Les années au séminaire

Dès 1918 et jusqu’en 1925, année où il fut ordonné prêtre, saint Josémaria se prépara à recevoir les ordres sacrés. Nous avons des témoignages de ses camarades séminaristes sur cette période-là.

Depuis le mois d’octobre 1918, il fut élève externe du Séminaire. Chez lui, Manuel Sanmartin était son professeur particulier. Durant l’année scolaire 1919-1920, il fut reçu premier en Théologie : il eut mention très bien — meritissimus— dans toutes les matières, sauf une où il eut mention bien benemeritus.

Le P. Manuel Calderon, un condisciple, le définit comme un bon étudiant, avec une grande culture générale: “bien mis, élégant, aux bonnes manières, on voyait qu’il était de bonne lignée» Amadeo Blanco, parle précisément de sa veste bleue au col levé mais ce qui le frappait le plus c’était son sourire, sa gentillesse, il était aimable et gai. Maximo Rubio ajoute dans ce sens qu’ «il était bien élevé, bien tenu, très attentif aux autres, bon étudiant, sérieux, et, à mon avis, au caractère un peu réservé” : il parlait juste ce qu’il fallait, était très observateur et pieux ». Par ailleurs,Le P. Pedro Baldomero Larios, fils d’un relieur très amis du père de Josémaria, estime qu’il était sympathique, communicatif, gai et très agréable. « Moi je l’admirais beaucoup car j’appréciais son grand talent ».
Le P. Pedro Baldomero Larios était un élève externe du Séminaire, dans des classes inférieures à celle du P. Máximo et du P. José María Millán, déjà décédé, qui fut vraisemblablement le meilleur ami du futur fondateur de l’Opus Dei. Sa famille et ses cours occupaient pratiquement toute sa journée. Ils se retrouvaient de temps en temps chez les Larios, ou chez les Escriva, chez les Rubio. Parfois, ils se promenaient vers Lardero, — à l’époque cela semblait une grande distance— où ils allaient pêcher l’écrevisse dans la rivière.

Le P. Larios, sans doute parce qu’il était le plus jeune, n’a pas grand chose à dire concernant sa vie de piété: “Bien qu’externes, nous allions tous les jours à la Messe au Séminaire. Puis nous rentrions prendre chez nous notre petit déjeuner et nous revenions aux cours ». Le P. Máximo Rubio évoque que Josémaria, à un moment donné, allait très souvent au couvent des Carmélites, pour y passer de longs moments. Le P. Máximo Rubio fait aussi allusion au souci apostolique de Josémaria qui, dans leurs échanges à la fin des cours, leur faisait voir le travail à faire auprès des élèves du Lycée et leur disait combien le manque d’esprit chrétien de cette jeunesse l’attristait.

Au Séminaire, les élèves internes faisaient une catéchèse avec beaucoup d’assistants. Les élèves externes, en revanche, ne s’y investissaient pas autant, semble-t-il. En effet, Le P. Amadeo Blanco –interne– a retenu la présence de Josémaria: tous les dimanches, il y allait sans y avoir été contraint. La catéchèse avait lieu dans l’église du Séminaire. Il se mettait à leur disposition pour tout ce qu’on lui demandait”

Josémaria fut très peu de temps élève externe du Séminaire de Logroño. Déjà en septembre 1920, il partit à Saragosse pour étudier la Théologie à l’Université Pontificale San Valerio et San Braulio

Le temps s’écoula, beaucoup de choses très dures, terribles, se passèrent, dont je ne vous parle pas non pas parce cela m’attristerait mais parce que cela pourrait vous attrister, vous. C’étaient des coups de hache de Dieu Notre Seigneur pour tailler dans cet arbre, la poutre qui, en dépit de sa faiblesse, allait servir à faire son Œuvre. Et moi, presque à mon insu, je répétais : Domine, ut videam!, Domine, ut sit! J’ignorais ce que c’était, mais j’avançais, droit devant, sans correspondre totalement à la bonté de Dieu, en attendant ce qui allait m’être donné par la suite : une collection de grâces, l’une après l’autre, que je n’arrivais pas à qualifier et que je qualifiais d’agissantes parce qu’elles saisissaient de telle sorte ma volonté que je n’avais pratiquement pas à faire d’efforts. Droit devant, sans bizarreries, en ne travaillant qu’avec une intensité moyenne. Ce furent les années de Saragosse. Ce furent les années de Saragosse.
Josémaria entama en cette ville une vie très différente de celle qu’il avait eue jusqu’alors et qui se déroulait entre le Séminaire San Carlos et l’Université Pontificale Sant Valerio et San Braulio.
L’Université Pontificale se trouvait Place de la Seo, près du palais archiépiscopal. On y délivrait la Licence et le Doctorat en Philosophie, en Théologie et en Droit Canonique. Les séminaristes assistaient aux cours et recevaient leur formation sacerdotale complémentaire, — étude, piété, discipline —, dans les Séminaires où ils étaient hébergés.

Fin septembre 1920, Josémaria intégra le Séminaire San Francisco de Paula, qui occupait deux étages de l’édifice du Séminaire Sacerdotal San Carlos, avec une chapelle et une salle à manger indépendantes. Les séminaristes portaient une tunique noire, sans manches et, en bandoulière, une écharpe rouge avec un blason métallique frappé d’un soleil et de la devise charitas. En rang, deux par deux, ils allaient de San Carlos à la Place de la Seo, en passant par le Coso, accompagnés de leur inspecteur. Avant de prendre le petit déjeuner, à San Carlos, ils priaient durant une demi-heure et assistaient à la sainte messe. À l’issue de trois cours d’une heure, ils rentraient pour le déjeuner au Séminaire. L’après-midi, ils repartaient à l’Université. En rentrant, ils avaient leur récréation, un temps d’étude et le chapelet. Ils dînaient et avant de se coucher, ils priaient encore puis ils avaient une causerie avec des points à méditer le lendemain. Les jeudis soir, ils se promenaient, en rang, dans des lieux peu fréquentes, ou à la campagne. Les dimanches ceux qui avaient des membres de leur famille à Saragosse, pouvaient les rejoindre.

Josémaria avait quitté Logroño afin de pouvoir, entre autres, faire des études de Droit à l’université de Saragosse. C’est ce dont il avait parlé avec son père à Fonz durant l’été 1919. En attente de voir clairement ce que Dieu voulait de lui, Josémaria se disait qu’il serait plus préparé à accomplir la volonté divine s’il avait en poche un diplôme civil. Don José, lui conseilla de faire du Droit, en dépit des frais que l’installation de son fils à Saragosse allaient entraîner pour lui.

À Saragosse il y avait plusieurs parents proches et des amis intimes de la famille. Son oncle, Le P. Carlos Albás, était chanoine Archidiacre à la Seo. Des amis de Josémaria de l’époque laissent voir que les relations du P. Carlos et de la famille de son neveu n’étaient pas au beau fixe, et ce, non pas du côté des Escriva. Vraisemblablement, l’archidiacre de la Seo n’appréciait pas trop son beau-frère qu’il accusait d’avoir été responsable de son revers financier : « C’était une très grande injustice, dit un témoin de l’époque en parlant de la position intransigeante du chanoine vis-à-vis du père de Josémaria. Il n’avait pas perçu l’attitude droite et honnête que cet homme avait adoptée toute sa vie durant et qui l’avait poussé à liquider son affaire en pensant plus à sa conscience chrétienne droite qu’à son intérêt matériel personnel ». Ceci étant, le P. Carlos ne se déplaça pas à Logroño à la mort de don José et n’assista pas à la première messe de Josémaria en 1925.

La vie au Séminaire n’était pas facile pour Josémaria. Son intégration à San Carlos fut pénible puisqu’il avait été jusqu’alors à l’écart du système normal de la formation ecclésiastique. Le climat de l’Institut ou du Collège San Antonio, à Logroño, était très différent de celui qu’il rencontra parmi les séminaristes de Saragosse.
Un camarade d’études de ce Séminaire, aujourd’hui notaire dans une ville espagnole, a décrit en détail l’ambiance que l’on y respirait. Il ne l’aurait pas fait s’il n’avait pas été expressément interpellé. Lorsqu’il jette un regard sur ce passé, il n’aimerait pas que l’on interprète ses propos de travers. En tant que notaire, il ne tient qu’à rapporter des faits, très justifiables et raisonnables, en étant toutefois pertinemment conscient que des hommes très saints sortaient de ce Séminaire-là.
Une bonne partie des élèves intégraient San Carlos, munis des vertus traditionnelles du milieu rural aragonais de l’époque, mais aussi avec quelques défauts notoires : une culture trop élémentaire, certain mépris des formalités, la négligence de leur toilette personnelle, etc. Leurs vertus chrétiennes équilibraient un peu le tout. De fait, le fondateur de l’Opus Dei, dès qu’il faisait allusion à son temps de Séminaire, disait qu’il ne se rappelait plus que des vertus et des désirs de servir l’Église qu’avaient ses camarades au Séminaire.

Dès le départ, d’aucuns n’apprécièrent ni le port, ni le talent, ni les bonnes manières de Josémaria. Lorsqu’il fut nommé supérieur du Séminaire, José Maria Roman Cuartero fut son domestique. Pour lui, Josémaria était très correct, plus raffiné que les autres. Par exemple, dit-il, tous les jours, il se lavait de la tête aux pieds, chose que ne faisaient pas les autres. Ces détails, parmi d’autres, le poussèrent à penser que Josémaria ne serait jamais prêtre. En effet, il percevait toutes les possibilités qu’il avait de faire carrière ailleurs. Le P. Francisco Artal Luesma, un autre condisciple, décrit ce contraste de façon plus positive: son séjour au séminaire était une preuve évidente de sa réponse à la volonté de Dieu. Sa propreté, la correction dans son habillement, montraient son amour de la dignité sacerdotale, reflet de la finesse de son âme et de sa vie intérieure.

Bien évidemment, ce n’était pas de l’avis de tous. D’aucuns jugeaient tout à son encontre. Mais ces incompréhensions ne l’ont pas ébranlé, comme le dit un camarade qui le tenait directement de lui : Je ne pense pas que la saleté soit une vertu.

Il s’entretenait avec tous « sans aigreur, avec aisance et son sens de l’humour caractéristique. » Le P. Agustín Callejas Tello, curé de Magallon aujourd’hui, fait des réflexions semblables: Josémaria était extrêmement humain et avait un grand sens de l’humour. Il percevait le côté drôle des choses, il faisait des remarques amusantes sur tout. Il connaissait beaucoup d’histoires drôles qu’il racontait très bien : « Nous étions des amis qui admirions la pertinence de ses commentaires. Il lui arrivait d’en faire des épigrammes écrites, au contenu festif ou satirique. Ces épigrammes nous époustouflaient par l’adresse à manier la langue castillane qu’il tenait de sa lecture assidue des auteurs classiques ».

Par ailleurs, les raisons qui avaient conduit Josémaria au Séminaire étaient, dans une certaine mesure, tout autres que celles de beaucoup d’entre eux : il n’était pas carriériste et de ce fait, le monde ecclésiastique, sujet fréquent des conversations, n’était pas son seul souci. Par ailleurs, depuis qu’il en avait été nommé supérieur il pouvait facilement quitter le Séminaire, chose qu’il « ne faisait pas souvent où s’il le faisait, il rentrait très tôt, toujours pressé par les affaires à régler ». De ce fait, il était la cible de malentendus alors qu’il était gentil avec tous et qu’il cherchait à être leur ami. Le P. Agustín Callejas le décrit“comme un pionnier, en avance, grâce à son indépendance et à sa liberté d’esprit que parfois d’aucuns n’arrivaient pas à comprendre et taxaient injustement de hautaines ».

Même un professeur se laissa porter par cette impression-là et fit un rapport écrit en 1920-21 pour parler du caractère de Josémaria « inconstant, hautain, bien que bien élevé et avenant ». Ce professeur note que sa piété est bonne mais que son application et que sa discipline sont moyennes. L’année scolaire suivante, il note un mieux dans ces deux domaines.

(De fait en 1920-21, Josémaria a des mentions très bien (meritissimus) en quatre matières et mention bien(benemeritus), dans une autre. Les années scolaires suivantes, il a mention meritissimus partout. Cependant, son professeurne change pas d’avis concernant son caractère, ce qui ne coïncide pas avec ces résultats objectifs. L’inconstance ne cadre pas avec les meilleures notes dans toutes les matières.

Il y a dans ce manuscrit une note en marge malheureusement non datée. Elle reflète un moment d’une intensité extrême. La voici : « Il s’est bagarré avec don Julio Cortés et la sanction correspondante lui a été infligée. Le fait de l’assumer et de l’accomplir est tout à son honneur, car, à mon avis, ce fut son adversaire qui le tapa le plus fort, qui lui décocha des propos grossiers, impropres à un membre du clergé et qui l’insulta, en ma présence, à la Cathédrale de la Seo ». Je n’ai rien pu savoir de plus concernant cet incident, si ce n’est que très longtemps après, le 8 octobre 1952, tout à son honneur, le P. Julio Cortés écrit au fondateur de l’Opus Dei de Jaen, où il est décédé lorsqu’il était l’aumônier de la Clinique anti tuberculeux « El Nevadal », pour lui demander pardon « j’en suis repenti et de la façon la plus soumise et inconditionnelle… mea culpa ! »

C’est sans doute l’épreuve la plus dure, mais elle ne fut pas la seule, loin de là. L’âme de Josémaria se préparait à faire face aux contradictions, bien plus graves, qu’il connaîtrait tout au long de sa vie.
Ce que personne ne mis jamais question ce fut son intense vie de piété, sympathique, joyeuse et entraînante, non seulement compatible avec son sens de l’humour constant etsa vision positive des choses, mais qui en était la source. Il n’accordait en revanche aucune importance à ce qu’il faisait, ne pavoisait jamais. Avec un grand naturel, il faisait tout son possible pour passer inaperçu. Un jour, un camarade trouva un cilice dans sa chambre et s’en alla le raconter aux autres. Josémaria leur en parla sérieusement pour leur faire comprendre qu’il n’était ni de bon goût ni prudent de tourner en dérision la piété des autres.
Le P. Agustín Callejas admirait son attitude à la méditation quotidienne, d’un recueillement, d’une concentration et d’une oraison intense ainsi que la dévotion avec laquelle il communiait, sans rien d’extraordinaire: “les mains jointes sur sa poitrine, le corps droit, le pas ferme”.

En 1922-23, les relations avec ses camarades devinrent différentes. En effet, il fut nommé Supérieur du Séminaire. Certains se souviennent que le cardinal Soldevilla, archevêque de Saragosse à ce moment-là, l’appréciait beaucoup. Lorsqu’il venait les voir au Séminaire, à la Cathédrale ou ailleurs, il s’adressait normalement à lui, devant les autres, pour lui demander comment il allait, comment il avançait dans ses études. Parfois, il lui disait : — Viens me voir dès que tu auras une minute.

Le P. José López Sierra, recteur du Séminaire à cette époque-là, déclara que le cardinal avait nommé Josémaria Supérieur des séminaristes « eu égard (à) sa conduite exemplaire, et (à) son application ». D’après le recteur, il dépassait les séminaristes « par la finesse de son éducation, par son contact avenant et simple, par sa modestie notoire ». Et d’ajouter : « Il était respectueux envers ses supérieurs, complaisant et plein de bonté avec ses camarades, très estimé des premiers et admiré des les autres ».

Pour être Supérieur ou Inspecteur du Séminaire, —on se sert de ces deux termes indifféremment dans les documents officiels—, il fallait être membre du clergé ou avoir reçu la tonsure. Aussi, le cardinal Soldevilla procéda-t-il à la tonsure de Josémaria le 28 septembre 1922, il fut le seul à la recevoir au palais archiépiscopal de Saragosse, dans une chapelle qui n’existe plus aujourd’hui.
Les directeurs, ou inspecteurs, étaient choisis parmi les élèves les plus doués ou les plus pieux. Leur mission consistait à diriger les études, à veiller sur la discipline et les règlements, à accompagner les élèves dans leurs déplacements pour aller en cours, ou pour les promenades, etc. Tout en étant séminaristes, le Règlement les considérait comme des supérieurs et on leur devait obéissance et respect. Ils avaient aussi quelques privilèges externes : une chambre individuelle un peu plus spacieuse que les autres, et un domestique à leur service, un séminariste qui n’avaient pas à régler ses frais d’inscription, qui faisait le ménage des chambres des supérieurs et qui servait le repas à tous : poste « au pair » semblable à celui qui existe dans quelques universités modernes prestigieuses, comme Harvard et Princeton. À San Carlos, il y avait deux inspecteurs : un pour les humanistes et les philosophes, un autre, pour les théologiens. Un ancien séminariste spécifie que leur mission « était difficile car les plus jeunes élèves chahutaient, comme il est normal à leur âge. Josémaria ne s’en faisait pas, il ne perdait jamais sa dignité ; il agissait toujours avec charité, prudence et bonne éducation ».
José María Román Cuartero, le domestique assignée àJosémaria lorsqu’il fut nommé inspecteur, se souvient que parmi les services rendus, il lui faisait le lit tous les matins, il servait le repas, à la table à l’écart réservée aux supérieurs dans le réfectoire général. Il fut toujours touché par « sa bonté, sa patience, son contact aimable ». Lorsque Josémaria percevait que quelque chose l’avait contrarié, il l’encourageait gentiment ou le taquinait. Il partageait ses repas avec lui. En effet, les plats des directeurs étaient meilleurs que ceux des autres. « Je réalise aujourd’hui qu’il faisait ces mortifications sans qu’on s’en aperçoive, tout naturellement ».

Le P. José López Sierra, recteur du Séminaire, jusqu’à sa mort, fit l’éloge du souci apostolique de Josémaria en tant que directeur des séminaristes: il voulait tous les gagner pour le Christ, que tous soient un en Christ et il y arrivait par sa façon de faire en toute droiture. Il n’était pas partisan des punitions. Il formait les jeunes séminaristes avec « une simplicité et une douceur charmantes ». « Sa simple présence, toujours entraînante et sympathique, arrêtait les plus indisciplinés. Un simple sourire, accueillant, pointait sur ses lèvres dès qu’il percevait que ses séminaristes avaient eu une attitude édifiante. Un regard discret, pénétrant, parfois triste, et très compatissant, réprimait les plus rebelles».

Ce furent ses années au Séminaire. Nous savons aussi qu’il passait de longues heures à prier à la tribune, dans l’église San Carlos, en haut du chœurà droite.

En vacances, il partait à Logroño et, peut-être aussi, comme lorsqu’il était en bas âge, il est allé à Fonz, où vivait le P. Téodoro, son oncle. Certains étés, il les passa à Villel (Teruel) chez le P. Antonio Moreno, vice-président du Séminaire sacerdotal San Carlos, d’après les notes de Carmen Noailles, veuve d’Antonio Moreno, neveu du premier, qui avait à peu près le même âge que Josémaria et faisait des études de médecine à Saragosse. Au village, il menaitune vie normale: ils discutaient, se promenaient, allaient à la pêche à l’écrevisse, faisaient une excursion de temps à autre. Carmen Noailles évoque des détails qui expriment la finesse avec laquelle Josémaria pratiquait la vertu de la pureté et de la pudeur.

Il n’est jamais sorti avec des filles. Ses manières élégantes, sa belle prestance, son contact avenant, attiraient les jeunes filles. Quand Antonio ou quelqu’un d’autre en parlaient, il coupait court : « Si elles me connaissaient bien, intérieurement, tel que je suis… » Et si on racontait des histoires salaces ou déplacées, il coupait fermement avec des réparties très opportunes. « Je n’ai jamais vu qu’il cédât là-dessus, il n’admettait pas la moindre plaisanterie, le moindre commentaire léger à ce propos ». Il était apprécié de tous dans cette maison. En effet, Josémaria se faisait aimer « il était discret, à sa place, prudent, mais affectueux. Son sens de l’humour naturel et merveilleux perçait constamment ». Ils le considéraient comme un enfant de plus.
Ces souvenirs de Carmen Noailles sont des années 1921 ou 1922. Ou des deux. En effet, ce fut en 1923 que Josémaria commença ses études de Droit et qu’il passa l’été à se préparer à la session de septembre pour les premières matières. Il était déjà membre du clergé par la tonsure quand il s’inscrivit à la Faculté pour 1922-23. En octobre 1922, il intégra la quatrième année de Théologie. Le 17 décembre, il reçut les ordres mineurs de l’ostiariat et du lectorat et le 21, l’exorciçat et l’acolytat, tous au palais archiépiscopal, des mains du cardinal Soldevilla, qui fut par la suite assassiné le 4 juin 1923 par un groupe anarchiste.

Entretemps, Josémaria ne voyait toujours pas ce que l’amour de Dieu lui laissait pressentir. Il étudiait, priait, se mettait entre les mains de la Sainte Vierge en ses visites quotidiennes à Notre Dame du Pilar : Je l’entoure toujours de mon amour filial, écrivait-il le 11 octobre 1970 dans le Noticiero de Zaragoza. Avec la même foi dont je l’invoquais en ce temps-là, vers les années vingt, lorsque le Seigneur me faisait pressentir ce qu’il attendait de moi.
Il déposait entre ses mains la résolution de ce qui germait en son âme, en étant, comme il le dit par ailleurs à moitié aveugle, à toujours attendre le pourquoi: pourquoi est-ce que je me fais prêtre ? Le Seigneur veut quelque chose, qu’est-ce ? Et dans un latin de la basse latinité, en reprenant les paroles de l’aveugle de Jéricho, je redisais :
Domine, ut videam! Ut sit! Ut sit! Qu’advienne ce que tu veux et que moi j’ignore.

Sa prière fut matérialisée
sur une statuette de la Vierge, que quelqu’un retrouva des années plus tard.

Beaucoup d’années se sont passées, beaucoup. Et une fois, à Rome, la Secrétaire Centrale est venue me trouver et me dire : Père, une représentation de la Vierge du Pilar est arrivée ici, que vous aviez à Saragosse. Je lui ai répondu : je ne m’en souviens pas. Et elle d’ajouter : Oui, regardez,là. Il y a votre écriture. C’était une image si laide qu’il ne me sembla impossible de l’avoir eue chez moi. Elle me la montra et sous son socle, à l’aide d’un clou, dans le plâtre, était écrit: Domina, ut sit! Avec un point d’exclamation, celui dont je me sers normalement pour les jaculatoires que j’écris en latin. Notre Dame, que cela soit ! Et une date: 24-9-924.
En juin 1924, il finit sa cinquième année de Théologie. Le 14 il reçut le sous diaconat en l’église du Séminaire San Carlos, des mains de mgr Miguel de los Santos Díaz Gómara, qui l’appréciait énormément. Le P. Miguel était le Président du Séminaire San Carlos et il demandait à Josémaria de l’accompagner lors des actes qu’il devait présider, ou des cérémonies liturgiques à l’occasion de l’administration des Sacrements.

L’été 1924, il travailla énormément et en septembre, il passa sept examens à la Faculté de Droit. En juin, il avait seulement passé l’épreuve d’Histoire d’Espagne, matière qu’il connaissait bien parce qu’il avait beaucoup lu et qu’il l’avait bien travaillée pour passer son bac. L’histoire le passionnait, il en était un véritable érudit. Cette année scolaire, il la consacra à se préparer à l’ordination et il réserva les mois de l’été à ses études civiles. Malgré tout, il se présenta à la session de juin parce que sa formation historique était excellente. Il le fit en dépit de la menace du professeur qui lui avait fait savoir, par ses amis, qu’il le collerait parce qu’il n’avait jamais assisté à ses cours, ce qu’il considérait comme un affront personnel. Josémaria en fut étonné, mais comme il avait un sens élevé de la justice, il se présenta quand même à cet examen. Il fut collé, sans même avoir passé l’épreuve orale. En septembre ce professeur reconnut noblement son injustice et avant les épreuves, il lui fit savoir, à travers leurs amis communs, qu’il était reçu d’avance le jour de son examen.
Ce fut aussi en septembre que Josemaria eut une mention très bien en Droit Romain et Droit Canonique ; mention bien en Economie Politique et mention assez bien en Droit Naturel, avec une mention passable en Histoire du Droit et en Droit Civil 1.

L’année 1924-1925 fut une année pratiquement blanche concernant les études civiles. Il s’inscrivit quand même en quatre matières. Deux furent commutées par les mentions très bien de l’année précédente. Il ne put se présenter qu’aux épreuves de Droit Civil II. Il eut une mention assez bien. Il ne passa plus d’examen en juin ni en septembre.

Il n’y a rien d’étonnant à cela puisque qu’en 1924-1925, il y eut des événements déterminants dans sa vie. Le 27 novembre 1924, don José Escriva décéda à Logroño. Le 20 décembre, Josémaria reçut le diaconat des mains de mgr Miguel de los Santos Díaz Gómara, en l’église du Séminaire San Carlos. Le 28 mars 1925, ce fut aussi mgr Miguel de los Santos, qui avait été évêque auxiliaire du cardinal Soldevila, qui lui conféra l’ordination sacerdotale.

Il dit sa Première Messe au Pilar, en la chapelle de la Sainte Vierge, le 30 mars. Très peu de gens, autour de douze personnes, assistèrent à cette Messe que ce nouveau prêtre offrit en suffrage pour l’âme de son père, le lundi de la Semaine de la Passion. Le lendemain, don Josémaria se trouvait déjà à Perdiguera, petit village dont le curé était malade. Il le remplaça jusqu’au 18 mai.

Le 28 mars 1925, il fut ordonné prêtre en l’église San Carlos, à Saragosse, en Espagne. C’était un samedi : « Ce que j’ai reçu… c’est Dieu ! Ce que j’ai reçu c’est de pouvoir célébrer la Sainte Eucharistie, la Sainte Messe, fin principale de l’ordination sacerdotale, de pardonner les péchés, d’administrer les autres sacrements, et de prêcher avec autorité la Parole de Dieu, en orientant les autres fidèles dans tout ce qui concerne le Royaume des Cieux ». En cette cérémonie, il y avait sa mère, sa sœur Carmen, son petit frère Santiago, qui avait sept ans.

Deux jours plus tard, à 10h30, il célébra sa première messe en la chapelle de la Vierge du Pilier, à Saragosse, en Espagne, en suffrage pour l’âme de son père, décédé quelques mois auparavant. « En la Sainte Chapelle, devant une poignée de personnes, j’ai célébré sans bruit, ma Première Messe ». C’était le lundi qui précédait la semaine sainte cette année-là.