La cour de Versailles, en 1683, apprécia un bref oratorio qui, dans une alternance de chœurs soutenus par des cordes, exprime une âpre révolte : Lucifer, « prince du mal, aveugle d’orgueil téméraire » (M.-A. Charpentier, La bataille de saint Michel avec le dragon : H 410 §1), se dresse contre le Très-Haut ; excédé par ce geste sacrilège, Michel convoque les anges à résister pour réaffirmer la gloire de Dieu. Une quarantaine d’années plus tard, J. S. Bach fêtera le champion céleste avec quatre cantates, empreintes d’une touche grave de piété : « Que ton ange veille sur moi à l’heure de ma mort » (BWV 19 §7).
Dans les hauteurs, à l’aube de la création, on perçoit des remous parmi les créatures angéliques. L’une d’entre elles, fascinée par sa perfection, rejette son lien avec le doux Créateur qui lui a tout donné. La tradition décrit ce drame amer avec les paroles du prophète : « Tu te disais : ‘Je monterai jusque dans les cieux, je hisserai mon trône plus haut que les étoiles de Dieu, je serai l'égal du Dieu très-haut’… Mais c'est au monde des morts, jusqu'au fond de la fosse, que tu as dû descendre » (Isaïe 14, 13-15). Des flammes ténébreuses l’entourent à jamais (J. Milton, Le Paradis perdu).
Indétrônable sur sa citadelle de granite, une statue de Saint Michel, en cuivre doré (installée au 19e siècle), haute de 4 mètres, couronne la flèche de l’abbaye homonyme ; l’ensemble est posé aux milieu des redoutables marées de la Manche, 150 mètres plus bas. Le Mont a résisté aux éléments, aux invasions, aux sièges acharnés de la Guerre des Cent Ans. Il attire encore des pèlerins assoiffés de grâce.

Ce paladin de la majesté divine est invoqué partout dans les batailles de l’Église et de chaque chrétien. « Saint Michel archange, défendez-nous dans le combat ! » (pape Léon XIII, Prière après la messe). On le mentionnait pertinemment dans le Confiteor. La lutte du chrétien contre le diable est une constante de son parcours, depuis le catéchuménat jusqu’à la dernière onction.
L’archange est invoqué aussi dans la liturgie des défunts. Dans les Hospices de Beaune un polyptyque, commandé par le chancelier de Bourgogne à Roger van der Weyden, vers 1450, fut installé comme retable pour les malades ; il montre le Jugement dernier, avec Saint Michel qui « pèse » les âmes pour évaluer son aptitude à la gloire. « Rends-nous victorieux contre les tentations du pouvoir, de la richesse et de la sensualité. Sois le guide spirituel qui nous soutient dans le bon combat de la foi » (pape François, Prière, 5/07/2013).

La fidélité sans failles repousse l’orgueil. Saint Michel protège des ravages du péché : il terrasse « l'énorme dragon, le serpent ancien, appelé le diable et Satan, qui trompe le monde entier » (Apocalypse 12, 9). Le Nouveau Testament rappelle ce cataclysme spirituel : Jésus, dans une confidence énigmatique, révèle avoir vu « Satan tomber du ciel comme un éclair » (Luc 10, 18). Saint Jean précisera, avec luxe d’images : « Alors une bataille s'engagea dans les cieux. Michel et ses anges combattirent le dragon, et celui-ci combattit contre eux avec ses anges. Mais le dragon fut vaincu, et ses anges et lui furent chassés des cieux » (Apocalypse 12, 7-8).
Le péché de toute créature est « exclusion de Dieu, rupture avec Dieu, désobéissance à Dieu » (saint Jean-Paul II, exh. Réconciliation et Pénitence §14) ; l’affirmation délirante de soi nie l’alliance filiale, efface Dieu de l’horizon de l’amour, jusqu’à revêtir une forme d’athéisme : je n’en ai pas besoin... Pour les anges, ce refus a été exprimé avec une lucidité irréversible.
Chaque péché est un mystère, qui partage cette première révolte : « l’inexplicable méchanceté de la créature qui se dresse, par orgueil, contre Dieu… L’homme offense Dieu : la créature renie son Créateur » (Saint Josémaria, Quand le Christ passe §95). Satan, en repoussant le joug de l’amitié divine devient esclave de sa solitude ; ainsi il s’est condamné et a dévasté la création ; en revanche, le disciple du Christ, dans l’amour obéissant, se sent « poussé à dire chaque jour, décidé à prier et à agir, un serviam — je te servirai, je serai fidèle ! » (id., Chemin §413). Chaque fils bâtit la gloire du Père et son Royaume.
D’Orient à Occident un chapelet de sanctuaires atteste la popularité du prince céleste depuis les premiers siècles. La Cité du Vatican l’honore aussi. Par ailleurs, des monuments d’origine civile, en l’honneur de l’archange, décorent des places et des fontaines. Des pays et de villes, comme Arkhangelsk, en Russie, se placent sous sa protection.
Les anges sont au service du seul Rédempteur et de son Église. Leur fidélité étaie la nôtre, leur proximité élargit l’horizon de la foi en la Providence. Avec eux on avance. Dans le Quartier Latin de Paris, une chapelle médiévale, devenue la cathédrale orthodoxe roumaine, est dédiée aux trois archanges ; sur le portail, une mosaïque (Guibert-Martin, 1926) les montre en train de porter un médaillon avec l’effigie du Christ, Seigneur des hiérarchies angéliques.
