Le recueil paulinien dans le Nouveau Testament

Nous publions le 3ème article de Joseph Grifone sur saint Paul.

Le théatre d'Ephèse

Les différentes Lettres

Le recueil qui nous arrivé sous le nom et l’autorité de saint Paul comporte 14 lettres. On peut les classer de la manière suivante :

– 7 d’entre elles ont été composées durant la période où Paul avait établi le centre de sa mission à Ephèse, entre les années 50 et 56. On les appelle proto-pauliniennes. En elles tous les spécialistes reconnaissent des écrits authentiques de saint Paul et constituent des documents particulièrement importants pour connaître sa pensée et sa vie. Dans l’ordre où elles furent écrites, il s’agit de  la première lettre aux Thessaloniciens (1Th), des deux lettres aux Corinthiens (1-2 Co) et des lettres aux Philippiens (Ph), à Philémon (Phm), aux Galates (Ga) et aux Romains (Rm).

Le théatre d'Ephèse

–      6 autres lettres sont postérieures et on les appelle, pour cela, deutéro-pauliniennes. Depuis la plus haute antiquité on les a attribuées à saint Paul et, selon la tradition, elles auraient été composées lors de la dernière période de sa vie. Aujourd’hui on parle à leur sujet des documents émanent de cercles pauliniens : soit parce que Paul a pu se servir d’un rédacteur en lui confiant la trame et le contenu – comme on le faisait souvent à l’époque –, soit parce que des disciples auraient explicité et développé son enseignement pour répondre aux problèmes et besoins de l’Église (déviations doctrinales naissantes, organisation des communautés chrétiennes, etc). Il s’agit de la seconde lettre aux Thessaloniciens (2Th), des lettres aux Colossiens (Col) et aux Éphésiens (Ep) et des lettres dites pastorales (car elles s’adressent non pas à une communauté, mais à leur pasteur) : la lettre à Tite (Ti) et les deux lettres à Timothée (1 et 2 Tm).

–      Enfin la lettre aux Hébreux (He), qui, bien qu’elle nous soit parvenue dans le recueil paulinien, n’est sûrement pas de saint Paul, comme on le reconnaissait déjà dans l’antiquité, même si elle est marquée par l’enseignement de l’Apôtre.

Un manuscrit écrit en hébreux

Notons que le problème de l’authenticité reste à ce jour encore ouvert et les opinions varient : par exemple, la seconde lettre aux Thessaloniciens est considérée authentique par une majorité de spécialistes, alors que pour les Pastorales c’est le contraire. Ceci dit, dans le cas où les lettres deutero-pauliniennees auraient été composées dans des cercles pauliniens, ce fait, loin de porter atteinte à leur inspiration, montrerait d’une manière saisissante comme la pensée et le message de Paul ont été assez vite acceptés, médités et approfondis ; et – plus important – cela mettrait en évidence le rôle de la tradition dans le mécanisme de transmission de la révélation, ce qui confirmerait la conception catholique dans ce point fondamental de Dogmatique. Quoi qu’il en soit, la pensée de Paul y est très présente et on peut, à juste titre, les considérer « pauliniennes ».

La formation du corpus paulinien

La collection des lettres dans un unique corpus se produisit au terme d’un long processus dont on ne connaît pas les temps et les modalités. Les lettres étaient lues dans les réunions communautaires (cf. 1 Th 5,27) où elles étaient conservées avec vénération. On peut penser que les destinataires les transmettaient aux autres communautés (cf. Col 4,16) et que les diverses communautés avaient leur propre collection. La seconde lettre de Pierre atteste l’existence de ces recueils déjà à la fin du Ier siècles (2P 3,15-16). Le Pape saint Clément (vers 95) semble connaître Rm, 1Co, Ga, Ph et Ep ; saint Ignace d’Antioche (vers 110) cite 1Th, Rm, 1Co, Ga, Ep, Ph Col ; de même saint Polycarpe (vers 135). Même le gnostique Marcion, venu à Rome pour essayer de faire reconnaître sa doctrine, accepte dans sa «Bible» dix lettres de saint Paul. Enfin, vers la fin du IIe siècle, la liste des livres de la Sainte Écriture acceptés à Rome (dite canon Muratori, du nom de l’archiviste qui la découvrit au XVIIIe siècle) donne la liste complète des 13 lettres pauliniennes (il manque seulement He).

Le but des lettres

Le charisme de Paul était la mission et cela était son activité principale. Cependant, au cours de son ministère, il se trouva amené à maintenir une correspondance avec les communautés chrétiennes, pour garder les contacts, résoudre leurs problèmes, fortifier leur foi. Par ailleurs, à plusieurs reprises il eut à se défendre de ceux qui non seulement contestaient ses idées, mais aussi son autorité d’apôtre. Aussi les lettres de saint Paul, surtout les proto-paulinienne, sont plutôt des écrits de circonstance et ne se présentent pas comme des traités ; ceci vaut aussi pour la lettre aux Romain dans laquelle les idées de Paul prennent une forme plus élaborée et suivent un plan plus construit. Elles sont des vraies lettres : le style, surtout pour les proto-pauliniennes est direct et immédiat, la personnalité de l’auteur se manifeste à vif et s’adresse d’une manière spontanée et sans structure artificielle à ses auditeurs. Dans les lettres deutero-pauliniennes, par contre, le style est, en général, moins familier et moins direct : on y discerne davantage le souci d’exposition plus systématique et, parfois, plus abstraite.

Cependant, Paul ne manque pas de traiter des sujets qui dépassent le contexte des besoins locaux. Aussi participent elles, secondairement, du genre littéraire des épîtres : l’on entend par là des écrits destinés à un publique plus général et ayant un ton plus didactique et froid. En fait on peut dire que Paul a créé un genre littéraire particulier, propre à répondre à ses besoins.

Le style

Paul écrit en grec, dans la langue commune (koiné) de l’Empire, différente du grec classique : c’était la langue parlée, aussi bien par les gens cultivés que pour les gens du peuple. Il est intéressant de noter que Paul « pense en grec », à la différence des autres auteurs du Nouveau Testament qui, tout en écrivant en grec, montrent de penser en hébreu ou araméen. C’était sa langue maternelle et cette particularité est bien significative de l’esprit cosmopolite et ouvert de l’Apôtre.

Le style de Paul est très personnel et spontané. Les images, les antithèses, les métaphores abondent. Il écrit avec vigueur et fougue. Bien qu’il ne dédaigne pas, à l’occasion, les procédés de la rhétorique classique, Paul ne se soucie pas vraiment de la forme : son style est parfois abrupt et même obscur, mais doué d’une remarquable force expressive. Avec spontanéité, il exprime sa passion et son indignation lorsque la foi est menacée par les faux apôtres (Ga, 2 Co),mais aussi ses sentiments d’affection et de tendresse (1Th, Ph), ses inquiétudes pour les persécutions et les difficultés que l’Église traverse (1Th), sa force d’âme pour corriger les déviations morales ou doctrinales. Tout cela nous révèle l’âme ardente de saint Paul, son désir désintéressé de rendre service à la communauté, et aussi sa délicatesse d’esprit (Phm), son sens pratique, la profondeur de sa réflexion théologique (Rm). En fait Paul est un grand écrivain et son style atteint même aux sommets de la plus pure poésie, comme lorsqu’il tisse l’éloge de la charité (1Co 13,1-13).

Mais c’est surtout quand il parle du Christ (ce qui, en fait, est presque toujours le cas) que son cœur se dilate et que son esprit s’illumine, pour nous livrer un témoignage vibrant qui, aujourd’hui encore, force et séduit notre admiration. En fait, l’épistolaire paulinien est inséparable de la figure du Christ qui a captivé sa vie, son cœur et sa parole : « ce n’est plus moi qui vit, dit il au Galates, dans l’une des lettres les plus émouvantes de tout le recueil, c’est le Christ qui vit en moi » (Ga 2,20). Et, de même que sa vie n’aurait aucun sens si elle était séparée du Christ, son épistolaire ne serait que des feuilles sans âme, si d’aventure on essayait de l’imaginer en écartant la référence au Christ. Cette présence du Christ, qui se grave en nous avec toute la force de l’amour manifesté sur la Croix et l’écho émouvant du Sermon de la Montagne, nous apparaît d’autant plus frappante si l’on réalise que, lorsque Paul écrivait à ses enfants spirituels, les Évangiles n’étaient pas encore rédigés.