Saint Irénée de Lyon, Adversus hæreses, XXXVII, 1, 5.

[6]. Catéchisme de l’Église Catholique, n° 150.

[7]. Pape François, Litt. enc. Lumen fidei, 29 juin 2013, n° 23.

[8]. Mc 16, 14.

[9]. Pape François, Litt. enc. Lumen fidei, 29 juin 2013, n° 26.

[10]. Ibid.

[11]. Rm 10, 9-10.

[12]. Concile Vatican II, Const. dogm. Dei Verbum, n° 5.

[13]. Saint Josémaria, Chemin, n° 588.

[14]. Saint Josémaria, Chemin, n° 586

[15]. Saint Josémaria, Chemin, n° 474.