L’appel de Dieu au sacerdoce

«Je n’avais jamais pensé me faire prêtre ». Ceci dit, petit à petit, Dieu prit place dans l’âme du jeune Josémaria. Voici un petit récit biographique concernant les mois qui ont précédé son intégration au séminaire.

Je n’avais jamais pensé me faire prêtre, ni me vouer à Dieu. Cette question ne m’avait jamais effleuré car je croyais que cela ne me concernait pas. Qui plus est, la pensée d’une éventuelle prêtrise me dérangeait tellement que je me sentais anticlérical. J’aimais beaucoup les prêtres puisque la formation reçue chez moi était profondément religieuse. On m’avait appris à respecter, à vénérer la prêtrise. Mais ce n’était pas pour moi, c’était pour d’autres.

Voilà ce qu’en disait mgr Escriva. Par ailleurs, ceux qui l’ont fréquenté durant son enfance, ne se sont jamais imaginés qu’un jour il serait prêtre. Cependant, la vocation divine suivait son cours, petit à petit, sans rien d’apparemment extraordinaire. Ce que tant d’âmes ont aussi vécu, est particulièrement providentiel chez celui qui deviendrait par la suite le fondateur de l’Opus Dei. En effet, il se devait d’apprendre à sanctifier le quotidien, ordinaire, en conseillant à tous d’être sur leurs gardes quant à la tentation de l’extraordinaire. Pour un chrétien du tout venant, la sainteté ne consiste pas à faire des choses étranges, ou difficiles, mais à faire que la prose de tous les jours devienne un alexandrin, dans un poème splendide.

La tentation de l’extraordinaire apparaît plusieurs fois dans l’Évangile. Au bout d’un long jeûne au désert, le diable prétend écarter le Christ de sa mission rédemptrice en évitant qu’il ne souffre de la faim, la soif, la douleur qui sont justement les moyens dont il se sert pour la Rédemption des hommes. Mais, il n’y a pas que Satan. Les parents proches de Jésus tiennent à ce qu’il aille en Judée, à la fête des Tabernacles, au vu et au su de tout le monde. Ses disciples le poussent aussi à attirer les foules. Quand Jean et Jacques lui demande de faire tomber du feu du ciel pour dévorer les habitants d’une ville de Samarie, le Seigneur doit encore une fois réprimer leur tentation de s’appuyer sur l’anormal : «Vous ne savez pas à quel esprit vous appartenez ». Et cela, jusqu’au drame du Calvaire, où les princes des prêtres et les scribes se moquent de Lui et lui demandent de descendre de la Croix pour qu’ils puissent croire en ses paroles. Le Christ rejette cette tentation : il rachète le genre humain avec la souffrance et la mort, non pas avec des réussites spectaculaires. Autrement, quel aurait été le sens de ses trente années de vie cachée et de travail à Nazareth ?

Dieu se sert d’événements courants pour attirer les âmes à son amour. Parfois il fait de grands miracles que le regard humain ne perçoit pas. Or, le plus grand miracle est toujours celui de la providence ordinaire, une voie naturelle et simple.

La vocation de Josémaria Escriva de Balaguer emprunta ce chemin-là. Il en parla souvent aux membres de l’Œuvre pour les mettre en garde contre la tentation du spectacle, du tape-à-l’œil.

J’ai en tête tant de manifestations de l’Amour de Dieu en ces années de mon adolescence, lorsque je pressentais que le Seigneur voulait quelque chose de moi et que j’ignorais ce que c’était. Des faits et gestes ordinaires, apparemment innocents, dont il se servait pour placer en mon âme cette inquiétude divine. Aussi, ai-je bien compris l’amour si humain et si divin de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus qui est émue de voir pointer, entre les pages d’un livre,une image avec la main blessée du Rédempteur. Moi aussi j’ai été l’objet de choses de ce style qui m’ont bouleversé, conduit à communier tous les jours, à me purifier, à me confesser, à faire pénitence.
C’est en considérant le cas des personnes qui, percevant clairement que Dieu les appelle, ont peur ou manquent de générosité. À Buenos Aires, en 1974, quelqu’un toucha ce problème en lui parlant d’un ami qui n’aurait eu besoin que d’un petit coup de pouce… tout petit…

Ce n’est pas moi qui vais le lui donner, parce que la vocation à l’Opus Dei est divine et parce que moi aussi, mon fils, j’ai résisté tant que j’ai pu. Mea culpa, mea culpa. J’ai résisté. Moi, je distingue deux appels de Dieu: l’un, au début, sans savoir à quoi, et je résistais. Ensuite, je n’ai plus montré de résistance, lorsque j’ai su à quoi j’étais appelé.
Dieu le prépara progressivement, allant même à l’encontre de son penchant personnel et de ses propres projets: Je pense à mon baccalauréat, lorsque nous étudiions le latin au lycée. Moi, je ne l’aimais pas et tout bêtement, je me disais : le latin, pour les curés et les religieux. Voyez-vous combien j’étais loin d’être prêtre ?

Le 1er juillet 1974, à Santiago du Chili, le fondateur de l’Opus Dei encourageait un grand nombre de personnes à lutter pour le Christ, à porter Dieu à beaucoup d’âmes. Et afin qu’elles apprennent à vaincre leur éventuelle lâcheté, ou des faux respects de la liberté des autres, il ajoutait : Moi, Jésus-Christ ne m’a pas demandé la permission de se mêler ma vie. Si on m’avait dit il y a longtemps que j’allais être prêtre… Or, me voici !

Il évoqua cela très souvent : Je n’avais jamais pensé me vouer à Dieu. Ça ne m’avait jamais traversé l’esprit, je pensais que cela ne me concernait pas. Or le Seigneur préparait petit à petit les choses, il m’accordait une grâce après l’autre, en passant par-dessus mes défauts, mes erreurs d’enfant, mes erreurs d’adolescent…

Un jour, après une forte chute de neige, à Logroño, en plein hiver, Josémaria, encore adolescent, voit sur la neige les traces des pieds nus d’un Carme. Ces pas ont bouleversé son cœur qui a été embrasé d’un grand désir d’aimer Dieu. Au vu du sacrifice d’amour de ce religieux, Josémaria se demanda ce qu’il faisait à son tour pour son Dieu.

Josémaria a eu ces pressentiments d’Amour dès l’âge de quinze, seize ans. Il percevait parfaitement bien que le Seigneur voulait quelque chose de lui, mais il ne savait pas quoi. En ces jours d’hiver, dans les premiers mois de 1918, je suis allé bavarder plusieurs fois avec le P.José Miguel, l’un des frères qui vivaient près du Couvent des Carmélites et qui s’occupaient de leur église.

Par la suite, Josémaria décida d’être prêtre. Pourquoi suis-je devenu prêtre? se demandait-il ensuite. Parce que je me suis dit que de la sorte il me serait plus facile d’accomplir une volonté de Dieu que je méconnaissais. Huit ans avant mon ordination, j’avais déjà des pressentiments, mais je ne savais pas ce que c’était. Je ne l’ai su qu’en 1928. Voilà pourquoi je me fis prêtre.
À partir de là, il pria constamment pour ce dont il ignorait la teneur. C’est alors que dans son âme germa, au fil des ans, une clameur faite de jaculatoires : Domine, ut sit! Domina, ut sit! (ô Seigneur, ô Ma Souveraine, faites que cela soit! Et de chanter à tue-tête ces paroles du Seigneur : Ignem veni mittere in terram, et quid volo nisi ut accendatur? (« Je suis venu mettre le feu sur la terre, et que puis-je vouloir d’autre si ce n’est qu’il brûle »). Et de répondre, sans équivoque: Ecce ego, quia vocasti me! (« Me voici parce que tu m’as appelé »).

Josémaria en parla à son père. Don José Escrivá, tout étonné, écouta cette confidence et parce qu’il avait toujours docilement accepté la Volonté de Dieu, il respecta et aima le chemin que le Seigneur traçait à son fils. Il en souffrit cependant parce qu’il avait une autre idée sur son avenir, mais il favorisa sa vocation.

C’est à lui que je dois ma vocation, disait toujours le fondateur de l’Opus Dei.

La Baronne de Valdeolivos raconte un fait survenu en l’été 1919. Don José Escriva arriva à Fonz pour passer quelques jours avec ses frères et sœurs. Il avait des photos de ses enfants : de Santiago qui venait de naître, « mon benjamin » disait-il, de Carmen et de Josémaria. Il en était manifestement très fier. En leur montrant une photo de Josémaria, il leur dit, tout pensif : - Il vient de me dire qu’il veut être prêtre et en même temps il va commencer ses études de Droit. Ça va me demander pas mal de sacrifices.
De son côté, le fondateur de l’Opus Dei en parlait ainsi:

Un beau jour, je dis à mon père que je voulais être prêtre. Ce fut la seule fois où je le vis pleurer. Il avait d’autres projets éventuels, mais il ne se révolta pas. Il me dit :
– Mon fils, réfléchis bien. Les prêtres doivent être saints. C’est très dur de ne pas avoir de maison, de foyer sur terre. Réfléchis encore un peu, moi, je ne m’y opposerai pas. Et il me conduisit auprès d’un ami prêtre, l’abbé de la Collégiale de Logroño.

La collégiale de Logroño, dite “ La Ronde “ est aujourd’hui jumelée avec la cathédrale du diocèse de Calahorra, Logroño et la Calzada. À l’époque le P. Antolin Oñate en était l’abbé. Par la suite, en1943, il fut nommé chantre de Calahorra, poste institutionnel à Logroño, s’il en est.
Le P. Alvino Parajes, à la demande de son père, orienta aussi Josémaria. Il était prêtre aux armées, affecté à Logroño depuis le mois de février 1917 jusqu’au mois de mai 1920.

Le P. Antolin et le P.Alvino l’encouragèrent à suivre sa vocation et l’aidèrent dans ses études de Philosophie, de latin, et de première année de Théologie qu’il fit en tant qu’élève externe au Séminaire de Logroño. Le fondateur de l’Opus Dei leur en fut éternellement reconnaissant.

Toutefois, la carrière ecclésiastique n’avait aucun intérêt pour lui. Il ne tenait pas à être un curé, dans le sens où le grand public l’entendait à l’époque.
Ce n’était pas ce que Dieu me demandait et je le voyais bien : je ne tenais pas à être prêtre, pour être prêtre, le curé, comme on dit en Espagne. Je vénérais le sacerdoce mais je ne voulais pas pour moi un sacerdoce de ce genre.