L' évêque de Namur, en Belgique, et le matérialisme chrétien de Josemaria Escrivá

Le "matérialisme chrétien", expression utilisée par le Fondateur de l'Opus Dei, exprime bien selon Monseigneur André Mutien Leonard, évêque de Namur (Belgique), l'enseignement de saint Josémaria Escriva. Dans un article publié le 6 octobre dans ‘L'Osservatore Romano’ et portant d'ailleurs le même titre, il réfléchit sur ce qu'il qualifie "d'audace attrayante avec laquelle saint Josémaria Escriva passe du divin à l'humain et de l'humain au divin."

Le "matérialisme chrétien", expression utilisée par le Fondateur de l'Opus Dei, exprime bien selon Monseigneur André Mutien Leonard, évêque de Namur (Belgique), l'enseignement de saint Josémaria Escriva. Dans un article publié le 6 octobre dans L'Osservatore Romano et portant d'ailleurs le même titre, il réfléchit sur ce qu'il qualifie "d'audace attrayante avec laquelle saint Josémaria Escriva passe du divin à l'humain et de l'humain au divin."

Dans une remarquable homélie prononcée en 1967 et publiée sous le titre Aimer le monde passionnément, saint Josémaria Escrivá emploie l'expression de « matérialisme chrétien ». Il m'apparaît qu'elle condense d'heureuse manière son message. On y lit notamment: "Le sens authentique du christianisme — qui professe la résurrection de toute chair — s'affronte toujours, comme il est logique, avec la 'désincarnation', sans crainte d'être taxé de matérialisme. Il est donc permis de parler d'un 'matérialisme chrétien' qui s'oppose audacieusement aux matérialismes fermés à l'esprit. Que sont les sacrements — empreintes de l'Incarnation du Verbe, comme l'affirmaient les anciens — sinon la manifestation la plus claire de ce chemin que Dieu a choisi pour nous sanctifier et nous mener au Ciel? ".

Mais en quel sens conjuguer la vie spirituelle et l'engagement dans le monde? Il ressort de ses écrits que saint Josémaria Escrivá exclut toute alternance ou juxtaposition schizophrénique, sous la forme d'une double vie faite, d'une part, des mille réalités et occupations quotidiennes desquelles Dieu serait absent, d'autre part, de parenthèses sacrées vécues comme des moments d'évasion. Mais il rejette aussi toute forme de confusion entre la vie spirituelle et la présence au monde, qu'elle se produise par réduction (la tentation du spiritualisme excessif, qui présenterait la sanctification chrétienne comme concernant exclusivement la vie intérieure et le salut de l'âme, les engagements séculiers n'étant pas pris au sérieux en eux-mêmes) ou par absorption (la tentation du sécularisme qui tendrait à absorber la référence au Christ ou aux "valeurs chrétiennes" dans un horizon exclusivement humain).

Ce qui frappe, au contraire, chez saint Josémaria Escrivá, c'est l’aisance avec laquelle il passe du divin à l'humain et de l'humain au divin, donnant le sentiment d'une paisible continuité et non d'un hiatus tourmenté entre l'un et l'autre, à mille lieues de ce que j'appellerais volontiers, en pastichant Hegel, "la vie chrétienne vécue comme conscience malheureuse, ou encore comme mauvaise conscience".

Le matérialisme chrétien de saint Josemaría conjugue avec bonheur une promotion réciproque entre les deux aspects: la vie spirituelle appelle l'engagement séculier et l'engagement séculier appelle l'approfondissement de sa vie spirituelle. Comme il aimait à le dire, "pour être très divins, il faut être aussi très humains".

Avec raison, saint Josémaria Escrivá rapporte au Christ l'union du divin et de l'humain. Dès les premiers siècles de l'Eglise, la foi catholique a cherché à penser l’unité de Dieu et de l'homme dans le Christ, par le rejet de multiples hérésies. Cette unité du Christ ne peut consister en une juxtaposition ou séparation (nestorianisme), ni en une confusion des deux, soit par réduction de l'humanité du Christ à sa divinité (docétisme et monophysisme), soit par réduction de sa divinité à l'humanité (adoptianisme et arianisme). L'on retrouve ici les catégories utilisées plus haut à propos du message de saint Josémaria Escrivá.

Mais l'unité du divin et de l'humain dans le Christ ne peut pas non plus être pensée comme une pure tension entre les deux ; la christologie catholique implique plutôt la promotion réciproque de l'humain et du divin, dans la logique du concile de Chalcédoine, pour lequel, loin d'être séparées l'une de l'autre, de se confondre ou de s'opposer, la nature humaine et la nature divine de Jésus sont "sauvegardées dans leurs propriétés respectives".

Il me semble que le matérialisme chrétien de saint Josémaria Escrivá, avec son souci de conjuguer positivement, sans séparation ni confusion, la spiritualité la plus haute et l'engagement séculier le plus quotidien, repose sur des bases solides, à savoir sur des bases christologiques qui offrent la garantie de fruits durables.

Suplemento de L’Osservatore Romano, 6 octobre 2002