Noël, porte d'humilité et de miséricorde

À la veille de Noël, mgr Guillaume Derville nous propose une contemplation sur l'humilité, sésame pour pénétrer un peu ce mystère.

La façade de la basilique de la Nativité à Bethléem laisse aujourd’hui deviner les contours de son ancien portail qui, avec le temps, s’est réduit à une ouverture basse d’un mètre et demi à peine. L’on empêchait ainsi d’y entrer à cheval et l’on protégeait un lieu sacré. Les dimensions réduites de cette porte parlent au visiteur, au pèlerin d’un jour comme au fidèle peut-être trop habitué à ce sanctuaire : elles lui disent, sans bruit de paroles, que « nous devons nous baisser, aller spirituellement, pour ainsi dire, à pied, pour pouvoir entrer à travers le portail de la foi et rencontrer le Dieu qui est différent de nos préjugés et de nos opinions : le Dieu qui se cache dans l’humilité d’un enfant qui vient de naître[1] ». Méditer sur la vertu de l’humilité prépare à mieux vivre le temps de Noël. C’est notre Dieu rédempteur et miséricordieux qui vient : « Jésus (c’est-à-dire : Le-Seigneur-sauve), car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés » (Mt 1,21). « L’accueil de la miséricorde réclame de nous l’aveu de nos fautes[2] » : voici une exigence d’humilité.

Nous ne sommes pas Dieu

Dans sa deuxième encyclique, le pape François nous rappelle une des raisons profondes de l’humilité, une grande vérité que nous risquons d’oublier trop facilement dans le tourbillon de la vie quotidienne : « Nous ne sommes pas Dieu[3] ». La création est en effet le solide point de départ de notre être : c’est de Dieu que nous avons reçu l’existence et l’être. Il nous revient d’accepter cette vérité fondamentale et, avec l’aide de la grâce, de nous laisser transformer, de connaître la réalité, de la perfectionner et de l’offrir à Dieu. L’amour du monde que saint Josémaria nous communique nous conduit à vouloir améliorer ce que nous aimons, là où nous sommes, selon nos possibilités. L’humilité se trouve au cœur de cette tâche immense, « car c’est la vertu qui nous aide à connaître à la fois notre misère et notre grandeur[4] ».

L’humilité « est la vertu des saints et des personnes remplies de Dieu qui, plus elles acquièrent de l’importance, plus grandit en elles la conscience de n’être rien et de ne rien pouvoir faire sans la grâce de Dieu[5] » : porter du fruit, c’est glorifier Dieu et non soi-même (cf. Jn 15,8). Notre confiance en Dieu se manifeste dans les relations avec les autres, en particulier dans le travail. Apprendre à perdre, laisser nos projets dans les mains de Dieu comme le firent Marie et Joseph : l’humilité nous lance à l’aventure, celle de la rédemption, d’un apostolat sans frontières parce que nous n’avons pas peur du ridicule, ni de nous tromper ; nous nous corrigerons et nous repartirons de l’avant.

Humilité avec les autres

Il est bon de revenir à l’essentiel : Dieu m’aime. Quand on se sait aimé de Dieu, on peut aimer les autres. « Lorsque nous en avons l’occasion, travaillons au bien de tous, et surtout à celui de nos proches dans la foi » (Ga 8,10). L’Apôtre nous apprend à ne pas nous lasser d’exercer une charité ordonnée. Ceux qui ont reçu le baptême comme nous, comment ne les regarderons-nous pas comme frères et sœurs, enfants du même Père de bonté et de miséricorde ? « L’humilité nous conduit comme par la main vers cette façon d’aborder notre prochain, qui est la meilleure : comprendre tous les hommes, vivre en bonne entente avec tous, pardonner à tous, ne créer ni divisions ni barrières, nous comporter, toujours, comme des instruments d’unité[6] ».

La personne humble développe une sensibilité aux dons de Dieu, dans sa vie comme dans celle des autres ; elle comprend que chacun est un don de Dieu, et elle accueille ainsi tout le monde, sans s’arrêter à des comparaisons, voire à des jeux de rivalité : chacun est unique aux yeux de Dieu, chacun apporte quelque chose que les autres ne peuvent donner. L’humble apprend à se comporter comme « un de plus » : un parmi d’autres, comme les bergers dans la crèche, comme ces autres personnages imaginés par la pastorale des santons de Provence. La famille joue en ce sens un rôle primordial : le petit enfant s’habitue à entrer en relations avec les autres, à parler et à écouter ; parmi ses frères et sœurs, il constate qu’il n’est pas toujours au centre de l’attention : il apprend à remercier, parce qu’il se rend compte que les choses ont un prix. Aussi avec le temps découvre-t-il, à l’heure du succès personnel, que tant de choses n’ont pu se faire que grâce au don de ses proches et amis, des personnes qui ont pris soin de lui, qui l’ont nourri et lui ont donné un foyer.

Sans pour autant sombrer dans l’ingénuité, le chrétien a une bonne disposition habituelle envers ce qui lui vient du prochain et il évite de tomber dans « l’indifférence qui humilie[7] » : il s’ouvre aux autres sans se préoccuper excessivement d’apparaître ridicule ou de ne pas être bien vu. Certains intimident à force d’être timides, au lieu de donner lumière et chaleur : ils pensent trop à eux-mêmes, au qu’en dira-t-on, à leur carrière peut-être… qui sait si cela vient d’un sens de l’honneur exagéré, d’une préoccupation pour l’image que l’on donne, ce qui pourrait au fond trouver sa source dans un certain orgueil et un manque de simplicité, peut-être dans le fait d’avoir été mal aimés. Polariser l’attention sur soi, exprimer des désirs trop concrets et singuliers, exagérer des problèmes de santé plus ou moins courants ; ou, au contraire, cacher de manière insolite une maladie que les autres pourraient connaître afin de mieux nous entourer, par leur prière et avec leur aide : autant d’attitudes qui demandent à être purifiées. L’humilité se manifeste aussi dans une certaine souplesse, dans l’effort que l’on fournit pour dire ce que l’on voit ou ce que l’on ressent. « Tu ne seras pas mortifié si tu es susceptible, si tu n’écoutes que ton égoïsme, si tu t’imposes aux autres, si tu ne sais pas te priver du superflu et parfois même du nécessaire, si tu t’attristes quand les choses ne vont pas comme tu l'avais prévu ; en revanche, tu es mortifié si tu sais te faire tout à tous, pour les gagner tous (1 Co 9,22)[8] ». C’est ainsi que Jésus voulut naître dans le dénuement et la pauvreté de Bethléem.

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Guillaume Derville


[1]. Benoît XVI, Homélie, 24 décembre 2011.

[2]. Catéchisme de l’Église Catholique, n. 1847.

[3]. Pape François, Encyclique Loué sois-tu, n° 67.

[4]. Saint Josémaria, Amis de Dieu, n° 94.

[5]. Pape François, Discours à la Curie romaine, 21 décembre 2015, n° 9.

[6]. Saint Josémaria, Amis de Dieu, n° 233.

[7]. Pape François, Bulle Misericordiæ vultus, 11 mai 2015, n° 15.

[8]. Saint Josémaria, Quand le Christ passe, n° 9.