Tabgha, Église du Primat

À trois kilomètres environ, à l’ouest de Capharnaüm, d’après la tradition, Jésus aurait multiplié les cinq pains et les deux poissons pour faire manger la foule, c’est là qu’il aurait prononcé le Discours de la Montagne, qu’il serait apparu aux Apôtres après sa résurrection. C’est là qu’eut lieu la seconde pêché miraculeuse et qu’il confirma saint Pierre comme primat de l’Église.

Traces de notre foi

Il y a peu de lieux en Terre Sainte qui nous renvoient si immédiatement au Nouveau Testament que la mer de Génésareth, en Galilée.

Vers Haîfa, Vers la plaine d’Esdrelon

Après deux mille ans d’histoire, la topographie d’autres endroits a été radicalement transformée : on a construit des églises, des sanctuaires, et des basiliques. Certains de ces édifices ont été détruits, reconstruits, amplifiés ou restaurés. Beaucoup de hameaux et de villages sont devenus des villes très peuplées tandis que d’autres ont disparu. On a tracé des chaussées, des routes, des autoroutes. En revanche, sur ce lac le paysage est presque le même, en dépit d’un environnement très changé aussi. Sa vue nous comble, notre esprit se détend, notre âme est l’objet d’une sensation inexprimable : le souvenir de Jésus et l’écho de ses paroles semble encore résonner dans ce parage, transcender le temps présent.

Photo: Derek Winterburn. Flickr.

Malgré tout, il se pourrait que par le passé on n’ait pas respiré ce calme dans cette zone. En effet, lorsque Jésus parcourait ces contrées, il y avait au moins dix villages, les pieds dans l’eau, ou qui s’y reflétaient, dans les collines environnantes. D’une rive à l’autre, le commerce prospère employait d’innombrables navires. Aucune de ces villes pleines de vie n’a subsisté. Seule la moderne Tibérias renvoie en quelque sorte à la Tibériade romaine, la plus jeune des anciennes villes, fondée au début de notre ère et située plus au sud à l’époque. Ce n’est qu’à travers ses ruines que nous pouvons nous faire une idée des villes que Jésus a connues.

La richesse de la zone venait d’abord des ressources de la pêche dans ce lac long de vingt kilomètres , du nord au sud, d’une largeur maximale de douze kilomètres, avec une profondeur moyenne de quarante cinq mètres. Il est principalement alimenté par le Jourdain et par quelques sources qui jaillissent sur ses rives ou sous la surface de l’eau.

Le « tilapia » qui est le poisson le plus abondant, est connu comme le « poisson de saint Pierre ».

L’agriculture était l’autre ressource principale. Étant à 210 mètres sous le niveau de la mer Méditerranée, la région qui jouit d’un climat tempéré en hiver et au printemps, souffre d’une chaleur suffocante très souvent l’été. Ces conditions sont favorables à une végétation de type subtropical. L’historien Flavius Joseph fut témoin de la fertilité de cette zone au 1er siècle : « Cette terre ne rejette aucune plante et les agriculteurs y cultivent de tout puisque la température douce de l’air est appropriée aux différentes espèces. Les noyers qui sont plutôt des arbres des climats froids, fleurissent ici abondamment, à côté des palmiers qui poussent dans des zones chaudes, des figuiers et des oliviers qui ont besoin d’un climat plus tempéré.

Capharnaüm fut la seconde patrie de Jésus, au début de sa vie publique.

La nature peut être fière d’avoir rassemblé en un seul lieu des espèces si contraires qui rivalisent de beauté à toutes les saisons où chacune d’entre elles semble vouloir s’imposer en ce lieu. En effet, cette région produit non seulement les fruits les plus divers, mais, contre toute attente, elle les conserve aussi. Elle fournit durant dix mois, sans interruption, les rois de tous les fruits : des raisins et des figues. Le reste des produits mûrit tout au long de l’année. Avec cette bonne température ambiante, la zone est irriguée par une source dite Capharnaüm au très haut débit.

D’aucuns pensaient que c’était une branche du Nil parce qu’on y trouve un poisson semblable au corbin du lac d’Alexandrie « (Flavius Joseph, La guerre des juifs, III, 516-520).

C’est au nord-ouest de la mer de Génésareth, aux alentours de Capharnaüm, que l’on trouve les traces les plus importantes du Seigneur dans cette zone.

Au début de sa vie publique, après avoir quitté Nazareth, Jésus fit sa seconde patrie de cette petite peuplade de pêcheurs. Certains des Douze ou de leurs parents, y avaient leur maison. Comme les lieux de cette zone qui méritent notre attention sont très nombreux, nous leur consacrerons plusieurs articles à étaler durant l’année.

À l’ouest de Capharnaüm

Photo d’un bateau de l’époque prise à la fin du XIX ème siècle sur ce lac. Photo: Chatham University JKM Library – Flickr.

Notre parcours va partir de Tabgha, situé à trois kilomètres à l’ouest de Capharnaüm. C’est un domaine de quelques hectares qui s’étend de la rive du lac vers les collines environnantes. Ce nom est sans doute une dérivation arabe de l’original byzantin Heptapegon, qui veut dire en grec « le lieu aux sept sources » à cause des sources de l’époque qui sont toujours en activité de nos jours. Selon la tradition des chrétiens qui ont habité cette zone sans interruption depuis les temps de Jésus, c’est là qu’il aurait multiplié les cinq pains et les deux poissons pour nourrir toute une foule de gens (Cf. Mt 14, 13-21; Mc 6, 32-44; Lc 9, 12-17; Jn 6, 1-15); c’est là qu’il aurait prononcé le Discours de la Montagne avec les Béatitudes (Cf. Mt 5, 1-11; Lc 6, 17-26); et là qu’il serait apparu aux Apôtres après sa Résurrection, lorsqu’il a été à l’origine de la seconde pêche miraculeuse et qu’il a confirmé saint Pierre comme primat de l’Église (Cf. Jn 21, 1-23). Ces trois endroits, où ont eu lieu ces épisodes de la vie du Seigneur, sont à une centaine de mètres les uns des autres.

Un texte attribué à Égérie, femme qui fit un pèlerinage en Palestine au IVème siècle, est un témoignage éloquent de la mémoire chrétienne à propos de Tabgha : « Non loin de Capharnaüm on voit des gradins en pierre sur lesquels le Seigneur s’est assis. Là-bas, près de la mer, il y a un terrain couvert d’herbe en abondance et de beaucoup de palmiers et à côté de cet endroit, il y a sept sources d’où l’eau jaillit abondamment. C’est là que le Seigneur a rassasié une foule avec cinq pains et deux poissons. La pierre sur laquelle Jésus a déposé le pain est devenue un autel. Près de l’enceinte de cette église, il y a une voie publique. Mathieu y avait son bureau de percepteur. Tout près, sur le mont , il y a le lieu où le Seigneur est monté pour prononcer les Béatitudes » (On peut trouver ce texte dans le Liber de Locis Sanctis, écrit en 1137par saint Pierre Diacre, moine du Mont-Cassin, en 1137). C’est là que Jésus a confirme Pierre comme pasteur suprême de l’Église.

C’est là que Jésus a confirme Pierre comme pasteur suprême de l’Église.

Centrons-nous sur le premier site évoqué par Égérie : « les gradins en pierre sur lesquels le Seigneur s’est assis ». D’après cette tradition, on fait allusion à l’endroit où était Jésus quand il indiqua aux pêcheurs de jeter leur filet à droite, lors de l’apparition dont parle saint Jean à la fin de son évangile : « Simon-Pierre, Thomas appelé Didyme, Nathanaël, qui était de Cana en Galilée, les fils de Zébédée et deux autres de ses disciples étaient ensemble. Simon-Pierre leur dit: "Je vais pêcher." Ils lui dirent: "Nous y allons, nous aussi, avec toi." Ils sortirent donc et montèrent dans la barque; mais ils ne prirent rien cette nuit-là. Le matin venu, Jésus se trouva sur le rivage; mais les disciples ne savaient pas que c'était Jésus. Et Jésus leur dit: "Enfants, n'avez-vous rien à manger?" Non, répondirent-ils. Il leur dit: "Jetez le filet à droite de la barque, et vous trouverez." Ils le jetèrent, et ils ne pouvaient plus le tirer à cause de la grande quantité de poissons. Alors, le disciple que Jésus aimait dit à Pierre: "C'est le Seigneur!" Simon-Pierre, ayant entendu que c'était le Seigneur, mit son vêtement et sa ceinture, car il était nu, et se jeta dans la mer. Les autres disciples vinrent avec la barque (car ils n'étaient éloignés de la terre que d'environ deux cents coudées), en tirant le filet plein de poissons. Quand ils furent descendus à terre, ils virent là des charbons allumés, du poisson mis dessus, et du pain. Jésus leur dit: "Apportez de ces poissons que vous venez de prendre." Simon-Pierre monta dans la barque, et tira à terre le filet qui était plein de cent cinquante-trois grands poissons; et quoiqu'il y en eût un si grand nombre, le filet ne se rompit point. Jésus leur dit: "Venez et mangez." Et aucun des disciples n'osait lui demander: "Qui êtes-vous?" parce qu'ils savaient qu'il était le Seigneur. Jésus s'approcha, et prenant le pain, il leur en donna; il fit de même du poisson. C'était déjà la troisième fois que Jésus apparaissait à ses disciples, depuis qu'il avait ressuscité des morts ». (Jn 21, 2-14).

Las fouilles archéologiques ont confirmé que sous l’église du Primat il y a des vestiges de deux sanctuaires du IV et Vèmes. Photo : Alfred Driessen.

Le récit d’Égérie ne parle pas d’une église sur la rive où Jésus apparut, mais un texte des 10ème/ 11ème siècles attribue à l’impératrice sainte Hélène la construction d’un sanctuaire dédié aux Apôtres sur le lieu où il avait déjeuné avec eux. Quelques documents, à partir du IXème siècle l’appellent indistinctement ‘Mensa, Tabula Domini, des Douze Trônes ou des Charbons’, noms qui évoquent tous ce repas-là.

Grâce à un témoignage du Moyen-Âge, nous savons que ce temple était dédié spécialement au Prince des Apôtres : « Au pied de ce mont il y a l’église Saint-Pierre, très belle mais à l’abandon », assure Saewulfus, pèlerin en 1102. (Saewulfus, Relatio de peregrinatione ad Hierosolymam et Terram Sanctam). Après de multiples vicissitudes, elle fut détruite à tout jamais en 1263. L’église actuelle construite par les Franciscains en 1933 sur les fondements de l’ancienne chapelle est dite église du Primat pour rappeler le lieu où Jésus a confirmé Pierre comme pasteur suprême de l’église : Lorsqu'ils eurent mangé, Jésus dit à Simon-Pierre: " Simon, fils de Jean, m'aimes-tu plus que ceux-ci?" Il lui répondit: "Oui, Seigneur, vous savez que je vous aime." Jésus lui dit: "Pais mes agneaux." Il lui dit une seconde fois: "Simon, fils de Jean, m'aimes-tu?" Pierre lui répondit: " Oui, Seigneur, vous savez bien que je vous aime." Jésus lui dit: "Pais mes agneaux." Il lui dit pour la troisième fois: "M'aimes-tu?" et il lui répondit: "Seigneur, vous connaissez toutes choses, vous savez bien que je vous aime." Jésus lui dit: "Pais mes brebis."(Jn 21, 15-17).

Les fouilles archéologiques de 1969 ont confirmé que sous l’église du Primat il y a des vestiges de deux sanctuaires plus anciens : il y a des fragments visibles du plus ancien des deux, daté de la fin du IVème siècle, sur ses murs en crépi blanc ; le deuxième, construit cent ans plus tard en pierre basaltique, est identifiable grâce à ses murs de pourtour. Les deux avaient au centre un roc que les pèlerins appelaient ‘Mensa Christi’ et que l’on vénère toujours devant l’autel comme le lieu du repas avec les Apôtres. À l’extérieur, on peut voir les gradins dont parle Égérie, au côté sud de la chapelle, protégés par une grille.

La rocher où le Seigneur a sans doute déjeuné avec ses disciples se trouve à l’intérieur de l’église. Photo : Berthold Werner – Wikimedia Commons.

Dialogue avec Jésus

Saint Léon le Grand, souverain pontife entre 440 et 461, commente le dialogue que nous venons de considérer entre Jésus et Saint Pierre et il souligne que cette confirmation du Prince des Apôtres est spécialement étendue à tous ses successeurs: «Chez Pierre la force de tous est raffermie. Le secours de la grâce divine est ainsi ordonné, que ce qui est conféré à Pierre est donné aux autres Apôtres à travers Pierre. C’est pourquoi, après sa résurrection, le Seigneur, afin de manifester la triple confession de l’éternel amour, après avoir remis au bienheureux apôtre les clés du royaume, avec une expression pleine de mystère, (il) dit trois fois : paix mes brebis. C’est ce qu’il fait désormais sans aucun doute et ce pieux pasteur demande que soit réalisé le commandement du Seigneur en nous confirmant avec ses exhortations et en priant sans cesse pour nous, pour qu’aucune tentation ne l’emporte sur nous. S’il prend si pieusement soin de tout le peuple de Dieu, en tout lieu, comme nous le croyons, combien plus nous accordera-t-il son secours, à nous qui avons été immédiatement instruits par lui, qui sommes tout près de l’endroit où il repose, sur le tombeau où git celui qui a été notre primat » (Saint Léon le Grand, homélie en la fête de Saint Pierre Apôtre).

«Une des caractéristiques fondamentales du pasteur doit être d’aimer les hommes qui lui ont été confiés, comme les aime le Christ, au service duquel il se trouve. «Sois le pasteur de mes brebis», dit le Christ à Pierre, et à moi, en ce moment. Être le pasteur veut dire aimer, et aimer veut dire aussi être prêt à souffrir. Aimer signifie: donner aux brebis le vrai bien, la nourriture de la vérité de Dieu, de la parole de Dieu, la nourriture de sa présence, qu’il nous donne dans le Saint-Sacrement. Chers amis – en ce moment je peux seulement dire: priez pour moi, pour que j’apprenne toujours plus à aimer le Seigneur. Priez pour moi, pour que j’apprenne à aimer toujours plus son troupeau – vous tous, la Sainte Église, chacun de vous personnellement et vous tous ensemble. Priez pour moi, afin que je ne me dérobe pas, par peur, devant les loups. Priez les uns pour les autres, pour que le Seigneur nous porte et que nous apprenions à nous porter les uns les autres » (Homélie de la Messe inaugurale du pontificat du pape Benoît XVI, 24 avril 2005).