Les 20 ans d'une béatification

L'abbé Augustin Roméro, qui vit en France, a bien connu le fondateur de l'Opus Dei. A l'occasion du vingtième anniversaire de sa béatification, (17 mai 1992) il nous transmet quelques souvenirs.

La place Saint-Pierre de Rome, le 17 mai 1992

Pouvez-vous nous raconter à quels moments et à quelles occasions vous avez rencontré Saint Josémaria ?

Je l’ai vu pour la première fois en 1957. J’étais déjà de l’Opus Dei et j’habitais alors dans une résidence à Paris. Je n’étais pas encore prêtre. Il est revenu en 1958 et en 1960. J’ai parfois l’impression que c’était hier et j’ai été tellement marqué par ces rencontres que je m’en souviens encore parfaitement. Dans chacun de ces voyages mais particulièrement en 1958, il nous a encouragé à « avoir du cœur » selon son expression. Il était lui-même très attentif à chaque membre de l’Oeuvre qu’il appelait son enfant et il voulait que ce soit pareil entre nous, que nous sachions être proches les uns des autres, « ayez du cœur entre vous et que cela se voie ». J’étais toujours bouleversé par ses paroles car je voyais que chacun de nous, nous étions cinq ou six à l’époque, comptions beaucoup dans sa vie. Plusieurs fois au cours de ses séjours, il a fait la vaisselle avec nous et nous nous rendions compte alors de son grand sens de l’humour, de sa cordialité. En repartant, il nous faisait une accolade très chaleureuse et une fois, il nous a dit « quand je vous regarde, je me crois déjà au ciel ». C’était toute son affection de père que nous ressentions.

La place Saint-Pierre de Rome, le 17 mai 1992

En 1958, il nous a confié que pendant son séjour en France, il s’était complètement privé de vin et avait offert cet effort pour les futures vocations d’habitants de France. Il l’avait fait très sérieusement mais le racontait avec humour en nous disant : « vous rendez-vous compte du mérite que cela comporte de ne pas boire de vin français ? ». Et d’ailleurs, en 1959, les premiers français ont demandé l’admission dans l’Opus Dei.

Un jour où quelques-uns d’entre nous, en 1972, l’avions rejoint à Lourdes alors qu’il allait commencer ensuite sa catéchèse en Espagne et au Portugal, il s’est confié en disant, « j’aurais aimé que tous mes fils de France soient là, j’aurais tant aimé ». C’était son amour de père qui débordait et c’était habituel chez lui. Il n’est jamais venu en France sans rencontrer personne.

Comme autre qualité humaine, j’aimerais encore citer son optimisme. Plusieurs fois en parlant des difficultés de l’Eglise, il nous a dit qu’elles ne devaient pas nous faire douter que c’est le Seigneur qui guide l’Eglise et que tout finirait par s’arranger. Il était alors tout à fait conscient des difficultés de l’époque mais toujours sûr que « l’Eglise irait de l’avant ».

L’avez-vous entendu parler de la guerre d’Espagne ?

Il nous en a parlé quelquefois puisqu’il avait lui-même subi des persécutions. Il n’en gardait toutefois aucune rancune, c’était comme si la page était tournée. D’ailleurs, il avait des amis dans les deux camps. Il nous a raconté qu’ayant pris la décision de rejoindre la zone dite nationale, il était allé voir un de ses amis, magistrat républicain à Madrid. Cet ami lui avait totalement déconseillé de réaliser ce projet car c’était très risqué. Il avait même ouvert une petite porte de son bureau qui donnait sur la salle d’audience alors même qu’une personne ayant voulu se rendre dans la zone nationale était jugée et a été condamnée à mort pour ce fait. Ce magistrat a essayé de dissuader Josémaria avec beaucoup d’amitié.

Le Pape Jean-Paul II prononce l'homélie au cours de la messe de béatification

Il m’a également raconté un jour qu’en 1933, alors qu’il y avait eu une révolte dans les Asturies, de jeunes garçons plutôt à gauche s’étaient retrouvés en prison en même temps que des garçons de droite qui s’étaient soulevés contre la République. Il leur rendait de fréquentes visites en prison car il était le directeur spirituel de certains d’entre eux dans les deux « camps ». Il leur disait : « fréquentez vous les uns les autres, ne restez pas entre vous. Et quand vous organisez des matchs de foot, surtout ne constituez pas des équipes d’un camp contre l’autre. Fraternisez entre vous ». Il a toujours poussé les garçons qu’il fréquentait à la fraternité.

Vous a-t-il un jour parlé de politique ?

J’ai deux souvenirs précis. En 1958, le climat en France était assez nationaliste. René Coty venait d’appeler Charles de Gaulle à la présidence du pays. Josémaria est venu en France à ce moment-là. Au cours d’une réunion après le dîner, il nous a conseillé de nous méfier du nationalisme qui avait notamment conduit au nazisme. « Vous ne pouvez pas mépriser les autres. Ne vous fermez pas aux autres. L’esprit catholique est universel, ouvert à tous et dans le respect de tous ».

Plus tard, il nous a expliqué qu’il tenait beaucoup à ce que chacun des membres de l’Opus Dei conserve ses opinions, ses préférences, sans chercher à les imposer aux autres. Il avait repris avec beaucoup d’affection un de ses fils qui semblait vouloir imposer ses idées politiques à d’autres membres de l’Oeuvre. Il tenait à ce que nous n’essayions pas d’attirer les autres à notre point de vue, il défendait inlassablement la liberté de chacun et nous disait qu’en dehors de la fidélité à la doctrine de l’Eglise et à l’esprit de l’œuvre, la diversité des opinions était vaste et devait être respectée.

Sur un plan spirituel, quels sont les traits qui vous ont marqué chez saint Josémaria ?

J’ai toujours été impressionné par sa foi et son esprit contemplatif qui transparaissaient dans toute sa vie, dans tout ce qu’il faisait. Je remarquais qu’il était toujours en présence de Dieu. Dans toutes les réunions que j’ai eues avec lui, je sentais qu’il priait et qu’il parlait de nous au Seigneur.

Il n’était pas un théoricien. Tous les conseils de vie intérieure qu’il donnait, il les mettait lui-même en pratique, ils étaient le fruit de sa lutte ascétique depuis de nombreuses années. Il n’appartenait pas à un courant théologique, il s’appuyait sur les saints et les Pères de l’Eglise mais ses conseils étaient toujours pratiques pour nous permettre de vivre le plus possible en présence de Dieu. Il voulait nous aider à être, comme lui, toujours en conversation avec le Seigneur.