« Derrière chaque dossier se cache une personne »

À l’occasion du jubilé de ceux qui rendent la justice, un juge administratif témoigne de la manière dont sa foi éclaire sa mission : veiller à la légalité de l’action publique, rechercher la vérité juridique avec prudence et force, et considérer chaque personne avec dignité et charité.

En quoi consiste votre travail ?

Je suis magistrat dans les juridictions administratives : ce sont les tribunaux et cours d'appels qui jugent les litiges entre les particuliers et les administrations, que ce soient l'État, les collectivités locales ou les établissements publics, un ordre de juridiction dont la juridiction la plus élevée est le Conseil d'État, parallèle aux juridictions judiciaires et pénales qui dépendent en dernier ressort de la Cour de cassation.

Mon rôle est d'assurer la légalité de l'action publique, de veiller à ce que les personnes qui s'estiment lésées du fait de l'action d'une administration ou d'un organisme public, puissent trouver réparation.

Comment votre foi éclaire-t-elle votre manière de rendre la justice ?

Rendre la justice est une fonction sociale, qui ne se résume pas à une question purement humaine toutefois : cette fonction permet de participer à l'œuvre de Dieu, à la construction d'une société juste et équilibrée, à la résolution de conflits et à l'apaisement.

La foi permet aussi de considérer dignement et avec charité toutes les personnes qui ont recours à la justice et celles qui interviennent dans le processus du jugement (avocats, collègues juges ou greffiers).

En quoi le travail minutieux d’étude des dossiers peut-il devenir prière et offrande à Dieu ?

Le travail minutieux des dossiers a pour finalité d'arriver à cerner au plus juste ce qui est demandé et ce que l'on peut délivrer comme réponse. Cela demande de savoir poser la première pierre de son travail, mais surtout d'avoir la force d'aller jusqu'au bout, de donner le maximum de soi, ce qui demande toujours un effort, avec le désir d'apporter la meilleure réponse possible pour le requérant et dans le respect des règles fixées par la société : pour un chrétien, il est essentiel de s'en remettre à la sagesse du Seigneur, de lui demander son aide et de lui offrir ce que l'on aura accompli, même imparfaitement.

Quelles vertus sont particulièrement nécessaires dans votre métier ?

La vertu de justice bien sûr, rendre à chacun ce qui lui est dû, mais aussi celle de force : avoir la force de résister à se laisser aller à la facilité (expédier un dossier pour s'en débarrasser), la force de ne pas se laisser embarquer par ses propres opinions ou émotions face à ce que disent les requérants et rester impartial.

La vertu de prudence est indispensable également : il convient de garder sa langue sur les faits dont on a connaissance, respecter une certaine discrétion envers les parties au procès mais aussi envers ses collègues, puisque le secret des délibérés doit être respecté.

La charité est essentielle, car derrière les dossiers et requêtes qui nous sont soumis, ce sont des personnes qui attendent une réponse et doivent retenir notre attention et notre bienveillance.

L’exigence de la vérité juridique est-elle compatible avec la miséricorde chrétienne ?

Oui bien sûr, il faut toujours s'assurer que l'on respecte un juste équilibre entre les deux, afin de ne pas déformer le métier de juge en faisant pencher la balance exagérément d'un côté ou de l'autre. La justice n'est pas exclusive de la miséricorde, car même en rendant une décision défavorable envers une personne, si on l'a vraiment considérée comme un être humain et non un numéro, digne d'être écoutée de manière juste et sincère et que la décision est la plus juste possible, alors on aura aussi fait preuve de miséricorde.