"Dans les zones de conflit, il y a une soif de Dieu".

José de la Pisa Pérez de los Cobos (Valladolid, 10 mai 1971) est l'un des 29 nouveaux prêtres de l'Opus Dei, ayant reçu l'ordination sacerdotale le 25 mai à Rome. Il est lieutenant-colonel dans l’infanterie de Marine au sein de laquelle il a servi pendant 25 ans. En 2017, il quitte la marine pour se préparer à la prêtrise et soutient sa thèse de doctorat sur "Vertus humaines et éthique militaire. Les vertus morales qui sous-tendent le comportement éthique des militaires".

José et toute son équipe, au sud Liban, en 2008

José est le sixième d'une fratrie de huit enfants, au sein d’une famille liée à l’armée depuis trois générations : son grand-père et son père étaient officiers d'artillerie et son frère Pedro est aujourd'hui général de cavalerie. Il a opté pour la marine et s'est engagé dans l’infanterie de Marine.

Rome, un cadeau

À 53 ans, il estime que les quatre années d'études à Rome, aux côtés du pape, "ont été un cadeau". "J'ai vu", résume-t-il, "la réaction de François face à quelqu'un qui souffre, qui lui fait part d'une peine, qui a un problème : j'ai vu comment il se tournait complètement et exclusivement vers cette personne".

Les cinq années passées à l'Académie navale, les six mois passés à bord du Juan Sebastián de Elcano, le temps passé à l'école de plongée de la marine, l’ont préparé à une vie professionnelle intense.

Pouvez-vous citer quelques missions ?

J'ai eu la chance, et je dirais même le privilège, d'être déployé à plusieurs reprises à la tête des équipes d'opérations spéciales de la marine, notamment au Moyen-Orient et au Liban, ainsi qu'en Afrique, au large de la Somalie, dans le cadre de missions de lutte contre la piraterie.

Planification d'une patrouille avec un officier singapourien en mai 2009 dans la région de Kafer keela au sud du Liban.

Les dégâts de la guerre

Est-ce que l’on s’endurcit lorsque l’on est confronté à la souffrance ?

Lors de ces missions, on est directement confronté aux dégâts de la guerre et au sort des personnes déplacées et de celles qui ont tout perdu. Les conditions de vie des réfugiés syriens dans le sud du Liban sont particulièrement épouvantables, sans accès à l'essentiel.

Est-il possible d'établir des contacts personnels ?

Nous essayons toujours de répondre aux besoins des réfugiés. Lorsque nous les rencontrons, qu'ils nous montrent leurs cabanes ou qu'ils nous offrent ce qu'ils ont, nous réalisons qu'en fait, nous avons tous les mêmes espoirs, les mêmes besoins et les mêmes craintes, et qu'un peu d'humanité et d'affection permet de résoudre beaucoup de problèmes. L'une des choses qui m'a le plus frappé est de voir comment l'idée de miséricorde et de dignité de la personne disparaît en dehors de la sphère chrétienne.

Lorsque vous avez quitté la Marine en 2017, vous avez été affecté au commandement d'un des bataillons de la Garde royale, l'unité chargée d'assurer la protection et les honneurs militaires du Roi... Qu'est-ce qui vous manque dans votre métier ?

Tout... et rien à la fois car, bien que je ne sois plus actif, je n'ai pas perdu le contact avec mes compagnons. En fait, ils me demandent maintenant des conseils spirituels en toute confiance. Je trouve cela très enrichissant et, en même temps, cela me permet de rester en contact avec mon métier et ma carrière militaire.

En ce qui concerne ma démission du bataillon de la Garde royale, j'ai écrit à Sa Majesté le Roi pour lui en expliquer les raisons, en lui disant que je renonçais à mon commandement pour servir l'Espagne d'une autre manière et que, dans ce sens, nous aurions désormais un commandant commun, de sorte que j'espérais qu'il ne trouverait pas cette décision mauvaise et qu'il ne serait pas difficile pour lui de trouver un autre candidat pour le poste.

Après un exercice d'entraînement sur le pont du navire déployé en avril 2009 dans l'océan Indien

Costaleros à Séville

Comment s'est déroulée votre année de formation aux États-Unis ?

J'ai eu la chance d'étudier pendant un an (2010) aux États-Unis, à l'université du corps des Marines à Quantico, en Virginie. Je me suis trouvé avec 200 autres militaires américains et 25 étrangers. Nous avons immédiatement formé un groupe social assez étonnant : un Espagnol, un Taïwanais, un Tanzanien, un Afghan et un Malaisien. Nous avons noué une belle amitié... et assez vite les questions sont arrivées, nombreuses et variées, sur la Sainte Trinité, ou le rôle de la Vierge Marie... et chacun apportait son interprétation selon ses croyances, musulmanes et shintoïstes. Cela m'a beaucoup enrichi. Nous avons également formé un groupe avec des étudiants des pays de l'OTAN et nous sommes restés en contact.

Avec la plupart des membres de la famille après l'ordination sacerdotale

C’est avec Brian, un taiwanais, que j’ai noué la plus grande amitié. Quelques années après notre rencontre, il est venu me rendre visite pendant une semaine pendant le Carême. Nous sommes allés à Séville et avons rencontré un groupe de "costaleros" (NDT : hommes qui portent les figures pendant les processions religieuses) qui s'entraînaient... C'était un défi de lui expliquer, alors nous nous sommes retrouvés à la Macarena (NDT : Basilique de Séville où est vénérée la 'Vierge de la Macarena'), puis à la cathédrale pour essayer de lui faire comprendre. Quelques années plus tard, en 2021, Brian a été baptisé. J'aime à penser que sa visite à la Macarena y est pour beaucoup.

Quelles ont été les réactions de vos amis et collègues lors de votre ordination ?

J'ai rencontré toutes sortes de personnes, beaucoup de pratiquants, la plupart croyants, mais aussi des gens qui ne croient pas ou qui ne sont même pas baptisés. Dans ce milieu, être numéraire de l'Opus Dei suscite beaucoup de questions. Et si l'on travaille dans un milieu comme celui des forces spéciales, les questions vont droit au but, sans tourner autour du pot. C’est très précieux. J’ai par exemple un ami lieutenant qui, maintenant que j'ai été ordonné, dit qu'il est prêt à se faire baptiser par moi.

Avec Conchi, la dame qui s'est occupée de nous lorsque nous étions enfants à Sardón de Duero (Valladolid).

Aider à atteindre Dieu

La vie militaire et la vie sacerdotale sont-elles similaires ?

J'aborde mon service sacerdotal de la même manière que j'ai abordé mon service dans les forces armées. Les écrits de saint Josémaria m'aident beaucoup : je veux aider les autres, servir dans ce qui est important. La seule différence dans la vie sacerdotale c’est que je n'ai plus besoin de chercher des "adversaires", je suis ouvert à tous et je peux me consacrer aux besoins les plus importants des gens, en les aidant à s'approcher de Dieu.

Nous vivons une Année de la prière convoquée par le Pape en préparation du Jubilé. Parlez-moi de vos années à Rome.

Les années que j'ai passées à Rome avec le pape ont été un cadeau. Aux séminaristes de Rome, il a parlé haut et fort de la nécessité des sacrements, de la prière et de cultiver l'amitié avec Dieu. D'être sincère, d'avoir une direction spirituelle et de ne pas dépendre des réseaux sociaux. Des messages pleins d'espoir, de réalisme, qui ont aidé et qui ont manifesté l'amour de François pour chacun d'entre nous.

Première messe. Les prêtres concélébrants sont Gabriel de Castro et José Brage.

Cette proximité permet également de se rendre compte du rythme de vie du Saint-Père, de l'énorme tâche qu'il accomplit et de la manière dont il s'y consacre avec une générosité qui nous touche.

De cette étape romaine, je retiens également la proximité du prélat de l'Opus Dei, Monseigneur Fernando Ocáriz. En lui parlant avant l'ordination, je lui ai demandé des conseils sur la manière d'être aimable et bon. Il m'a fait comprendre que les autres attendent de moi que je sois prêtre à cent pour cent, que je parle du Christ, comme le soulignait saint Josémaria. Et que mes opinions passent au second plan. Il m'a encouragé à écouter d'abord et à parler ensuite, à raconter des choses, à m'intéresser aux autres sans polémique, à m'unir avec l'aide de Dieu.

Avec sa mère, deux sœurs de sa mère et plusieurs de ses frères et beaux-frères après l'ordination, se promenant dans Rome.

La soif de Dieu

Vous avez eu affaire à des personnes de religions et de croyances diverses, qu'est-ce qui peut caractériser un prêtre ? Quel est le profil requis aujourd'hui ?

Nous sommes ordonnés prêtres pour apporter le Christ à toutes les âmes, à toutes les âmes, pas seulement aux catholiques. À partir de déficiences personnelles, on peut voir des gens qui ont soif de Dieu. Cela s'observe bien dans les zones de conflit. Les fois où j'ai été déployé, j'ai eu des conversations plus profondes sur Dieu avec mes hommes, sur la foi, la miséricorde et le sens de la douleur ou l'existence du mal. J'ai également constaté cette soif chez ceux qui ont souffert après le conflit, chez les réfugiés, chez les civils et chez les combattants des deux camps.

Si, au-delà de ses propres faiblesses, on essaie de servir les autres, de répondre à leurs besoins, les gens le remarquent immédiatement et manifestent de l'intérêt et de la curiosité pour cette façon de se comporter. On peut alors expliquer le motif de l'amour de Dieu qui se cache derrière.

Je me souviens que saint Josémaria a demandé l'aide de Dieu pour être un saint et un père, un maître et un guide des saints. Que vous suggère ce désir de votre fondateur ?

C'est la mission du prêtre, tout d'abord de s'occuper de sa propre vie intérieure, de sa piété et de sa relation avec Jésus-Christ. Et puis être capable de prendre sa place, d'apporter aux autres la miséricorde, la tendresse et l'amour de Dieu. Chacun d'entre nous a été choisi par Dieu pour être saint, et c'est une belle mission que de le rappeler à tous ; cette mission appartient à tous les baptisés, mais le prêtre donne accès aux sacrements, ce qui lui permet - malgré sa faiblesse - d'accompagner et de prendre soin des autres comme le ferait le Christ.

Votre ordination s'est déroulée en présence d'un grand nombre de membres de votre famille, dont deux prêtres jésuites, avec lesquels vous avez pu concélébrer la messe.

Oui, ce fut une joie de partager ce moment avec deux de mes cousins. Tous deux jésuites, Diego, qui vit à Rome et enseigne à la Grégorienne, est un expert de la doctrine sociale de l'Église, et Alfonso, qui travaille aujourd'hui à Madrid, a vécu dans les favelas de Rio de Janeiro et dans certains des endroits les plus pauvres et les plus dangereux du monde ; leurs histoires et leurs témoignages me donnent une vision "de l'intérieur" des réfugiés et des personnes les plus démunies. Au fil des ans, j'ai été très reconnaissant de leur exemple et de leurs conseils sur la prêtrise.