“Da Vinci Code” est un roman à suspens dont l’essentiel de l’intrigue consiste à percer un code. Le début est prometteur. Le directeur du Musée du Louvre détient un important secret. Il ne lui reste que quelques instants à vivre mais il ne peut révéler son secret à n’importe qui. Il doit donc rapidement créer un code qui ne sera compris que par la personne à qui il est destiné.
Le reste du livre est moins heureux.
Le roman passe rapidement d’un cliché à un autre, est rempli d’éléments logiques et psychologiques peu probables et culmine dans un dénouement à l’eau de rose.
Tout ce qui concerne le code est assez décevant.
Le message initial ne doit être compris que de la nièce de la victime, cryptologue. Ceci met en jeu les éléments suivants très complexes : le mourant se déshabille et s’allonge par terre, les bras et les jambes tendus dans un cercle, comme le célèbre “homme de Vitruve” de Léonard de Vinci (l’indice : Léonard). Il écrit des chiffres de la série de Fibonacci (dans laquelle chaque chiffre est la somme des 2 précédents, série que même un béotien en mathématique comme moi reconnaîtrait de suite). Ces chiffres se trouvent être le code d’un coffre-fort d’une banque suisse. Il y a aussi dans le message deux phrases qu’il faut lire en changeant certaines lettres.
Quand la belle et audacieuse nièce et son partenaire, un professeur américain tout aussi beau et audacieux (expert en symboles religieux) résolvent cette difficile énigme, ils en découvrent une autre tout aussi difficile : une autre phrase à lire en changeant des lettres... Par la suite, cela se complique encore et devient plus mystérieux. Par exemple, ils doivent déchiffrer quelque chose qui est écrit - vous n’allez pas le croire - en “écriture-miroir”! Ingénieux ! C’est du moins ce qu’en pensent les personnages. Les autres mystères du livre sont tout aussi ingénieux.
Il semble que le succès du livre ne soit dû ni à la complexité des énigmes, ni à sa piètre qualité littéraire. Ce qui passionne nombre de lecteurs, c’est la prétendue révélation et l’interprétation audacieuse de matériaux authentiques de l’histoire de la Chrétienté et de la religion chrétienne. Da Vinci Code se propose de mettre à jour une conspiration et de montrer sur quoi elle se fonde.
Bien sûr, l’auteur ne nie pas que son livre soit un roman. Mais il affirme que celui-ci se base sur un matériau authentique qui soulève quelques questions. D’après Brown, au début du Christianisme, le culte de la Mère s’est poursuivi, culte de la féminité qui a co-existé avec celui de la masculinité. La féminité était symbolisée par Marie-Madeleine, l’épouse de Jésus et la mère de ses enfants. Jésus était un prophète et enseignait, entre autres choses, ce message du Yin et du Yang, à ses disciples.
Ces faits ont été censurés et dissimulés par l’Église, particulièrement depuis l’époque de Constantin. Cet empereur païen devint chrétien pour des raisons politiques et, au concile de Nicée, réussit à faire de Jésus un dieu et à faire disparaître Marie-Madeleine. Depuis lors, le culte de la féminité a été enterré. Les restes de Marie-Madeleine et les documents secrets qui racontent l’histoire vraie furent retrouvés sur le Mont du Temple lors de la prise de Jérusalem pendant la première croisade.
Tableaux Codés
En 1099, le Prieuré de Sion fut fondé dans le but de garder ce secret. Il instaura une branche militaire interne appelée les Pauvres Chevaliers du Christ et du temple de Salomon, ou les Templiers. L’ordre prospéra jusqu’en 1307, date à laquelle beaucoup de ses membres furent arrêtés à l’initiative du roi de France, Philippe Le Bel et du pape Clément V. En 1312, l’ordre fut dissous par la papauté mais le trésor secret fut sauvé. Il avait été remis bien avant aux membres du Prieuré de Sion qui l’ont gardé dissimulé et ont fait en sorte de placer dans les représentations artistiques des allusions secrètes à la vérité cachée. Parmi les responsables de l’ordre, il y avait Isaac Newton (protestant), Sandro Botticelli (catholique pénitent), Victor Hugo (athée républicain) Léonard de Vinci et Jean Cocteau.
Les tableaux de De Vinci sont des codes complexes. Celui de Mona Lisa, par exemple, n’est rien moins qu’un autoportrait androgyne. Plus important, dans le tableau de La Dernière Cène à Milan, le secret est presque entièrement révélé. Même si la cérémonie dépeint ostensiblement le moment où le rite de la messe et la consécration du Graal (ce que la tradition catholique présente comme le sacré calice), il n’y a pas de calice particulier sur la table. A côté du Christ, se trouve une femme - son honorable dame et épouse Marie-Madeleine - dont le sein est le réceptacle sacré qui porte en lui le sang du Christ. Les deux forment la lettre M qui signifie Matrimonium (Mariage) ou l’initiale de Marie-Madeleine. Les descendants de notre Yin et Yang se sont retrouvés en France dans la dynastie royale des Mérovingiens et à ce jour ils vivent heureux et riches.
Qu’il y a-t-il de vrai dans cette histoire? Quasiment rien. Les principales affirmations de Brown sont tirées d’une suite d’inventions concoctées en France dans les années trente et quarante par un groupes d’adeptes de doctrines ésotériques, des gauchistes, des antisémites et des partisans de Pétain. Plus tard, ces absurdités ont acquis une certaine publicité et elles ont circulé dans de nombreux livres dont le plus connu est “Sang sacré, Graal sacré” publié dans les années quatre-vingt et qui eut un très vif succès. Toutes ces inventions (sur le Prieuré de Sion et la prétendue liste de ces responsables) furent démasquées il y a pas mal de temps, y compris les dossiers secrets que Brown mentionne comme d’authentiques documents de la Bibliothèque Nationale de Paris. La bibliothèque nationale de Paris, tout comme la bibliothèque Universitaire et Nationale Juive à Jérusalem et la Bibliothèque du Congrès, contient ces documents-là. Elle n’est pas responsable de leur contenu et de leur qualité.
Quels sont les faits? À l’époque du Christ, il n’y avait pas de culte dédié à une divinité femme primitive. Il y avait plusieurs divinités féminines populaires pour une raison ou pour une autre. Le Christianisme comme le Judaïsme a choisi une divinité homme mais en fait n’a pas essayé de refouler la divinité femme. Dans les quatre Évangiles (qui sont les premiers témoignages de la vie du Christ et non pas quelques chose d’imposé au christianisme par Constantin) il n’y a pas de figure centrale féminine. Marie, mère de Jésus, Marie-Madeleine et Marthe jouent des rôles marginaux bien que positifs. Dans des périodes postérieures, des sectes gnostiques ont essayé de donner un rôle central à Marie-Madeleine en tant que partenaire spirituelle du Christ - l’idée que Jésus ait pu avoir des relations sexuelles scandaliserait tout adepte de ces sectes plus encore que des catholiques.
Le culte de la divinité Mère
L’Église a vraiment rejeté ces idées mais elle n’a jamais essayé de réprimer la féminité. Au contraire. Au lieu d’une épouse repentie, la femme choisie fut la Vierge mère, “celle qui est née sans péché”, “la grande médiatrice”, “ la reine du ciel”, “la mère de Dieu”. On a rendu à Marie, mère de Dieu, un culte si grand que parfois elle fit même de l’ombre à son divin fils. La plupart des cathédrales (construites par les évêques et non par les templiers) lui sont consacrées comme le sont des hymnes de louanges, des prières et des apparitions.
La théologie catholique est allée très loin et avec audace dans la voie du culte de la Mère, la mère de Dieu. L’Eglise n’était pas affranchie des préjugés courants à cette époque. Les femmes étaient pécheresses et insensées, mais sur le plan spirituel, l’Eglise a montré un vrai respect envers les femmes. Il y eut et il y a beaucoup de saintes et de mystiques parmi les femmes, qui ont suscité et suscitent encore respect et vénération. Les autorités ecclésiastiques n’ont jamais dit que Marie-Madeleine était une prostituée (cette idée a en fait une origine populaire). Elle continue d’être considérée comme une sainte importante et centrale qui obligeamment a laissé la primauté à une figure plus importante qu’elle.
A l’époque de Constantin, le christianisme n’était pas une religion en expansion mais une secte persécutée dont l’existence même était en danger. Au concile de Nicée, il ne fut pas décidé que Jésus était de nature divine - ce fait est déjà suggéré dans le Nouveau Testament et a été accepté par la plupart des chrétiens depuis les débuts du Christianisme. Il fut décidé lors de ce concile de rejeter la doctrine arienne selon laquelle le Père avait préséance sur le fils. Les résultats du vote ne furent pas du tout équilibrés comme le prétend Brown mais il se dégagea un forte majorité contre les ariens.
Il n’y eut jamais un ordre secret appelé Le Prieuré de Sion. L’odre des Templiers fut créé en 1119 à Jérusalem, c’était un ordre militaire qui n’avait pas de prétention ésotérique ou vraiment spirituelle. Après la conquête de la terre sainte par les musulmans, cet ordre se consacra à des activités financières. Ce qui suscita la convoitise du roi de France, ce ne fut pas une quelconque doctrine secrète mais plutôt l’énorme richesse de l’ordre. Les confessions extorquées aux templiers dans le premier procès organisé à l’avance dans l’histoire (une production plus française que papale), ont été abominables - sodomies, conversions à l’islam, sorcellerie, et culte rendu à Satan. Rien n’a été dit d’un quelconque culte à la mère, divine ou non.
Il n’y a aucune preuve d’aucune sorte que l’ordre ait continué à exister. Cette légende a surgi au XIXe siècle quand les Francs-maçons furent enchantés de découvrir les liens de l’ordre avec le temple de Salomon, liens dont les Francs-maçons se réclamaient aussi.
“Mona Lisa” n’est pas un autoportrait. Il s’agit d’une femme qui a existé, l’épouse de Francesco Da Giocondo. Le tableau de la Dernière Cène (qui soit dit en passant n’est pas une fresque mais plutôt une peinture a tempera sur pierre) ne représente pas la consécration du vin mais le moment où Jésus annonce que l’un de ses disciples va le trahir. C’est pourquoi le tableau ne met pas de coupe en évidence. Ce n’est pas inhabituel dans les tableaux de cette époque. La figure à la droite du Christ est Jean, le disciple bien aimé. Il est toujours représenté comme un beau jeune homme aux cheveux longs. Il ne s’agit pas d’une femme et il est difficile de croire que les Dominicains pour qui le tableau fut réalisé et les milliers de clercs qui l’ont vu, eussent accepté que l’on dérogeât de manière aussi scandaleuse à la tradition normative.
L’affirmation selon laquelle les descendants de Jésus entrèrent par le mariage dans la dynastie royale des Mérovingiens est basée sur un personnage appelé Giselle de Razes qui aurait épousé le roi Dagobert II au 7e siècle. Giselle de Razes n’a jamais existé, mais fut inventée au 20e siècle.
Que dire d’autre? Que ceci n’est qu’un échantillon des inepties qui apparaissent dans ce livre. Tout cela n’a pas empêché “ Da Vinci Code” de devenir un énorme succès de librairie aux Etats-Unis. Pourquoi? Dieu seul (ou la déesse) le sait.
Aviad Kleinberg est professeur d’histoire à Tel Aviv University.