Le 8 mai 1957, Le Devoir, journal montréalais, titre: « Projet du Cardinal : un ‘Opus Dei’ pour le Canada », accompagné de trois courts paragraphes. À notre connaissance, voilà la première information sur cette institution de l’Église catholique dans la presse écrite au Canada. Dès cet instant, le cœur d’une jeune Canadienne de descendance huronne, Annie Sioui, infirmière de profession, se met à battre en quête d’en savoir davantage.
En 1957, Josémaria Escriva, le fondateur de l’Opus Dei, a 55 ans. Cette même année, il perd une grande alliée, puisque sa sœur Carmen, que les fidèles de l’Oeuvre appellent familièrement « tante Carmen », meurt saintement à Rome. Grâce à l’un de ses plus importants biographes[1], nous savons qu’à cette époque, saint Josémaria consacre ses énergies à faire connaître aux autorités ecclésiastiques l’institution qu’il a fondée. Il livre également une grande bataille pour la formation de ses fils et de ses filles tout en cherchant des solutions aux problèmes financiers de la construction de Villa Tevere, le siège central de l’Opus Dei, dont les travaux ne s’achèveront qu’en 1960.
Nous apprenons par ses lettres que le fondateur de l’Opus Dei rêve déjà au bien et à la paix que ses enfants apporteront à l’humanité entière[2]. L’expansion universelle de l’Oeuvre commence d’abord par l’Europe et, dès 1949, traverse l’Atlantique pour débarquer au Mexique et aux Etats-Unis. En 1957, vient le tour du Brésil, de l’Autriche et du Canada.
Le 12 avril 1957, le pape Pie XII confie à l’Oeuvre la prélature nullius de Huarochiri et Yauyos au Pérou, ce qui oblige le fondateur à retarder une expansion en Orient. En même temps, il veut accéder à la demande insistante du cardinal Paul-Émile Léger, archevêque de Montréal, qui désire que son diocèse soit le premier à accueillir l’Opus Dei au Canada.
Les premiers fidèles de l’Oeuvre touchent le sol canadien via les Etats-Unis tandis que d’autres arrivent par bateau à Halifax. Pour poser les fondations dans ce nouveau pays, saint Josémaria demande à l’abbé Jean Martin, médecin et docteur en théologie, âgé d’à peine 25 ans, qui vient de passer quelques années auprès du fondateur. Il emporte avec lui la bénédiction de saint Josémaria et une petite statue romane de la Vierge avec l’Enfant, qui ornera le vestibule d’entrée de Piedmont, la première résidence d’étudiants. Arrivé le 7 juin 1957 à Montréal, il est devancé par un couple de surnuméraires en provenance de Boston, Cécile et Jacques Bonneville, installés à Québec depuis 1955. Avec l’autorisation de l’archevêque Maurice Roy de Québec, l’abbé Martin leur donne sans tarder, à eux et à leurs amis, la formation qu’ils attendent.

Pour appuyer le travail apostolique commencé, le madrilène Alphonse Bielza, jeune ingénieur en aéronautique, l’abbé Joseph Escribano après un séjour d’un an à Chicago et l’abbé Vincent Mayoral arrivent dans les mois suivants. Pour subvenir à leurs besoins, l’abbé Martin enseigne la langue de Cervantes à l’Université de Montréal tandis que l’abbé Mayoral s’occupe de la communauté espagnole de Montréal, à la demande du Cardinal Léger. Quant à l’ingénieur Alphonse, il devient technicien à l’emploi d’une entreprise aéronautique de Dorval tout en prenant la direction de la résidence d’étudiants Piedmont. Il met l’apprentissage du français et de l’anglais à son ordre du jour, tout en bénéficiant de l’aide des résidents issus de tous les horizons du Québec de Sorel, du Témiscouata, du Lac St-Jean, de la Mauricie et même du monde entier, incluant le Vietnam et le Cambodge! Un jeune étudiant en médecine, André Allaire, s’éprend de l’ambiance de Piedmont : il corrige le français des nouveaux arrivés, prête son auto pour les courses et les excursions et prépare son mariage. Quelques mois suffisent pour que le Dr André Allaire s’engage à sanctifier ses longues heures de pratique médicale et sa vie conjugale, tout en exerçant un apostolat d’amitié et de confidence dans sa ville de Drummondville.

Suivant les indications de saint Josémaria qui « ne veut pas que ses filles partent pour d’autres pays sans que tout soit prêt pour les accueillir…[3] », les premiers membres de l’Oeuvre au Canada préparent la venue des femmes. Enfin, le 12 avril 1959, Annie Sioui se rend à la Gare Centrale de Montréal pour accueillir trois jeunes filles originaires du Chili, du Pérou et de l’Espagne, débarquées la veille à Halifax. Les parents d’une numéraire travaillant au Kenya, M. et Mme Marlin, les accueillent dans leur maison jusqu’à ce qu’elles puissent aménager leur petite résidence pour étudiantes, Montboisé. Comptant sur très peu de moyens, les jeunes femmes doivent utiliser l’acompte versé par les futures résidentes, provenant du Vietnam, du Liban, de l’Italie et du Mexique, pour meubler les chambres vides. Annie leur est d’un grand recours quant à la variété des nécessités domestiques. Activités culturelles, camps de jeunes, clubs de langues et journées de réflexion spirituelle sont au programme. Très tôt, Denyse Larrivée, de Trois-Pistoles, étudiante en Littérature à l’Université de Montréal, demande son admission comme numéraire dans l’Opus Dei.
Peu à peu, des hommes et des femmes du West Island, de Laval et de la Rive-Sud profitent de la formation chrétienne offerte dans les résidences d’étudiants ou chez eux , ou encore, pour les activités spirituelles, dans des églises paroissiales. Les semailles de Jacques et Cécile Bonneville commencent à porter fruit : tous les mois, des déplacements ont lieu jusqu’à Québec pour dispenser soutien spirituel et formation. Walter, Raymond, Grant et Joe sont parmi les premiers, de même que Jacqueline, l’épouse de Grant, et Bridgit Kane.
Notes
[1] Andrés Vásquez de Prada, Le fondateur de l’Opus Dei. Vie de Josémaria Escriva. Volume I : Seigneur, que je voie! Volume II : Dieu et audace! Volume III : Les chemins divins de la terre.Paris, Le Laurier, Montréal, Wilson&Lafleur, 2005.
[2] Ibid, Vol. III, Les chemins divins sur la terre, p. 290 (extrait d’une lettre datée du 4 juillet 1957)
[3] Ibid., p. 327.
