La fratrie de Jésus (1)

Jésus a-t-il eu des petits frères, des demi-frères ou seulement des cousins ? Question qui alimente régulièrement de nombreux débats et des interprétations diverses, souvent erronées. La première partie de cet article traite de la réponse aux deux premières questions.

Depuis les origines, c’est un thème qui a alimenté de nombreux débats et des interprétations diverses souvent erronées qui s’inscrivent en faux contre la foi de l’Église [1].

1. le Christ a-t-il eu des frères de sang ? Autrement dit, Marie sa mère a-t-elle donné naissance après la sienne, à d’autres enfants, des enfants biologiques de Joseph ? Diverses citations du Nouveau Testament pourraient le faire croire :

a) à Bethléem, Marie mit au monde son fils premier-né [2]. Cela sous-entend-il qu’il y en eut d’autres par la suite ?

Non, car :

- souvent, dans la Sainte Écriture, le premier homme qui naît est ainsi désigné, qu’il soit suivi ou non d’autres enfants [3].

- néanmoins, ce sens est passé dans le langage profane, comme le prouve une épitaphe sépulcrale du Ve siècle avant notre ère, découverte en1922 dans la nécropole juive de Tell-el-Jeduieh (Égypte), qui indique que la défunte, une certaine Arsinoé, mourut dans les douleurs de l’enfantement de son fils premier né.

- la Loi conférait des droits spécifiques au premier-né mais ordonnait son rachat au cours du mois suivant sa naissance [4]: ce serait un commandement absurde si ceux-ci ne pouvaient lui être attribués tant que ses frères ne seraient pas nés [5].

- en outre, cette indication de Luc revêt un profond sens théologique : elle prépare la présentation de Jésus au Temple où, uni au sacrifice prescrit par Moïse, il va être racheté pour être consacré au Seigneur [6] et ainsi, lui, le premier-né par la grâce, va assumer le rôle de chef de file de l’humanité dans la nouvelle économie du Salut [7]. Saint Paul donne de l’amplitude à cette pensée : premier selon la dignité, le Christ est, depuis qu’il est ressuscité, premier-né de façon nouvelle ; « le concept de la primogéniture acquiert une dimension cosmique. Fils incarné, il est, pour ainsi dire, la première idée de Dieu et précède toute création, laquelle est ordonnée en vue de lui et à partir de lui. Avec cela, il est aussi principe et fin de la nouvelle création qui a commencé avec la Résurrection » [8].

- enfin, ce caractère de premier-né du Christ souligne la virginité perpétuelle de Marie, comme l’affirment la Tradition chrétienne, le Magistère de l’Église [9], … et la Vierge elle-même [10] : la conception et la naissance de Jésus ont été miraculeuses et Marie est restée vierge dans le prolongement de son fiat, pour signifier qu’elle est la parfaite complice de Dieu dans son dessein de Salut. Elle est l’épouse du Saint-Esprit, un jardin bien clos, ma sœur, ma fiancée, un jardin bien clos, une source scellée [11]. Que Marie soit la Toujours-vierge est un dogme de foi [12] et saint Augustin le résume dans une formule concise devenue classique : Virgo concepit, virgo peperit, virgo permansit.

les trois étoiles signifient la virginité avant, pendant et après la naissance de Jésus

b) Joseph ne la connut pas, jusqu’au jour où elle enfanta un fils[13].

Cela signifie-t-il qu’il eut avec elle des relations conjugales après ?

Non. Le texte indique seulement ce qui s’est produit – à savoir la conception virginale ‒, sans faire allusion à ce qui pourrait se passer après [14].

c) Dans le Nouveau Testament, sept citations évoquent des frères et des sœurs de Jésus [15]. Retenons les deux premières (parallèles) : N’est-il pas le charpentier, le fils de Marie, le frère de Jacques, de Joseph, de Jude et de Simon ? Ses sœurs ne sont-elles pas ici parmi nous ?

Cela veut-t-il dire que Marie ait eu d’autres enfants ? Non.

- Jacques [16] et Joseph sont mentionnés lors de la crucifixion comme fils de Marie de Cléophas [17] ; par la suite encore [18].

- Jude est vraisemblablement l’auteur de l’épître catholique où il se désigne comme frère de Jacques [19], non frère de Jésus.

- même s’ils sont appelés « frères de Jésus », on ne dit jamais qu’ils sont « fils de Marie », ce qui pourtant aurait été naturel s’ils avaient été frères du Seigneur au sens strict. Jésus, en revanche, est nommé par ses coréligionnaires les plus proches, les habitants de Nazareth, fils de Marie. Par ailleurs, s’il avait eu des frères de sang, pourquoi, en mourant, Jésus aurait-il confié sa mère à Jean [20] ?

2. Le Christ a-t-il eu des demi-frères et sœurs, autrement dit, des enfants que Joseph aurait eus d’un premier lit ? Non.

- plusieurs traditions apocryphes, il est vrai, voient Joseph veuf lorsqu’il prend Marie pour épouse ; et l’iconographie souvent le confirme en dépeignant le saint patriarche sous les traits d’un homme pour le moins mûr. Cette théorie prend sa source dans le Protoévangile de Jacques où il apparaît comme un vieillard, pour mieux souligner la virginité de Marie. Quoique partisan de cette théorie, Origène admet que son succès est dû davantage à des considérations idéologiques‒ préserver l'honneur de Notre Dame ‒qu'à des traditions historiques solides. Par ailleurs, si Joseph avait eu d'autres fils plus âgés, le fait que Jésus ait été le premier fils de Marie ne lui aurait donné aucune prééminence familiale en ce qui concerne l'héritage du royaume de David.

- Marie et Joseph partagent avec le Christ la même mission de Salut, quoiqu’à des degrés distincts. À la vie immaculée de la Vierge répond nécessairement l’intégrité de son époux sur terre : « Comment un esprit clairvoyant peut-il penser que l’Esprit Saint ait uni d’une union si étroite à l’âme d’une Vierge si grande quelque autre âme, sans que celle-ci lui fût très semblable par la pratique des vertus ? Je crois donc que saint Joseph fut le plus pur des hommes en virginité, le plus profond en humilité, le plus ardent en amour de Dieu et en charité, le plus élevé en contemplation » [21].

- aussi saint Josémaria se l’imaginait-il « jeune, fort, avec quelques années de plus que la Vierge peut-être, mais dans la plénitude de l'âge et des forces humaines.

Pour vivre la vertu de la chasteté, il n'est pas nécessaire d'attendre d'être vieux ou de manquer de force. La chasteté naît de l'amour et, pour un amour pur, la force et la joie de la jeunesse ne sont pas un obstacle.

Saint Joseph était jeune, de cœur et de corps, quand il épousa Marie, quand il connut le mystère de sa Maternité divine et vécut près d'Elle… » [22].

Abbé Patrick Pégourier


[1] Cf. Marie, de Jacques de Duquesne 2004, Le Christ philosophe, de Frédéric Lenoir 2007, La Vie de Jude frère de Jésus, de Françoise Chandernagor 2015…

[2] Lc 2, 7.

[3] Cf. Ex 13, 2 et 13, 13. Au sujet de ces citations, Benoît XVI commente : « Le mot « premier-né » ne renvoie pas à une numérotation qui se poursuit, mais indique une qualité théologique…une appartenance particulière de Jésus à Dieu » L’enfance de Jésus, Flammarion 2012, chap. 3 p. 102.

[4] Cf. Nb 18, 16.

[5] Cf. saint Jérôme, Adversus Helvidium de Mariae virginate perpetua10.

[6] Lc 2, 23.

[7] Cf. saint Bède, In Lucae Evangelium expositio.

[8] Benoît XVI, id. p. 103 : Premier-né de toute créature (Col 1, 15)…Tête du corps, c’est-à-dire de l’Église, … Premier-né d’entre les morts (1,18).

[9] Cf. IIe concile de Constantinople 553, Latran I 649, can. 3 : Elle l’a conçu spécialement et véritablement, sans semence humaine, et enfanté sans corruption, sa virginité demeurant non moins inaltérée après l’enfantement ; constitutions Munificentissimus Deus (1950) et Lumen Gentium 57.

[10] 2e apparition de Guadalupe en 1531.

[11] Ct 4, 12.

[12] « Vierge avant, pendant et perpétuellement après l’enfantement » (Bienheureux Paul VI, Cum quorumdam.

[13] Mt 1, 25.

[14] Dans d’autres passages, la Bible reprend cette même conjonction qui ne concerne pas des événements postérieurs :

- Jn 9, 18 : les Pharisiens ne crurent pas au miracle de la guérison de l’aveugle de naissance jusqu’à ce qu’ils eurent appelé ses parents ; mais ils n’y crurent pas davantage ensuite.

- Ps 123, 2 : Nos yeux sont tournés vers le Seigneur, jusqu’àce qu’il nous prenne en pitié. Cela ne veut pas dire qu’après avoir obtenu miséricorde, ils se détourneront de lui.

[15] Mc 6, 3 et Mt 13, 55 ; Ac 1, 14 ; Gal 1, 19 ; Jude 1 ; Jn 2, 12 et Mt 12, 46.

[16] dit « le juste », ou le « frère du Seigneur » (Gal 1, 19), car le plus connu des quatre : chef de la communauté judéo-chrétienne de Jérusalem, il fut précipité du haut du Temple en 62.

[17] Mc 15, 40.

[18] Mc 16, 1 et Lc 24, 6 ; Mc 15, 47.

[19] Jd 1.

[20] Jn 19, 26.

[21] Saint Bernardin de Sienne, Sermon.

[22] Quand le Christ passe, n° 40.